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Reflets sur la sombre route
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Livre électronique189 pages2 heures

Reflets sur la sombre route

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À propos de ce livre électronique

Extrait : "NOCTURNE - Deux heures du matin, une nuit d'hiver, loin de tout, dans la profonde solitude des campagnes pyrénéennes. Du noir intense autour de moi, et sur ma tête des scintillements d'étoiles. Du noir intense, des confusions de choses noires, ici, dans l'infime région terrestre où vit et marche l'être infime que je suis ; un air pur et glacé, qui dilate momentanément ma poitrine d'atome et semble doubler ma vitalité éphémère."
LangueFrançais
ÉditeurLigaran
Date de sortie17 févr. 2015
ISBN9782335003482
Reflets sur la sombre route

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    Reflets sur la sombre route - Ligaran

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    EAN : 9782335003482

    ©Ligaran 2015

    Nocturne

    Deux heures du matin, une nuit d’hiver, loin de tout, dans la profonde solitude des campagnes pyrénéennes.

    Du noir intense autour de moi, et sur ma tête des scintillements d’étoiles. Du noir intense, des confusions de choses noires, ici, dans l’infime région terrestre où vit et marche l’être infime que je suis ; un air pur et glacé, qui dilate momentanément ma poitrine d’atome et semble doubler ma vitalité éphémère. Et là-haut, sur le fond bleu noir des espaces, les myriades de feux, les scintillements éternels.

    Deux heures du matin, le cœur de la nuit, de la nuit d’hiver. L’étoile du Berger, reine des instants plus mystérieux qui précèdent le jour, brille dans l’Est de tout son éclat blanc.

    La vie se tait partout, en un froid sommeil qui ressemble à la mort ; même les bêtes de nuit ont fini de rôder et sont allées dormir. Dehors, personne. Les laboureurs et les bergers, qui pourtant se lèvent avant l’aube, sont blottis pour des heures encore sous les toits des hameaux. Seuls peut-être, par les chemins, circulant dans le grand silence, trouverait-on les hommes que tient éveillés l’amour ou le vagabondage, – ou encore, en ce pays-ci, la contrebande. Sur la route où je marche, la lumière palpitante des étoiles semble tomber en pluie de phosphore. Et cette route, sèche et durcie, résonne, vibre comme si le sol était creux sous mes pas. D’ailleurs, je marche, je marche sans m’en apercevoir, tant est vivifiant cet air de la nuit ; mes jambes, dirait-on, vont d’elles-mêmes, comme feraient des ressorts une fois pour toutes remontés, dont le mouvement ne donnerait plus aucune peine.

    Et je regarde, au-dessus du noir de la terre qui m’entoure, scintiller les mondes. Alors, peu à peu, me reprend ce sentiment particulier qui est l’épouvante sidérale, le vertige de l’infini. Je l’ai connu pour la première fois, ce sentiment-là, lorsque vers mes dix-huit ans il fallut me plonger dans les calculs d’astronomie et les observations d’étoiles, pendant les nuits de la mer. En général, les gens du monde ne songent jamais à tout cela, n’ont même pour la plupart, sur les abîmes cosmiques, aucune notion un peu approchée, – et c’est fâcheux vraiment, car, en bien des cas, cela arrêterait par la conscience du ridicule leurs agitations lilliputiennes… La connaissance et la quasi-terreur des durées astrales sont bien apaisantes aussi, et, à propos des petits évènements humains, quel calme dédaigneux cela procure, de se dire : Mon Dieu, qu’importera, dans vingt-cinq mille ans, quand l’axe terrestre aura accompli son tour ? ou bien dans deux ou trois cent mille ?

    L’atmosphère de la nuit, à cette heure fraîche et vierge, est comme vide de toute senteur, si ce n’est dans certains bas-fonds, au milieu des bois, où les exhalaisons des mousses, du sol humide persistent encore sous le fouillis inextricable et léger des ramures d’hiver. Autrement, rien ; il semble que l’on respire la pureté même, – tellement que l’on devinerait au flair, le long de la route, les rares métairies éparses, d’où sortent, par bouffées bientôt perdues, des odeurs de brûlé, de fumée, de fauve, de repaire de bêtes…

    Et je regarde toujours, sur le bleu noir du ciel, scintiller la poussière de feu… Cela, c’est l’ensemble de ce qui est, et que nous cachent le plus souvent nos petits nuages, l’aveuglante lumière de notre petit soleil ; du reste, dans quel but nous l’a-t-on laissé voir, puisque la faculté de sonder et de comprendre devait se développer en nous avec les siècles, et que tout cela était appelé à devenir alors terrifiant ?… Voici qu’elles me font peur, cette nuit, les constellations – ces dessins familiers, qui sont quasi éternels pour les yeux humains sitôt fermés par la mort, mais qui, en réalité, pour des yeux plus durables que les nôtres, se déforment aussi vite que des figures changeantes et furtives apparues un instant dans un vol d’étincelles… Combien ceci déroute et confond : penser que ces choses là-haut, symbolisant pour nous le calme et l’immuabilité, sont au contraire en plein vertige de mouvement ; savoir que le peuple sans nombre des soleils, les non condensés encore, les flambloyants ou les éteints, tourbillonnent tous, affolés de vitesse et de chute !…

    L’air vif de cette nuit donne assez nettement l’impression glacée du grand vide sidéral, de même que cette nuance sombre du ciel imite le noir funèbre des espaces où les soleils par myriades s’épuisent à flamboyer sans parvenir à y jeter un peu de chaleur, ni seulement un peu de lumière, sans y faire autre chose que le ponctuer d’un semis de petits brillants qui tremblent… Bien petits en effet, ces soleils, qui brûlent dans le noir, et consument dans le froid leur initiale chaleur ! Quelle misérable poussière ils figurent, errant ainsi par groupes et par nuages, perdus dans l’obscurité souveraine, tombant toujours, depuis des milliards et des milliards de siècles, dans un vide qui devant eux ne finira jamais de s’ouvrir !

    Des pas résonnent en avant de moi, au milieu de la microscopique solitude terrestre ; un bruit de vie qui me surprend au travers de toute cette obscurité, de tout ce silence. Et deux silhouettes humaines croisent ma route, marchant lentement, le fusil à l’épaule… Ah ! des douaniers ! J’oubliais, moi, les petites affaires d’ici-bas, la frontière d’Espagne qui est là tout proche… Ils font une ronde, et vont deux par deux, comme toujours, par crainte des rencontres mauvaises… Mon Dieu, quelle capitale affaire si quelques brimborions prohibés allaient cette nuit passer de chez les pygmées de France aux mains des pygmées espagnols !… Quelle importance cela prendrait, vu seulement des mondes les plus voisins du nôtre, de Véga, de Bellatrix ou d’Ataïr !…

    Est-ce que vraiment ce serait toute la réserve du Feu, est-ce que ce serait tout ce qu’il y en a, tout ce qu’il en existe dans le Cosmos, ces miettes qui tourbillonnent, promenées comme le sable des dunes quand il vente, qui tourbillonnent dans le grand noir glacial et vide – et qui, fatalement, par la suite des âges incalculés, doivent se refroidir et s’éteindre ?… Plutôt ne serait-ce pas les minuscules débris, les étincelles perdues de quelque autre réserve mille et mille fois plus inépuisable et située plus loin que notre humble petite vue, plus loin que la portée de nos plus pénétrants petits télescopes, plus loin, des millions de millions de fois plus loin, – laquelle réserve ne serait espaces, lequel infini nous sommes forcés d’admettre, bien qu’impuissants à le concevoir…

    Et, qui plus est, le Dieu qui ne régirait que le Cosmos aperçu par nous – même ce Cosmos si prodigieusement démesuré, tel que l’entrevoient les plus profonds penseurs astronomes, – voici que ce Dieu-là ne me parait plus assez grand pour être tout. Et je considère comme impossible qu’il ne s’incline pas à son tour devant quelque autre Dieu plus terrifiant d’immensité, – lequel encore aurait au-dessus de lui une puissance mille fois plus lointaine, – et ainsi de suite, à l’infini. D’ailleurs, ce Jéhovah, qui serait tout, je le plaindrais de tant durer, dans l’épouvante de sa solitude, de son imperfectibilité et de son libre arbitre absolu… En ce moment, pour contenter un peu ma raison, la raison de l’atome que je suis, il faudrait qu’il y eut dans les Dieux aussi une progression qui ne prit jamais fin ; que toujours, toujours, au-dessus d’un Dieu, si haut et effroyable qu’il fût, planât le mystère d’un autre, plus inconcevablement créateur, éternel et inaccessible…

    Et je marche, orgueilleux et troublé dans mon rêve. Mais devant moi quelque chose surgit et se dresse, comme une borne, comme un haut signal d’alarme qu’on aurait intentionnellement placé là devant mes yeux, devant la route de ma pensée en révolte : le clocher d’une église de village découpé en noir sur le ciel étoilé, sur les scintillements d’Antarès et sur les phosphorescences de la grande nébuleuse lactée. Tandis que tout dort si paisiblement alentour, il continue, lui, sa veille – commencée déjà depuis quelques négligeables petits siècles qui nous paraissent des durées longues ; il se tient là pour les humbles du voisinage et peut-être un peu aussi pour les téméraires comme moi, auxquels sa mission est de crier : Gare !… En effet, à cause de ma petitesse et à cause du point d’où je regarde, il me paraît gigantesque en cet instant, ce pauvre clocher de campagne ; il masque à ma vue des constellations, des milliers d’univers, des groupes incommensurables de mondes. Et il semble tout à coup me dire :

    « Dans de plus mystérieux domaines, admets donc aussi mes proportions relatives ; bénis en moi, en l’idée chrétienne que je représente, l’écran protecteur capable de te cacher les abîmes, de t’épargner l’effroi des gouffres. Par rapport au rien que tu es, cette idée-là me paraît infiniment grande ; elle offre, des vérités inconnaissables, une représentation très suffisamment approchée et mise avec sagesse à la portée de ta raison frêle. Essaye d’imiter les simples qui, à mes pieds, sont couchés sous les tombes, et qui s’en sont allés confiants, sans scruter le vide ni connaître les vertiges… »

    Alphonse Daudet

    Hendaye, dimanche 19 décembre 1897.

    J’arrive bien tard, moi, du fond de ma province, de la frontière d’Espagne, pour parler de lui… Aussi, je ne voudrais que simplement dire combien je l’aimais, et quelle était mon admiration pour son âme, surtout son âme toujours plus haute, des dernières années.

    Avec quelle mélancolie je repense aujourd’hui à notre première rencontre d’il y a dix-sept ou dix-huit ans !… Si ignoré encore, je traversais Paris après la publication d’un de mes livres de début ; là, chez un ami commun, attendait une de ses cartes demandant qu’on me présentât, quand par hasard je passerais. Et ce fut au jardin du Luxembourg par un beau temps de mai, dans des allées fleuries de lilas, que je vins causer avec lui, un peu ébloui que j’étais par sa présence et son accueil. D’abord, je lui avais offert une de mes cigarettes de Turquie et, sitôt que parut la mince fumée grise, il s’arrêta, les yeux lointains : « Oh ! dit-il, tout ce qui s’éveille d’Orient dans ma tête, rien qu’à l’odeur de cette fumée !… » Nous causâmes une heure en faisant les cent pas ; je n’en revenais point qu’il fût si simple ; et puis, avec lui, ce jour-là, on disait à demi-mot des petites choses infinies, qui se continuaient comme d’elles-mêmes pendant les silences… Et je m’en allai charmé.

    Depuis, dans les temps attristés où il ne se promenait plus, que de fois il m’a demandé : « Te rappelles-tu, mon Loti, notre première cigarette turque ensemble ?… Les lilas du Luxembourg ?… »

    Nous ne nous voyions pas bien souvent, puisque je suis errant par métier. Mais, de même que se continuait pendant les silences notre première causerie dans le jardin, de même, pendant les absences et les longs voyages, notre amitié se continuait aussi et grandissait, pour devenir d’année en année plus confiante et plus profonde.

    Et j’étais de ceux qui ne se figuraient point qu’il allait mourir. À chacun de mes voyages à Paris, je retrouvais, à peine plus changée, sa belle figure de souffrance, avec des yeux tout pleins de la bonne volonté de rester encore à ceux qu’il aimait, – et il semblait que cette volonté dût être triomphante.

    Je me souviens de cette phrase de lui, prononcée il y a quelque dix ans, un jour d’angoisse : « Eh oui ! j’ai connu des minutes où j’ai senti comme un élan pour me jeter à genoux et pour prier. Et puis je me suis dit : « Non ! Oh ! pas ça ! Est-ce que ce serait possible ! » Et j’ai haussé tristement les épaules ! »

    Mais, ces derniers temps, aurait-il encore parlé ainsi ? Il me paraît que non. Et j’aurais voulu suivre, imiter l’évolution intime de son âme revenant peu à peu, du fond des abîmes froids et noirs, vers des idées d’immortalité, des idées presque chrétiennes de pardon et d’éternel amour ; rien de précis peut-être, mais une foi dans une justice suprême, dans des Au-Delà resplendissants et tranquilles. Et je crois que sa belle sérénité, son oubli de soi-même et de son mal, sa patience d’héroïque martyr, lui venaient un peu de là : souffrant presque sans trêve, il devenait de jour en jour plus inaltérablement aimable et bon, plein de haute indulgence et de pitié très douce ; il veillait à ce que ses douleurs physiques ne fussent jamais importunes à personne et savait encore se montrer gai, au milieu des siens qu’il adorait, savait encore sourire et étinceler d’esprit…

    Mais je voulais seulement dire, pour eux, pour les siens qui liront peut-être ces ligues, qu’il laisse un vide douloureux à mes côtés, que je l’aimais d’une amitié rare. J’étais jaloux de ses jugements et de son estime ; j’écrivais en pensant à lui et souvent, pour lui. À présent, une part de cette affection si tendre, que j’avais, se reporte sur les êtres d’élite qu’il a laissés et en qui son âme est un peu continuée.

    Et aujourd’hui, dans ma solitude de la Bidassoa, sous le ciel chaud, sombre et bas de ce dimanche d’hiver, c’est lui constamment que je revois ; avec un grand respect, je repasse en ma mémoire tout ce que, dans nos derniers entretiens, il m’avait dit de sage, de supérieur, de loyal, d’indulgent et d’apaisant, sur les hommes, sur les choses et sur la vie ; avec un attendrissement désolé, je retrouve fixés sur moi ses bons et charmants yeux de malade, ses yeux des

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