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Tante Rosa: Récit d'une vie atypique
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Tante Rosa: Récit d'une vie atypique
Livre électronique95 pages1 heure

Tante Rosa: Récit d'une vie atypique

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À propos de ce livre électronique

Dans une Turquie répressive, Rosa choisit la liberté

« Derrière elle Tante Rosa a laissé une lettre, elle a laissé trois gamins, dont l’un encore au sein, elle a laissé la bonne à qui elle avait appris à préparer oies rôties et gâteaux aux pommes, à amidonner les nappes pour les repas et à ranger les armoires. Elle a laissé le petit jardin semé de marguerites, la maison à l’escalier de bois, haute de plafond, avec le réveille-matin, elle a laissé l’époux qui allait tous les dimanches matin à l’église et lui sautait dessus tous les dimanches après-midi, elle a laissé les voisines chapeautées et leurs gamins morveux, elle a laissé leurs époux et leurs vies elles aussi remplies d’oies rôties, elle a laissé l’église, elle a laissé les tintements de cloches, les flots de l’orgue, les chants de Noël, elle a laissé son sein gauche comblant le carreau brisé par la boule de neige d’un gamin au retour de l’église, son sein gauche qui recouvrait son cœur d’une couche de graisse. Elle est partie. »

Plus que le récit d'une vie, une ode au féminisme et à la liberté.

EXTRAIT

À l’école des bonnes sœurs, Tante Rosa a appris que son corps était quelque chose de mauvais. Il était interdit de se dévêtir pour se laver. On faisait sa toilette avec sa chemise. Un jour, comme elle courait encore, la fillette est tombée. Les sœurs ne l’ont pas autorisée à retirer son bas noir, même pour panser sa blessure qui a fini par s’enflammer. Schwester Maria a dit à Rosa que Dieu l’avait punie et qu’Il n’avait pas guéri sa blessure car elle ne savait pas oublier son corps, se consacrer à Dieu et réprimer ses désirs. Elle a pleuré, Rosa ; elle a pensé que le beau Jésus aux yeux bleus ne pouvait pas être le fils d’un Dieu aussi rancunier, et dans ses prières elle a demandé à la Vierge Marie qui était vraiment le père de Jésus. Elle lui a demandé qui était le véritable roi.

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE

- « Ce n’est a priori pas le plus subversif des livres de Sevgi Soysal, il n’a pas été censuré contrairement à d’autres, mais le publier maintenant est une bonne idée, je ne suis pas sûr que dans certains pays il ne serait pas interdit, cinquante ans après sa première parution. Il prône la liberté de la femme et sa totale indépendance vis-à-vis des hommes, thèmes encore tabous voire blasphématoires pour certains. » Yves Mabon, Les Huit Plumes

À PROPOS DE L'AUTEUR

Sevgi Soysal est née à Istanbul en 1936. Après des études d’archéologie et de théâtre, elle travaille au centre culturel allemand et à la radio tout en commençant à publier dans des revues des textes inspirés par le courant du « nouveau réalisme ». Elle joue au théâtre et publie son premier recueil de nouvelles en 1962. En 1965, elle devient responsable de programmation à la radio-télévision turque (TRT). La publication de Tante Rosa (1968) et de Yürümek (« Marcher », 1970), lui valent la consécration littéraire mais aussi la surveillance des autorités, qui ne voient pas forcément d’un bon œil cet auteur qui aborde d’un point de vue ouvertement féministe les relations hommes-femmes et l’institution du mariage. L’un de ses livres est même interdit pour « indécence » et Sevgi Soysal fera plusieurs séjours en prison. Après avoir été mariée trois fois, elle meurt d’un cancer à l’âge de quarante ans, en 1976 à Istanbul. Depuis sa disparition, son œuvre fait l’objet de nombreuses recherches universitaires et de nombreuses rééditions et traductions en Turquie et dans le monde. Tante Rosa a fait aussi l’objet d’une adaptation cinématographique sous le titre « Tante Rosa, je t’aime » en 1992 par Işıl Özgentürk.
LangueFrançais
ÉditeurIntervalles
Date de sortie9 juin 2017
ISBN9782369561491
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    Aperçu du livre

    Tante Rosa - Sevgi Soysal

    1. COMMENT TANTE ROSA N’A PAS RÉUSSI À DEVENIR ACROBATE ÉQUESTRE

    Lorsqu’elle avait onze ans, Tante Rosa a lu ceci, sous une photo de la reine Victoria en tenue de cavalière, dans l’hebdomadaire familial Entre nous :

    « La reine Victoria, dix-huit ans, passe en revue l’unité de la cavalerie royale. Lors de cette inspection, Sa Majesté, comme de coutume, conquiert les cœurs de ses compatriotes et de la cavalerie royale, avec sa toque militaire à la dernière mode, ses bottes à éperon et sa tenue coupée comme un uniforme. »

    Peu après, Tante Rosa, ayant associé dans son esprit l’expression « conquérir les cœurs » avec les chevaux de la photographie, a décidé de devenir acrobate équestre.

    Au moment où elle a informé sa mère de sa résolution, celle-ci était en train de lire dans la revue familiale Entre nous cet épisode du roman-feuilleton :

    « Les mois étaient comme des années, les jours comme des semaines, et plutôt que de contempler le ventre de sa sœur qui s’arrondissait sous la poussée de ce pitoyable fruit du péché, il détournait les yeux, désireux de frapper ce ventre avec un instinct bestial, et honteux de verser des larmes pour une ingrate qui ne les méritait pas, pour endurcir son cœur trop tendre avec des sentiments hostiles contre cet innocent enfant du péché qui naîtrait bientôt… »

    La mère, en proie à une frayeur justifiée, a abandonné son roman et elle est accourue auprès du père destiné à assurer le bonheur de Rosa jusqu’à l’approche de ses dix-huit ans. C’était un homme rigide mais, incapable de résister aux jérémiades de sa fille, il l’a confiée à un cirque, sans oublier auparavant de faire la leçon à son directeur. Le jour même, on a fait monter la jeune fille sur le cheval le plus vicieux. Elle a fait de nombreuses chutes, ce jour-là, notre pauvre Rosa, mais le costume froufroutant et la jupe plissée dont on l’avait revêtue lui plaisaient tant que, de retour à la maison, elle a oublié son insupportable douleur aux fesses puis s’est obstinée sur la voie de l’acrobatie équestre. Toutefois, après la fessée dont son papa l’a gratifiée pour lui remonter le moral, elle a semblé avoir oublié cette passion. Le père étant décédé sans avoir pu assumer sa fille jusqu’à ses dix-huit ans révolus, la malheureuse mère a changé de compagnie et pris une nouvelle police d’assurance sur le bonheur de Rosa. Ce nouveau papa n’a guère émis d’objections aux rêves d’acrobaties équestres. Rosa est retournée au cirque. Constatant qu’elle lui avait été confiée sans qu’on lui donne le moindre avertissement, le directeur a compris que la peau du c… de la gamine valait moins qu’un livre de classe. Rosa lui convenait. Une fille qu’on ne veut pas voir devenir écuyère-acrobate, on la met tout de suite en selle, mais celle dont on se débarrasse pour qu’elle le devienne, celle-là, pas question de la laisser monter. Elle ne pouvait désormais plus chuter ; en revanche, elle remplissait les sacs avec le fumier des animaux du cirque et s’en allait les vendre aux villageois. Elle a beaucoup pleuré. Vraiment beaucoup beaucoup. Elle s’est mise à détester en premier lieu le fumier, puis les chevaux, et enfin tous les arrière-trains, puisque son champ de vision se limitait désormais à cela. Il peut se trouver des psychologues pour attribuer à ce traumatisme de l’enfance la sévère constipation dont elle a souffert à un âge avancé ; néanmoins, l’événement le plus marquant de sa vie s’est produit dans les premiers jours de la guerre la plus populaire de ce temps.

    La première année du conflit, au cours de laquelle les uniformes des officiers étaient les plus éclatants et leur charme des plus irrésistibles, Rosa, comme toutes les nuits, contemplait par l’interstice du chapiteau les numéros de l’écuyère-acrobate. Elle les observait entre ses doigts qu’elle avait introduits dans la béance pour l’élargir, et le rêve qu’elle avait échafaudé, dans lequel elle accomplissait elle-même toutes ces prouesses, n’était aucunement perturbé par l’odeur du fumier incrusté sous ses ongles.

    Hop ! En l’air ! Hop ! Je saute à terre ! Et me revoilà à dos de cheval. Hop ! J’ai levé la jambe et on m’applaudit frénétiquement. Qui est-il, ce lieutenant aux yeux plus étincelants que ses boutons de cuivre, assis au premier rang ? Il me regarde, il est fou amoureux de moi, il vient tous les soirs, il me contemple et puis s’en va. À présent, je vais réaliser pour lui mon numéro le plus époustouflant. Si seulement le cheval n’accélérait pas et si je pouvais faire un salto à temps. Le cheval… saute. Soudain, tout à coup, un craquement. Ce craquement se propage. Puis de la lumière, et encore plus de lumière, encore plus. Et enfin des cris stridents. Chaleur. Craquement. Flammes. Quantité de flammes qui embrasent soudainement un rêve et l’embrassent. Rosa les voit qui s’emparent de tout. Elle voit la masse des spectateurs se précipiter à droite et à gauche, les poteaux flamber, le directeur du cirque fulminer et les ampoules multicolores au sommet du chapiteau s’obscurcir à cause de la fumée ; tout le monde court vers la sortie, mais celle-ci est étroite. Rosa, cependant, contemple l’équilibriste, c’est-à-dire elle-même, qui exécute son dernier numéro pour son bien-aimé.

    J’avais à peine levé la jambe que j’ai entendu d’abord un crépitement, puis des cris. J’ai compris, à l’insupportable douleur dans ma tête qui avait percuté le rebord de la piste, que mon cheval, effrayé, m’avait désarçonnée. Et voilà qu’il se précipitait sur moi ventre à terre, hennissant comme un fou. Mais je n’avais pas peur. Je savais que lui, avec ses boutons des plus étincelants et ses yeux des plus scintillants, me sauverait sur-le-champ. Le voilà qui saute par-dessus la palissade. D’abord il se pend à la bride de la bête. Celle-ci, après s’être cabrée, devient douce comme un agneau. Puis le lieutenant accourt vers moi. Il saute en croupe en me tenant dans ses bras. Il enfonce dans les flancs du coursier les éperons dorés de ses bottes et nous quittons le chapiteau à fond de train. Laissant derrière nous les cris, la fumée et les flammes, nous galopons ventre à terre vers le soleil levant.

    Inutile désormais pour Rosa d’élargir l’interstice de la toile avec ses doigts. Les flammes y ont ouvert une énorme brèche. Rosa a vu le cheval s’effrayer et se cabrer comme un fou après avoir désarçonné l’écuyère équilibriste. Elle ne pouvait pas apercevoir la jeune fille à terre, mais elle a vu le lieutenant sauter la barrière. À travers les cris et la fumée, elle n’a vu que lui. Il a sauté par-dessus la palissade. Il a arrêté le cheval, l’a enfourché puis a fui au grand galop le lieu de l’incendie. Rosa a vu le lieutenant diriger sa monture vers la sortie et piétiner l’écuyère sur son passage.

    Dans la revue Entre nous, Tante Rosa a vu une photo

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