La Nuit Étouffe Le Jour
Par Philippe Lherm
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À propos de ce livre électronique
Philippe Lherm
Si ma profession m'éloigne de l'écriture, ma passion pour les arts a ouvert ma curiosité. De la peinture à la sculpture en passant par la photo, j'ai tenté l'écriture. Cette passion a pris le dessus, me permettant d'écrire ce cinquième livre.
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Aperçu du livre
La Nuit Étouffe Le Jour - Philippe Lherm
-1-
J’immobilise ma voiture au bord de la route nationale. Une aire d’arrêt d’urgence fait l’affaire. Urgence, un mot très approprié à cette foutue journée. Il est 23h00. Je viens de matérialiser une décision qui aurait paru ridicule ou incompréhensible à un auditoire. Je m’en fou. Ma décision est prise et malgré cela, l’envie de faire une pause m’a rattrapé. M’arrêter pour fumer une cigarette, regarder ce bitume aussi noir que la nuit. Fumer celle qui fait semblant de vous aider à réfléchir ou de vous donner du courage. Mais c’est un autre débat. En fait une pause pour être sûr de vouloir avancer, de concrétiser une idée. L’ennui est terrible. La solitude peut être une amie comme quelque fois une ennemie et devenir pesante à vous pousser vers des idées burlesques, déraisonnables peut-être, mais qui, un jour comme aujourd’hui, vous paraissent avoir un sens. Quel sens me direz-vous ? Je n’en sais rien, sinon le besoin de ne pas passer seul, isolé, un changement d’année. Ne pas se regarder dans un miroir à minuit pour avoir quelqu’un à qui parler. Ne pas scruter son reflet dans le même miroir pour meubler l’espace vide et ainsi ne pas se croire seul. Ne pas prendre une coupe dans chaque main pour trinquer comme un paumé. Ne pas courir s’offrir une rose pour se faire croire que quelqu’un pense à vous. Occuper à tout prix ce passage d’une année sur l’autre avec quelqu’un, juste pour oublier que l’on attendait, espérait, croyait en une réponse qui n’est pas venue. Une simple lettre qui aurait été un encouragement ou pas, mais une lettre avant tout. Celle qui vous fait rêver le temps de l’écriture, celui de la poster, plus tard, celui de descendre vers la boite aux lettres, de tourner la clef de ladite boite, d’en ouvrir la petite porte, d’y voir un courrier, de le prendre entre ses doigts, de remonter fébrilement l’escalier, d’aller vers la cuisine. Là s’emparer d’un couteau pour en décacheter l’enveloppe proprement. Un geste simple mais qui peut recéler un contenu qui va tout changer, une lettre qui peut vous transporter, transformer votre vie, faire d’un désert une oasis, d’un village en ruine une cité fantastique. La déplier, les doigts tremblants, moites d’une forme d’anxiété, le corps rythmé par des palpitations. Ressentir ce frisson qui vous donne des sueurs dans le dos. Ne pas oser y poser tout de suite les yeux dessus comme pour la composer à son gré. Les fermer le temps de l’effeuillage pour tenter de calmer ces foutus tremblements. C’était ce moment que j’avais attendu, empressé, dans la matinée. Si quelque chose devait arriver, c’était forcément aujourd’hui. C’était obligé. Il ne pouvait en être autrement. J’ai guetté la voiture jaune à l’angle de la place en contrebas. Le facteur, ou préposé pour les puristes, était bien passé à son heure habituelle. De ma fenêtre donnant sur la rue j’ai vu sa voiture s’approcher, puis ralentir, se garer devant la maison d’en face. Il est descendu de voiture, moteur tournant comme chaque jour, après avoir fouillé dans une sacoche posée à côté de lui. Un signe ! J’avais fermé les yeux à ce moment précis pour lui adresser une prière, celle de traverser la rue, de se diriger vers ma boite. Fermer les yeux comme si cela pouvait me transmettre une faculté extraordinaire, le pouvoir de décider de ma vie. Le bruit du moteur qui redémarre et mes yeux s’étaient rouverts, ne sachant pas s’il m’avait laissé le précieux présent. Descendre les marches tout en priant, ne pas se précipiter, ouvrir la fameuse boite de l’intérieur, ne rien y découvrir, sinon le vide immense, le désespoir. J’avais eu beau examiner encore, passer mes doigts à l’intérieur comme pour me rassurer, il n’y avait rien, sinon le vide. Ce sont des moments terribles qui vous laissent le gout amer du revers. Celui du regret d’avoir été, peut-être en retard, ou idiot de croire, ou encore ridicule d’espérer. Que m’importait, je l’avais postée cette fameuse lettre dans l’espoir d’une réponse positive, l’espoir de croire en un devenir. Et là, la déception s’était accrue, s’élevant comme une montagne infranchissable.
Je me souviens. Elle était lumineuse dans ce magasin. Certes je la connaissais déjà, je l’avais déjà croisé, lui avais adressé quelques mots, mais pas comme ce jour-là. Je n’avais eu d’yeux que pour elle. Tout mon être s’était enflammé. Elle cheminait dans les rayons, s’emparait d’un produit puis le reposait délicatement à sa place. Elle remplissait son cadi comme tout un chacun, s’arrêtait pour réfléchir, lisait par moment les ingrédients d’un contenant. Je l’avais discrètement suivi du regard, comme un voyeur ayant trouvé sa proie. De dos, de profil, chacun de ses mouvements avaient été gracieux à mes yeux, me plongeant dans une rêverie dont elle seule m’avait fait sortir. L’ayant perdu de vue au détour d’une allée, je ne l’avais pas vu surgir dans ma direction, aussi ses paroles, arrivée à ma hauteur, m’avaient fait sursauter. Elle m’avait regardé dans les yeux, fait la bise, le sourire aux lèvres. J’avais humé son parfum délicat, plongé mon regard dans sa chevelure. Deux, trois mots échangés et je l’avais fui. Mon cœur s’était emballé et je ne voulais le lui dévoiler. Je m’étais concentré pour ne pas bégayer tant était grand mon émoi. Alors j’avais inventé le prétexte facile d’être pressé pour m’enfuir. L’excuse pratique qui ne trompe personne. J’étais passé à la caisse sans prendre le temps de finir mes courses, luttant douloureusement pour ne pas me retourner, pour ne pas la voir encore une fois, ne pas prendre le risque de croiser à nouveau son regard. Qu’avait-elle pensé ce jour-là ? Que j’étais certainement un rustre ou un timide, un moindre mal. Elle avait un sourire incroyable pendant qu’elle parlait et j’avais fait celui qui est impatient. Pitoyable moment qui m’avait poursuivi en rentrant chez moi. Les jours suivants, son sourire s’était perpétué sans relâche. J’étais hanté par le remord. Celui de ne pas avoir été au bout de mes sentiments, de ne pas avoir trouvé le courage de les lui avouer. M’endormir était devenu un tourment tant son visage me harcelait. Alors à quelques jours de Noël, je lui avais envoyé une lettre, vous savez ces lettres d’amour désuètes et d’un autre temps. Convaincu qu’elle allait trouver ce geste ridicule et vieux jeu, moi il me plaisait. J’aimais les phrases écrites, celles qui durent, qui demeurent même si le temps s’écoule. Elles avaient mijoté longuement dans ma tête et sur le brouillon pour trouver les bons mots, les termes justes, pour les ordonnancer au mieux, oser de belles phrases pour essayer de lui faire appréhender ce que je ressentais, sans toutefois la brusquer. J’avais cherché son adresse dans les pages blanches, sans grand succès au début. La maison n’était pas à son nom, mais celui de son père, en fin c’est ce dont je m’étais persuadé. Je l’avais inscrite sur l’enveloppe. La poster avait été plus difficile, partagé entre le besoin viscéral d’espérer et la désagréable impression d’être ridicule. Son image dans ce magasin refaisait surface, me punissant de ma faiblesse. Je m’étais attardé un long moment, figé devant ma porte, avec ma lettre à la main. Ma voisine partant faire les courses en avait souri, comprenant peut-être une indécision encombrante. Elle m’avait adressé un « Vais-je le faire ou pas ? » sur un ton amusé. C’était une femme d’une soixantaine d’années mais qui gardait en apparence l’insouciance d’une certaine jeunesse passée. Elle vivait seule, avait un amant que j’apercevais de temps à autres. Je dis apercevais car il tentait d’être le plus discret possible, étant lui-même marié. Elle l’attendait toujours dans des tenues plutôt aguichantes. Souvent des robes moulantes qui soulignaient ses formes encore gracieuses. Elle avait tout le temps le sourire, un mot gentil lorsque l’on se croisait, ou lorsqu’au même moment nous ouvrions nos volets respectifs. Elle était aussi matinale que moi, donc la situation se répétait souvent. Un an plus tôt elle m’avait surpris en train de placer des décorations de Noël sur la façade de ma maison. J’étais debout sur le rebord de fenêtre du premier étage lorsqu’elle m’avait hélé de chez elle.
- Je ne voudrais pas être le témoin d’une chute et être obligé de vous ramasser à la petite cuillère. Je viendrais bien vous recueillir dans mes bras mais je crains de ne pas être assez costaude. Soyez prudent, vous me faites peur ainsi.
Je lui avais répliqué de ne pas s’inquiéter, avant de parachever ma décoration acrobatique sans incident. Une autre fois, c’est elle qui était venue me chercher pour voir si je m’y connaissais en tondeuse, la sienne ne voulant pas démarrer. J’étais allé chez elle. J’avais découvert son jardin arrangé avec beaucoup de goût. Une petite terrasse en bois, ornée de fauteuils de jardins confortables et d’une fontaine japonaise, donnait sur un carré de pelouse entouré d’arbrisseaux et d’arbustes, aux couleurs variées et chatoyantes. De chez moi, je ne pouvais que l’apercevoir, masqué par sa maison. La vieille tondeuse se montrait hors d’âge, avec son carter rongé par la rouille, ses roues usées et sa peinture élimée. Je me rappelais de ses mots et de son clin d’œil lorsque j’avais osé le lui dire.
- Il ne faut pas se fier aux apparences. Si l’âge a fait son œuvre, l’intérieur peut demeurer vert.
J’avais fait semblant de ne pas comprendre tout en m’occupant du vieil engin. J’avais réussi sans trop de difficulté à le refaire démarrer par un simple nettoyage de bougie. Elle m’avait offert une bière que je n’avais pu refuser devant son insistance. C’était la première fois que je la voyais d’aussi près et je ne pouvais m’empêcher de penser que cette femme avait dû être très jolie étant jeune. Elle avait conservé des traits fins et son maquillage soigné, sans excès, les soulignait parfaitement, à la rendre séduisante. C’est elle qui m’avait avoué son âge, sans qu’il n’y ait eu la moindre allusion. Elle était très directe. Nous avions discuté un long moment, de tout et de rien, de ma situation, avant qu’elle n’étale une partie de sa vie, de sa séparation, de son regret de n’avoir pas eu d’enfant, de sa solitude bien présente. J’avais eu un moment le sentiment qu’elle avait une approche discrète mais non désintéressée de ma personne. Elle croisait et décroisait ses jambes sortant de son short nerveusement, parlait à mots couverts, se redressant sans cesse, comme pour se mettre à son avantage. Des avantages, elle en avait, bien soulignés par son débardeur. Je l’avais laissé à ses travaux printaniers au bout d’une heure, lui promettant d’accepter une invitation à diner.
J’avais finalement réussi à quitter mon pas de porte pour aller à la poste. Devant cette dernière, située à quelques dizaines de mètres, mes doigts n’avaient guère été plus courageux et avaient hésité longtemps, mais la lettre avait malgré tout fini sa course au fond de la boite. Je l’avais écrite alors à quoi bon la garder pour moi ? Le retour m’avait vu satisfait d’avoir osé. Je m’étais senti libéré. Alors ce matin devant ma fenêtre c’est cette réponse que j’attendais. Une réponse espérée qui vous dit pourquoi pas, que vous avez peut-être une chance, oui, une chance de la séduire. La réponse n’étant pas arrivée, je me retrouve là, sur ce bord de route, hésitant. Le paradoxe c’est qu’au bout de la même route je sais avoir deux voies ou deux choix. Celui d’une invitation refusée pour ne pas remuer un passé proche et puis cette quête de l’inconnu, délibérément adoptée. Sur le siège passager, une bouteille de champagne et des flutes en plastique, le tout dans une simple poche, la première qui m’avait tendu les bras. Six flutes anonymes, synonymes de partage. Arrivé au mégot, je sens son odeur âcre, désagréable. J’hésite à en allumer une deuxième, histoire de me donner encore un peu de temps, mais je choisis de remonter en voiture pour poursuivre ma quête. Ne pas se dégonfler, pas maintenant si près du but. Alors je me colle au volant. Et si je ne trouve personne ? Cette question insidieuse vient frapper à ma porte à nouveau. Je ne lui ouvre pas, pour ne pas y croire. Il y a forcément quelqu’un. Arrivé en ville, je ne sais quelle direction prendre, sinon celle du hasard. Vous savez celui qui fait si bien les choses, qui fait que vous êtes persuadé d’avoir une bonne étoile qui vous accompagne ou que c’est votre jour de chance. Les minutes s’égrènent inexorablement. Ça et là de la musique me parvient par ma vitre entrouverte, tantôt années 60, tantôt très danse music. Dans une ruelle c’est du rap qui martèle les secondes. J’imagine derrière ces façades, des amis qui s’amusent, qui rient, qui boivent, qui mangent, qui dansent. D’autres ont peut-être choisis de rester en couple, de s’offrir une nuit rien qu’à eux, en amoureux, une nuit érotique pour chasser les habitudes. D’autres ont sans doute préféré un repas tardif dans un bon restaurant, celui que l’on s’offre en cette nuit particulière. D’autres encore sont certainement seules et seuls devant leur téléviseur. Certains par choix, d’autres par oubli. Je croise une voiture de temps à autres mais la circulation est plutôt clairsemée. Je m’engage dans les ruelles étroites du centre à la recherche de mes fantômes, mais aucune ombre n’apparaît sous les réverbères. La température affichée est extrêmement douce pour la saison, 14°. Une rue à droite, une à gauche, un coup d’œil jeté à chaque croisement. Rien, personne ne semble errer. Me serais-je abusé ? Malgré cela je veux y croire et ne pas céder au découragement. Je regarde l’heure, il est 11H30. Le passage à la nouvelle année arrive à grands pas et je demeure seul, seul avec ce volant collé à mes doigts. Encore une autre rue, puis une autre. Ma quête serait-elle vouée à l’échec ? N’y aurait-il plus de fantômes ? Soudain, l’espoir renait au détour d’une petite place.
-2-
Ils sont là, deux êtres dans la nuit, assis à même le sol ou presque, appuyés contre le mur d’un commerce. Deux taches plus sombres dans la noirceur. Une avancée de toit les masque de la lumière des réverbères. Je ne fais que les deviner mais ils sont les premiers rencontrés, mes premières prises. Je décide de me garer à la première place libre avant de descendre de voiture, ma poche dans une main. La main sur la poignée, toujours cette petite voix qui tente de me sortir de là. Elle me dit de m’échapper, d’éviter le danger, mais je la chasse sans ménagement. De quel danger parles-tu j’ai envie de lui dire ? Je suis en danger constant à l’intérieur de moi. Je me dirige vers eux. Je me sens soudain caricatural. Mon pas est hésitant et je dois commander à mes jambes, leur montrer qui est le chef. Les deux sont trois. Je n’avais pas vu deux jambes allongées sur une forte épaisseur de carton, masquées par une jardinière. Celui qui me fait face, semble me regarder me diriger vers eux, tête levée. Je le sens visiblement surpris, même si ses traits demeurent encore dans l’ombre. Il est emmitouflé dans un pantalon en velours avec en haut une succession de couches se terminant par un pull à col roulé surmonté d’une veste en gros lainage. Un frisson me traverse le corps. Je ne sais pas s’il provient de la fraicheur, de ma peur refoulée ou de mes doutes. Et s’ils me jetaient, pire, si je ne réveillais que de la violence en eux. Qu’est-ce qui me fait croire qu’ils ont envie de me voir arriver dans leur univers ? Et si je dérangeais, que je n’étais pas le bienvenu ? Je fais taire mon esprit. Je garde espoir, confiance au genre humain. Je n’ai pas prévu de phrases d’ouverture ou plus exactement nombreuses se sont présentées sans que je puisse en choisir une. Je ne suis plus qu’à quatre ou cinq mètres d’eux lorsque celui me faisant face m’adresse quelques mots :
- Tu vas où comme ça mon gars ?
Sa voix est grave, un peu éraillée, hésitante, fatiguée, comme un souffle. Une question pour me sauver de mes interrogations.
- Il cherche sans doute son chemin.
Celui allongé à même le sol lui répond, sans bouger d’un cil, sans même me voir, sans même savoir à qui il parlait. Le vieux assis a un regard plutôt rassurant, sans haine, ni méchanceté dans les yeux. Tout juste semble percer une pointe de curiosité ou de surprise. A ses côtés, la tête appuyée sur son épaule il y a un jeune, enfin le peu que j’en vois m’y fait penser. Son visage est à moitié caché par une sorte de chapka bordée de fourrure, le col de sa parka remonté, mais sa peau semble plus lisse trahissant une probable jeunesse. Mes premiers mots sont à peine audibles et je m’en rends compte tout seul :
- Je ne cherche plus mon chemin, je l’ai peut-être
