Ivan Aïvazovski et les peintres russes de l'eau
Par Victoria Charles
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Avis sur Ivan Aïvazovski et les peintres russes de l'eau
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Aperçu du livre
Ivan Aïvazovski et les peintres russes de l'eau - Victoria Charles
illustrations
Autoportrait, 1892. Huile sur toile, 225 x 157 cm. Galerie nationale d’Art Aïvazovski, Théodosie.
Avant-propos
Voici plus de cent ans déjà qu’Ivan Aïvazovski demeure l’un des peintres russes les plus populaires. Rares sont ceux qui réussirent, de leur vivant, à acquérir une telle célébrité, comme l’a connue Aïvazovski dès ses débuts. Sa renommée était exceptionnelle et totale. Ses tableaux provoquaient l’admiration des peintres, des connaisseurs et d’un large public. Dans les années 1840, le nom de l’artiste, qui venait juste de terminer ses études à l’Académie, était déjà largement connu en Russie et même au-delà des frontières. Il était membre de plusieurs académies étrangères et fut le deuxième peintre russe (après Oreste Kiprenski) ayant eu l’honneur de voir son autoportrait aux cimaises de la Galerie des Offices à Florence. Ce succès était amplement mérité, car il n’y avait alors aucun maître capable de peindre, avec tant de conviction et de brio et aussi avec une telle liberté, les différents états de la mer. Aïvazovski n’était pas seulement un peintre de marines par profession, il connaissait parfaitement la mer et l’aimait avec ferveur. Si au cours de sa longue carrière il fit des paysages, et même des portraits, ce n’était que pendant de courtes périodes. Jusqu’au dernier jour de sa vie, il resta fidèle au genre qu’il avait choisi : peindre la mer.
Les peintres de marines se divisent en trois catégories : ceux qui vivent à la mer, avec la préoccupation de rendre fidèlement le spectacle qu’ils ont sous les yeux ; ceux qui habitent une plage plusieurs mois de l’année et copient du rivage ou du quai d’un port les effets ou les incidents qui les frappent ; les paysagistes qui peignent par hasard la mer ou s’en servent pour agrémenter un tableau, lui donner de la profondeur. Les peintres de marines deviennent rares, parce que la peinture de mer est très ingrate et qu’elle ne profite guère à son interprète.
Les amateurs recherchent peu les tableaux de marines, et lorsqu’un peintre atteint quelque célébrité en ce genre, ils achètent son œuvre pour que le nom soit représenté dans leurs collections ; le sujet guide rarement l’acheteur. Les admirateurs de la mer se rencontrent surtout parmi un petit groupe de poètes, de lettrés et de marins.
L’éducation d’un peintre de marines est des plus rudes et des plus pénibles. Pour peindre la mer, il faut avoir navigué en toutes saisons, avoir passé des journées et des semaines au large, avoir fait des études entre le ciel et l’eau, et quand on a tous les documents nécessaires on peut, au retour dans l’atelier, exécuter des œuvres vraisemblables. Il faut également savoir mettre un bateau dans l’eau : combien de tableaux où le navire, coupé par la ligne de mer, semble un joujou d’enfant posé sur une glace qui le reflète, car l’eau ne le mouille pas, il n’est pas dedans, il est posé dessus.
Il est aussi difficile de bien saisir l’anatomie des vagues et de les rendre dans leur mouvement de va-et-vient, de représenter des falaises dans leurs formes pittoresques, dans leur structure géologique. On pourrait énumérer à l’infini mille observations de cette sorte.
Il est plus difficile de représenter la pleine mer par un beau ou mauvais temps ou de peindre des plages pittoresques, sur lesquelles on voit s’agiter un monde d’élégants, de marins, de pêcheuses de crevettes plus ou moins retroussées, jolies femmes fort agréables à voir. Les premiers tableaux exigent de grands efforts, les seconds se font aisément. En résumé, ce n’est qu’en menant la vie des gens de mer qu’un peintre de marines apprend son métier et peut étudier sérieusement ce modèle éternellement changeant et insondable qu’on appelle l’océan.
La carrière artistique d’Aïvazovski débuta à l’époque où, en Russie, s’épanouissait le mouvement romantique qui devait jouer un rôle important dans le développement de l’art du paysage au cours de la seconde moitié du XIXe siècle. Le romantisme est présent non seulement dans ses premiers travaux, mais dans la plus grande partie des toiles de sa dernière période. Les naufrages, les combats navals acharnés, la tempête, furent toujours ses thèmes de prédilection.
Tout en restant dans la lignée des grands paysagistes russes du début du XIXe siècle, sans jamais rien imiter, ni personne, Aïvazovski créa sa propre école et sa propre tradition qui marquèrent sensiblement le genre des marines de son temps et des générations suivantes. On peut relever également dans son œuvre des traits appartenant aux traditions de la culture arménienne, car il resta toute sa vie fidèle à son pays et à son peuple.
La Grande Rade de Kronstadt, 1836. Huile sur toile, 71,5 x 93 cm. Musée Russe, Saint-Pétersbourg.
La Frégate « Aurora », 1837. Huile sur toile, 75 x 101 cm. Collection privée.
La peinture russe et l’eau
L’eau et ses symboles
L’eau, grâce à sa force et à son pouvoir d’érosion, a modelé notre topographie au cours de longues ères géologiques. Les hommes se sont installés partout où elle se trouve à la surface de la planète. Selon d’anciennes croyances, elle aurait submergé la terre pour permettre ensuite à l’humanité de prendre un nouveau départ. Et comme le veut la mythologie, c’est l’un des quatre éléments à partir desquels le monde fut créé. Elle sépare les continents et délimite leurs frontières. Elle est utilisée pour baptiser les croyants. Elle irrigue les récoltes. Elle décime sans distinction des milliers d’hommes en un seul tsunami, en une seule vague sismique. Lorsqu’elle est gelée, elle peut vaincre des armées entières et, sous forme de brouillard, transformer en lâches de courageux capitaines de navires. Sans elle, le corps humain ne survit pas plus de deux jours. Elle englobe tous les extrêmes, étant tour à tour d’un calme limpide ou d’une violence cataclysmique, à la fois puissance de vie et de mort.
Il n’est donc pas surprenant que le thème de l’eau soit très répandu dans l’art, l’architecture et la peinture de paysage. Elle est utilisée pour symboliser la source et le maintien de la vie.
Elle a servi à représenter les mystères de la Nature, en tant qu’obstacle et frontière physiques ou en tant qu’ornementation miroitante. Les peintres ont été fascinés par son évanescence, ses qualités réflectives, sa capacité à souligner ou à représenter les émotions les plus variées. Marais et lac, brume et neige, flaque et océan, chutes et pluie battante, crues mortelles et ruisseaux bordés de mousse, ses formes sont extraordinairement diverses. Mais parce qu’elle est contenue et définie par la terre même à laquelle elle a donné forme, on ne peut l’isoler totalement ; elle appelle un contenant physique ou métaphorique : elle n’a de sens que dans un environnement. Ainsi, en peinture, l’eau représente le plus souvent un élément de la nature, et c’est pourquoi la peinture de paysage permet de mieux l’appréhender.
Le Raid de Kronstadt, 1835. Huile sur toile, 124 x 199 cm. Musée Russe, Saint-Pétersbourg.
Vue marine, 1841. Huile sur toile, 74 x 100 cm. Collection privée.
Mais l’eau est aussi fréquemment représentée de façon symbolique. Dans la Naissance de Vénus de Botticelli, par exemple, l’iconographie du mythe requiert la présence de la mer puisque la déesse surgit de l’eau. Pourtant, dans la composition du tableau, la mer n’existe qu’en arrière-plan, et de manière presque héraldique.
Dans le Narcisse de Curradi, elle n’est présente que sur une petite partie du tableau ; personne n’ignore cependant que l’eau fut à l’origine du processus extrême qui a transformé le jeune homme en végétal. Dans cette œuvre de Curradi, l’eau, comme