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Le chant du cygne. Peintures académiques du Salon de Paris. COLLECTIONS DU MUSÉE D’ORSAY
Le chant du cygne. Peintures académiques du Salon de Paris. COLLECTIONS DU MUSÉE D’ORSAY
Le chant du cygne. Peintures académiques du Salon de Paris. COLLECTIONS DU MUSÉE D’ORSAY
Livre électronique783 pages7 heures

Le chant du cygne. Peintures académiques du Salon de Paris. COLLECTIONS DU MUSÉE D’ORSAY

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À propos de ce livre électronique

À l'occasion de l’exposition: LE CHANT DU CYGNE. PEINTURES ACADÉMIQUES DU SALON DE PARIS. COLLECTIONS DU MUSÉE D ́ORSAY, la FUNDACIÓN MAPFRE a édité un catalogue approfondissant les différents aspects traités dans l'exposition et rédigé par les commissaires généraux de l'exposition, Guy Cogeval et Pablo Jiménez Burillo, le commissaire scientifique Côme Fabre, et Stéphane Guégan, conservateur du Musée d'Orsay et spécialiste reconnu du sujet. Le catalogue reproduit la totalité des œuvres présentées dans l'exposition, accompagnées d'une fiche technique qui, en guise de catalogue raisonné, a pour motif de transformer cette publication en volume de référence sur ce thème. Il comprend également un appendice biographique des 62 artistes faisant partie de l'exposition et une bibliographie détaillée.
LangueFrançais
Date de sortie3 févr. 2016
ISBN9788498445398
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    Aperçu du livre

    Le chant du cygne. Peintures académiques du Salon de Paris. COLLECTIONS DU MUSÉE D’ORSAY - Côme Fabre

    Le chant du cygne

    Peintures académiques du Salon de Paris

    COLLECTIONS DU MUSÉE D’ORSAY

    FUNDACIÓN MAPFRE, MADRID

    14 février - 3 mai 2015

    821.pngAC06.jpg

    Jean Auguste Dominique Ingres,

    La Source,

    détail de cat. 1

    MUSÉE D’ORSAY

    Président des musées d’Orsay et de l’Orangerie

    Guy Cogeval

    Administrateur général

    Alain Lombard

    Conseiller auprès du président, chef du service

    mécénat et relations internationales

    Olivier Simmat

    Chef du service des expositions

    Hélène Flon

    Responsable des expositions internationales

    Jean Naudin

    Régisseur général

    Marie-Pierre Gauzès

    FUNDACIÓN MAPFRE

    Président de FUNDACIÓN MAPFRE et du Patronat

    Antonio Huertas Mejías

    Directeur du département de la Culture

    Pablo Jiménez Burillo

    Directeur adjoint du département de la Culture

    Daniel Restrepo Manrique

    Directrice des expositions

    Nadia Arroyo Arce

    Conservateur en chef

    María López Fernández

    Conservateur en chef de la photographie

    Carlos Gollonet

    Cet ouvrage a été publié à l’occasion de l’exposition Le chant du cygne.

    Peintures académiques du Salon de Paris. Collections du musée d’Orsay,

    présentée à la Fundación Mapfre, Madrid, entre le 14 février et le 3 mai 2015.

    Cette exposition a été organisée et réalisée par la Fundación Mapfre

    avec la collaboration scientifique et les prêts exceptionnels du musée d’Orsay.

    784.png

    Tout au long de son histoire, FUNDACIÓN MAPFRE a développé une démarche de programmation essentiellement axée sur les débuts de l’art moderne. Nos projets d’exposition se sont toujours démarqués des théories historiographiques classiques en offrant une vision plus large, mettant en exergue les différentes approches — certaines contradictoires, d’autres complémentaires — ayant tracé la voie de la modernité.

    En ce sens, la peinture académique occupe une place fondamentale. Toujours considérée comme le dernier ­bastion de l’orthodoxie technique, elle nous offre en réalité un tableau plus réel et authentique du déroulement des principaux mouvements de renouveau artistique au xixe siècle. Le chant du cygne. Peintures académiques du Salon de Paris. Collections du musée d’Orsay pose un jalon important dans le monde de l’art, puisqu’il s’agit de la première exposition consacrée à l’analyse des cheminements complexes de l’académisme. L’exposition mettra en relief la qualité hétérogène, raffinée et éblouissante de cette peinture durant une période brillante de résurgence du genre, dernier chant du cygne avant sa disparition définitive.

    Je souhaite adresser mes remerciements les plus chaleureux au musée d’Orsay, notamment à son président, Guy Cogeval, car cette exposition n’aurait pu voir le jour sans son enthousiasme et sa générosité. Je souhaite ­également exprimer ma reconnaissance à Olivier Simmat, directeur du mécénat et des relations internationales, pour son engagement personnel dans le projet, et à Jean Naudin, responsable des expositions internationales. Par ailleurs, je tiens à remercier le commissaire scientifique, Côme Fabre, pour son projet passionnant, ainsi que ­Stéphane Guégan et les autres collaborateurs au catalogue pour leur contribution essentielle. Nous leur ­témoignons tous, au nom de FUNDACIÓN MAPFRE, notre sincère gratitude.

    Antonio Huertas Mejías

    PRÉSIDENT DE FUNDACIÓN MAPFRE

    EXPOSITION

    Commissariat général

    Guy Cogeval

    Pablo Jiménez Burillo

    Commissariat scientifique

    Côme Fabre

    Direction du projet

    Olivier Simmat

    Coordination générale musée d’Orsay

    Jean Naudin

    Coordination Fundación Mapfre

    Blanca de la Válgoma

    Scénographie

    Jesús Moreno & Asociados

    Régisseur

    Pedro Benito

    Accrochage

    Castellanos BM

    Transport

    SIT Transportes Internacionales S.A.

    LP Art

    Assurance

    MAPFRE SEGUROS DE EMPRESAS,

    Compañía de Seguros y Reaseguros, S. A.

    CATALOGUE

    Direction éditoriale

    Côme Fabre

    Stéphane Guégan

    Coordination

    Blanca de la Válgoma

    Direction de production

    Paloma Castellanos

    Relecture

    Geneviève Naud

    Traduction

    Polisemia

    Création graphique

    Francisco J. Rocha

    Photogravure et mise en pages

    Moonbook

    Impression

    Brizzolis

    Reliure

    Ramos, S.A.

    Dépôt légal : M-1984-2015

    ISBN : 978-84-9844-539-8

    FUNDACIÓN MAPFRE souhaite exprimer sa sincère gratitude à toutes les personnes et institutions ayant contribué à l’organisation de cette exposition, et notamment à Guy Cogeval, président du musée d’Orsay, pour son engagement généreux dans ce projet. Nous tenons également à remercier d’autres hauts responsables du musée d’Orsay pour leur collaboration : Olivier Simmat, directeur du mécénat et des relations internationales, Jean Naudin, responsable des expositions internationales, et Côme Fabre, conservateur du musée et commissaire scientifique de l’exposition. Leur expérience, leurs connaissances, leur travail et leur diligence ont été déterminants pour mener à bien ce projet.

    Nous adressons par ailleurs des remerciements particuliers aux auteurs ayant participé à l’élaboration de ce catalogue en effectuant des travaux exhaustifs de recherche et de documentation : Stéphane Guégan, Elsa Badie Modiri, Isabelle Gaëtan, Philippe Mariot et Annabelle Mathias.

    Nous tenons en outre à témoigner notre reconnaissance à toute l’équipe du musée d’Orsay pour sa précieuse contribution à ce ­projet d’exposition, en particulier à Yves Badetz, Stéphane Bayard, Claire Bernardi, Martine Bozon, Myriam Bru, Marie-Amandine Brunelle, Isabelle Cahn, Michel Cavanne, Michaël Chkroun, Mounir Dahmoul, Élise Dubreuil, Françoise Fur, Fiona Gomez, Claire Hayat, Oualid Hedhibi, Caroline Mathieu, Nathalie Mengelle, Coralie Mouton, Virginie Noubissié, Paul Perrin, Isolde Pludermacher, Xavier Rey, Bruno Roman, Patrice Schmidt, Dorothée Sellam, Élodie Tamburrini et Marie-Pierre Gauzes, ainsi qu’à leur équipe de montage.

    L’équipe chargée des travaux de conservation et de restauration de plusieurs œuvres de l’exposition mérite également d’être citée : Catherine Haviland, Franziska Hourrière, Patrick Mandron, Claudia Sindaco, Bénédicte Trémollières et Patricia Vergez.

    Finalement, nous adressons nos chaleureux remerciements aux institutions et aux collections ayant prêté des œuvres pour cette exposition ou cédé des pièces détenues en dépôt, ainsi qu’à leurs responsables, pour leur généreuse disposition à collaborer à l’événement :

    Direction régionale des affaires culturelles de Rhône-Alpes : Jean-François Marguerin, Frédéric Henriot et Catherine Guillot

    Musée des Beaux-Arts de Nîmes : Pascal Trarieux

    Bibliothèque nationale de France : Bruno Racine

    Musée du Louvre : Jean-Luc Martinez et Sébastien Allard

    Musée national du château de Versailles : Béatrix Saule et Frédéric Lacaille

    Musée des Beaux-Arts, Strasbourg : Joëlle Pijaudier-Cabot et Dominique Jacquot

    Musée des Beaux-Arts, Reims : David Liot

    Musée des Beaux-Arts, Nantes : Blandine Chavanne et Cyrille Sciama

    Musée national de la Coopération franco-américaine, Blérancourt : Anne Dopfer

    Palais des Beaux-Arts, Lille : Bruno Girveau et Annie Scottez-De Wambrechies

    Musée d’Unterlinden, Colmar : Hélène Cascaro

    Musée municipal, Cambrai : Thiphaine Hébert

    Musée de Picardie, Amiens : Sabine Cazenave et Olivia Voisin

    Musée d’art et d’archéologie, Moulins : Jean-Paul Dufresne et Judith Hénon

    Musée Condé, Chantilly : Nicole Garnier

    Académie des beaux-arts : Arnaud d’Hauterives, Jean-Louis Goubin et Alexandra Poulakos-Stehle

    Nous témoignons enfin notre immense gratitude à toutes les autres personnes ayant préféré rester dans l’anonymat.

    AC16.jpg

    Hector Leroux,

    Herculanum, 23 août, an 79,

    détail de cat. 17

    AC01.jpg

    ILL. 1 Détail de cat. 2

    INTERVIEW DE GUY COGEVAL

    PRÉSIDENT DE L’ÉTABLISSEMENT PUBLIC DU

    MUSÉE D’ORSAY ET DU MUSÉE DE L’ORANGERIE

    L’art vulgaire

    On peut dire que c’est la première fois que le musée d’Orsay présente à l’étranger sa collection de peinture académique.

    GC : Oui, c’est même la première fois tout court. Je remercie la fondation Mapfre d’avoir eu cette initiative car, sans elle, nous ne l’aurions jamais fait. Voilà trente ans que le musée d’Orsay existe, trente ans donc pour que ce rêve devienne réalité. Il peut paraître incroyable qu’il ait fallu attendre si longtemps avant qu’une institution étrangère s’intéresse à ce fonds, c’est une excellente et rare initiative, qui me ravit.

    Le moment est donc devenu opportun pour faire rayonner ces maîtres ?

    GC : Ce n’est plus un sujet de controverses ; on n’en est plus à s’interroger s’il faut prendre le parti de Bouguereau ou être contre Bouguereau. Ces querelles sont devenues stériles aujourd’hui, et c’est tout simplement avec enthousiasme que tous les conservateurs ont accepté la dation d’œuvres de Bouguereau en 2010, par exemple. Elle a contribué à changer considérablement la vision que nous avions du xixe siècle, et de la place de Bouguereau dans la tradition académique en particulier. Parmi les cinq œuvres acquises, deux d’entre elles, composées autour de 1850, montrent un incroyable souffle romantique et la virtuosité d’un peintre d’histoire à son meilleur niveau.

    Pensez-vous que nous sommes aujourd’hui mieux disposés à regarder ce peintre sans préjugés ?

    GC : Oui, je pense que nous avons aujourd’hui une lecture plus rétrospective et plus générale de cette peinture, sans distribuer les bons ni les mauvais points. Je ne me considère pas comme un surveillant général dans une école, je cherche à présenter le mieux possible les œuvres dont j’ai la responsabilité, en veillant à donner autant leur chance aux impressionnistes qu’aux peintres académiques, souvent qualifiés péjorativement de pompiers¹. en France. Aujourd’hui, ils débordent largement des espaces auxquels ils étaient cantonnés à l’origine. À l’ouverture du musée d’Orsay, certaines voix s’étaient élevées pour déplorer que les impressionnistes étaient relégués dans les combles du bâtiment, dans les « chambres de bonnes », et que les académiques étaient trop mis à l’honneur au rez-de-chaussée. Vision faussée puisque l’intention de Michel Laclotte, directeur du musée à cette époque, était au contraire d’exalter les impressionnistes en leur donnant une galerie baignée de lumière naturelle, qui les isolait de toute « contamination » des académiques. Aujourd’hui, nous n’en sommes plus là : nous essayons de montrer l’histoire de la peinture par catégories et par sujets représentés. Je crois que l’approche iconographique est très importante. Je souhaite montrer que certains tableaux de Cézanne s’intéressent aux mêmes sujets que des peintres académiques, en apparence très éloignés.

    C’est précisément la démarche choisie pour cette exposition qui présente les œuvres par genres artistiques et sujets représentés, ce qui permet quelques rencontres intéressantes, comme entre Lefebvre et Courbet sur l’exercice du nu, par exemple.

    GC : Courbet est, comme Rubens, un grand voluptueux. Il a consacré une large partie de sa vie à la conquête des femmes, il aimait les belles femmes et l’a montré dans sa propre peinture.

    Pensez-vous que les développements de l’art contemporain ont joué un rôle dans le regain d’attention portée à cette peinture ?

    GC : Je pense qu’un rôle essentiel est joué actuellement par Jeff Koons, qui égalise toujours davantage la position entre les représentants de l’avant-garde et ceux de la tradition. Il les regarde avec une intensité égale. Même si Jeff Koons n’a peut-être pas une connaissance précise du phénomène de l’art pompier, il se réclame autant — par provocation — de la peinture académique que des impressionnistes, qu’il juge parfois plus sévèrement, les peintres de paysages, par exemple. Ce ne sont pas les champs de blé et les tartes aux pommes qui l’intéressent chez Monet, beaucoup moins que les Cathédrales, qui mettent en jeu bien d’autres écueils de la peinture. Les plasticiens français Pierre et Gilles, de leur côté, admirent beaucoup un peintre académique tel que Delaunay. Je crois que c’est Pierre que les parents emmenaient dans son enfance visiter le musée des Beaux-Arts de Nantes : parmi les peintres obligés, il y avait les gloires locales telles que Delaunay, un des maîtres de la peinture au milieu du xixe siècle.

    On a même l’impression que les académiques sont particulièrement à la mode en ce moment : Jean-Paul Gaultier détourne et rhabille les nus féminins de Bouguereau pour une ligne de tissus décoratifs de luxe. Début 2014, un artiste italien, Rino Stefano Tagliafierro, enregistrait en quelques mois près de cinq millions de vues pour une vidéo intitulée Beauty, où il donne vie à une pléiade de tableaux de Bouguereau...

    GC : Cela m’intrigue beaucoup qu’un Italien contemporain s’intéresse à la peinture pompier française. Bouguereau fascine car il est comme l’essence du système académique français dans son ampleur maximale. Cela n’aurait sans doute pas eu la même force de s’attaquer à la peinture académique italienne du xixe siècle : au fond, en Italie, les peintres nationaux pompiers ont eu autant de chance que les novateurs. Il n’existait pas comme en France cette flétrissure, cette ségrégation entre académisme et avant-garde, entre une peinture digne et une peinture indigne de figurer dans un musée. Le musée d’Orsay lui-même, tel qu’il fut inauguré en 1986, était encore tributaire de ces principes-là. Il ne faut pas croire que le musée était alors fondé sur l’intention d’accorder une attention égale aux pompiers et aux non-pompiers. Michel Laclotte, dans l’obsession d’exalter l’impressionnisme, s’est toujours interdit de donner trop d’importance aux académiques. Mais ils ne se sont pas si mal défendus, malgré leur présence si incomplète à l’origine !

    Remontons justement dans le temps : quand et comment avez-vous découvert la peinture académique du xixe siècle ?

    GC : Mon goût m’a toujours conduit à privilégier la peinture à sujet, celle qui raconte quelque chose : rien ne m’ennuyait tant que la peinture « sans sujet » du xixe siècle. Au contraire, je découvrais avec délectation Cabanel et Gérôme, que j’ai toujours adorés depuis. J’avais bien évidemment tort d’écarter Cézanne et Renoir au début, et j’ai su surmonter cette aversion à partir du moment où j’ai pris conscience qu’ils savent traiter des sujets académiques de manière très originale, subvertir l’image par une manière qui laisse libre cours à de spectaculaires effets de matière.

    Mais, que pouvait-on voir de Gérôme réellement, à Paris, dans les années 1970 ?

    GC : Peu de choses en réalité : c’était une connaissance principalement livresque, à travers des reproductions en noir et blanc ou aux couleurs très criardes. Il y avait dans les années 1980 une publication très connue qui s’intitulait Les peintres pompiers : la peinture académique en France de 1830 à 1880, écrite par James Harding. C’est dans ce livre que j’ai découvert et apprécié avant tout Alma-Tadema et Gérôme, qui étaient assez bien reproduits avec des couleurs fidèles. Mais je pense que le premier grand choc que j’ai reçu a été l’exposition William Bouguereau, présentée au Grand Palais en 1984. Michel Laclotte avait jeté l’anathème sur cette exposition, ce qui avait évidemment suffi à me donner le goût de l’interdit. Bien entendu, nous ne partagions pas les positions violemment révisionnistes de Thérèse Burollet, commissaire de l’exposition Bouguereau. Il faut dire qu’elle était une personnalité qui aimait scandaliser son monde, elle se résumait à une attitude profondément provocatrice à elle seule. Mais la programmation qu’elle soutenait au Petit Palais, musée municipal de Paris, avait l’aplomb de proposer un contrepoids réel à la politique d’expositions que tenait l’État juste en face, dans les galeries nationales du Grand Palais. Je me souviens d’une très belle exposition Hodler, en 1983, qui faisait face à l’exposition Monet de Françoise Cachin.

    Lorsqu’on relit la préface de ce catalogue Bouguereau, on est frappé par les arguments presque caricaturaux qu’emploie Thérèse Burollet pour réhabiliter les académiques contre ce qu’elle appelle « la faveur actuelle pour le hâtif et le pauvre ». Elle déclare, par exemple, que ces derniers avaient eu un comportement responsable et patriotique durant les événements de 1870 et 1871, au contraire de Monet ou Pissarro, accusés d’avoir fui à Londres...

    GC : Oui, mais je me souviens aussi qu’elle citait des propos intéressants de Bouguereau, qui contestaient la validité de la peinture en plein air, parce que sous le soleil, tout le monde fait la grimace, on ne peut pas voir correctement comme le ferait l’œil photographique. C’est un bel argument !

    Aviez-vous vu, dix ans plus tôt, l’exposition Équivoques au musée des Arts décoratifs, qui était pionnière sur la peinture académique ?

    GC : C’est l’une des toutes premières expositions que j’ai vues dans ma vie. Une exposition exceptionnelle. Malgré une affiche désastreuse : la Fantaisie de Gustave Doré ne rendait pas du tout compte de la richesse exceptionnelle de cette exposition. Dans le même musée, j’avais vu une exposition sur le symboliste belge Fernand Khnopff, qui était spectaculaire car des ampoules étaient enrobées de parfums qui se diffusaient avec la chaleur. On était enveloppé de senteurs qui montaient à la tête au milieu des visions de Khnopff !

    C’est assez révélateur de constater que ce n’est pas dans un musée des Beaux-Arts, mais dans un musée d’Arts décoratifs que cette peinture a été officiellement réexposée pour la première fois à Paris : est-ce à dire qu’on ne voulait pas la prendre au sérieux ?

    GC : C’était en effet la position des défenseurs de l’art académique : on affirmait aimer ça, mais sans en dire plus. C’était un peu léger ! On n’osait pas, ou on ne savait pas avancer des arguments sérieux, et on ne savait pas expliquer comment cette peinture savait traiter plus profondément certains sujets. L’attrait que l’on éprouvait pour les académiques tenait plus de la fulgurance, voire de l’orgasme, que de la délectation distanciée.

    Un mélange ambigu de fascination et de malaise ?

    GC : Oui, et le sentiment d’être dans la transgression absolue en disant des choses pareilles.

    http://www.photo.rmn.fr/CorexDoc/RMN/Media/TR1/10F5VT/13-534807.jpg

    ILL. 2

    Musée d’Orsay, salle 3 « Bouguereau », 2013

    Et vous, étiez-vous dans cette transgression ?

    GC : J’étais plutôt dans la transgression par vocation, par ravissement, mais pas dans le révisionnisme que j’avais en horreur : les propos des révisionnistes m’évoquaient l’odeur de renfermé dans une sacristie !

    Parmi les personnalités déterminantes dans la réévaluation du versant académique du xixe siècle et qui vous ont marqué, il y a en revanche Robert Rosenblum.

    GC : Il était, et reste encore, mon père spirituel, mon maître à penser absolu. C’est la personne que j’ai le plus respectée dans ma vie professionnelle. J’adore tout ce qu’il a écrit dans le catalogue de l’exposition De David à Delacroix, par exemple, ainsi que son fameux livre Transformations in Late Eighteenth Century Art, où il passait sans cesse du high au low, faisait des comparaisons avec l’art contemporain américain. C’est une manière de procéder extrêmement spectaculaire et très moderne. Je le connaissais personnellement, nous nous sommes téléphoné presque chaque semaine à l’époque où je travaillais à Montréal et qu’il était installé à New York : nous parlions des expositions, des dernières acquisitions des musées nord-américains... Il adorait les petits maîtres néoclassiques. Il m’avait aidé dans mes premiers pas au Canada en écrivant des articles où il m’avait surnommé « the French connector » !

    Vous avez travaillé au Canada, à la tête du musée des beaux-arts de Montréal : quel était le regard que l’on portait là-bas sur la peinture académique française du xixe siècle ?

    GC : Il y avait naturellement de fervents défenseurs de l’impressionnisme, telle Jean Sutherland Boggs, qui dirigeait la National Gallery d’Ottawa, mais il y avait Louise d’Argencourt, conservatrice à Montréal, qui a beaucoup défendu Pierre Puvis de Chavannes et Bouguereau, et Michael Pantazzi, conservateur en chef à la National Gallery d’Ottawa. Louise avait coorganisé l’exposition Bouguereau qui, après le Petit Palais, avait fait étape à Montréal. Elle était proche des descendants de l’artiste, et c’est aussi grâce à elle que la dation de cinq œuvres du maître au musée d’Orsay s’est réalisée.

    Nous retournons donc à Paris, où vous dirigez depuis 2008 le musée d’Orsay. Depuis son ouverture, le musée souffrait d’un manque d’espace adapté pour présenter sous son meilleur jour la peinture académique. Quel était le but recherché lorsque vous avez inauguré les « salles Luxembourg », en janvier 2013 ?

    GC : Ces aménagements sont intervenus après avoir achevé la rénovation des salles impressionnistes et postimpressionnistes : c’était pour moi la cerise sur le gâteau, l’aboutissement de mon premier mandat à la tête du musée d’Orsay. La galerie des impressionnistes du cinquième étage avait été rénovée grâce à la vision de l’architecte Jean-Michel Wilmotte ; en revanche, les salles de peinture académique au rez-de-chaussée ont été transformées selon les plans de Virginia Fienga, architecte et muséographe du musée d’Orsay, qui apprécie cet art et lui a rendu tout son relief et sa grandeur par des cimaises très hautes peintes en rouge et un éclairage artificiel très précis. Ces salles rénovées portent le nom du musée du Luxembourg, qui était l’ancêtre du musée d’Orsay puisqu’il abritait au xixe siècle et au début du xxe siècle les acquisitions de peinture contemporaine faites par l’État. Dans les années 1920, on y trouvait une proximité entre les académiques d’une part, et les chefs-d’œuvre de Degas, de Monet ou de Manet, entrés grâce au legs Caillebotte, par exemple. Aujourd’hui, les salles Luxembourg permettent de retrouver cette fluidité. Par ailleurs, certains peintres disparus de la conscience collective reprennent vie, comme Félix Barrias, dont Les Exilés de Tibère est revenu de dépôt en 2009.

    734.png

    ILL. 3 Rudolf Schlichter,

    Blinde Macht [Puissance aveugle],

    1935-1937, Berlin, Berlinische

    galerie-Landesmuseum für Moderne Kunst, Fotografie und Architektur

    ILL. 4 Henri-Camille Danger,

    Fléau !, détail de cat. 72

    Quels sont vos souhaits pour enrichir encore la présentation ?

    GC : J’espère pouvoir faire restaurer et retendre sur leur châssis d’origine d’immenses tableaux d’histoire qui sont actuellement encore roulés en réserve. C’est le cas, par exemple, de Sylla chez Marius de Benjamin Ulmann, qui mesure près de cinq mètres de large et date de 1866. Il sera présenté pour la première fois à l’occasion d’une exposition dédiée à l’art français sous le second Empire, en 2016. Il s’annonce comme une merveille. Il faut réintroduire la peinture académique au compte-gouttes, c’est très salutaire pour le musée.

    Vous avez orchestré de nombreux retours d’œuvres envoyées par l’État depuis plusieurs décennies en dépôt dans des musées de province ou dans les administrations. Mais depuis 2014, le musée d’Orsay accueille à son tour le dépôt de grandes « machines » que certains musées régionaux ne peuvent pas actuellement exposer.

    GC : C’est le sort de ces tableaux de ne parfois pas pouvoir trouver leur place dans leur musée d’origine, faute d’espace. Nous accueillons en ce moment Le Christ au prétoire du musée des Beaux-Arts de Nantes, qui est actuellement en cours de rénovation, et le Rêve de bonheur, de Dominique Papety, envoyé par la ville de Compiègne.

    Depuis la rétrospective dédiée à Jean-Paul Laurens en 1997, il a fallu attendre 2010 pour voir au musée d’Orsay une nouvelle exposition monographique consacrée à un artiste pompier : Jean-Léon Gérôme.

    GC : J’ai été absolument ravi de rendre enfin hommage à Gérôme : pour cela, j’ai choisi d’écrire un texte plutôt personnel en tête du catalogue, d’opter pour des couleurs très percutantes dans les salles, de sortir d’une présentation trop docte de sa carrière pour mettre en valeur son côté hors normes. Et nous avions aussi programmé un exceptionnel programme de films consacré au péplum (le Ben-Hur de Fred Niblo, 1926, et Le Signe de la croix de Cecil B. DeMille, 1932).

    La collection s’enrichit aussi par les acquisitions. Vous avez décidé, depuis 2012, de faire entrer un certain nombre de tableaux de Salon, signés par des artistes peu connus, tel l’étonnant Fléau ! d’Henri-Camille Danger.

    GC : Je suis toujours frappé par la brutalité de ce tableau. Il m’a tout de suite fait penser à Puissance aveugle, un superbe tableau du réaliste allemand antinazi Rudolf Schlichter, qui date des années 1930 et que j’avais remarqué dans une exposition que Jean Clair avait dédiée aux réalismes de l’entre-deux-guerres, en 1980, au Centre Pompidou. C’est un automate humain qui avance en détruisant tout sur son passage. Peint trente ans plus tôt, Fléau ! présente déjà cette même force nihiliste, la même violence abrutie d’un Golem massacrant. C’est beaucoup plus tard que je me suis rendu compte que j’avais déjà pu croiser cette œuvre, sous forme d’une reproduction en noir et blanc dans un périodique que je lisais dans ma jeunesse, Hara Kiri². C’était une rubrique appelée « L’art vulgaire », où l’on pratiquait avec délectation des détournements des peintures pompier de la Belle Époque en faisant parler les personnages dans un argot très cru. Le géant se plaint qu’on le serve mal dans une boulangerie parce qu’il a un trop petit sexe ! Il le dit évidemment en des termes beaucoup plus colorés, ce qui rajoute à la drôlerie de la scène... Lorsque j’étais enfant, à Paris, mon école se situait rue Choron, juste en face des bureaux de la rédaction de Hara-Kiri. Il suffisait de traverser la rue pour voir les plus récentes parutions de ce journal, ce qui désespérait les parents d’élèves !

    Dans quelles circonstances avez-vous découvert cette œuvre et décidé de l’acquérir ?

    GC : Je l’ai découverte sur le stand de la galerie Lécuyer à l’intérieur du Pavillon des Arts et du Design, qui se tient chaque année au jardin des Tuileries et dont je suis membre du jury. J’étais en arrêt devant le tableau quand Pierre Rosenberg, ancien directeur du musée du Louvre, passe et me dit : « Cela m’étonnerait que vous osiez acheter une œuvre pareille ! » « On parie, Pierre ? »... C’était un peu raide, mais je l’ai fait acquérir, et elle a été présentée pour la première fois au public dans l’exposition Masculin / Masculin à l’automne 2013. Elle a tout de suite eu un grand retentissement auprès du public, à tel point qu’elle est devenue le symbole de l’exposition pour sa seconde étape, à Mexico. C’est devenu l’affiche de l’exposition, ce que je n’avais pas osé faire pour l’étape parisienne. Les Mexicains n’avaient pas peur du caractère sanglant et de l’incroyable mauvais goût de cette peinture. Mais, pour aimer l’art pompier, il faut savoir sortir de soi-même et ne pas avoir peur de ce que va dire ou penser son voisin. On ne fait pas une exposition sur l’académisme pour s’insérer dans le monde professionnel des musées : il faut garder un caractère dévastateur et aimer la provocation pour défendre cette peinture. Un peu comme Jeff Koons aujourd’hui, c’est un manifeste de mauvais goût ! L’excès de bon goût confine à l’ennui le plus total. C’est le désert des Tartares des conservateurs français.

    http://pmcdn.priceminister.com/photo/858410455_L.jpg

    ILL. 5 Couverture du livre de

    Gébé et Choron,

    L’art vulgaire, Paris,

    éditions du Square, 1982

    La présente exposition se clôture justement sur un geste très provocant en mettant, côte à côte, deux chefs-d’œuvre ultimes et excessifs de Bouguereau et de Renoir, Les Oréades (cat. 83) et Les Baigneuses (cat. 84).

    GC : C’est très intéressant de montrer que ces œuvres sont tout sauf une impasse et ouvrent des champs à certaines tendances de l’art du xxe siècle : il faut rappeler que le dernier Renoir a profondément inspiré Giorgio De Chirico à partir de 1918-1919, quand il abandonne la peinture métaphysique. Il s’intéressait beaucoup à la manière dont Renoir peignait les grosses femmes dans une matière grasse et rubiconde. Quant aux Oréades de Bouguereau, elles m’intéressent depuis les origines car j’y vois tout le miel que pouvait en faire un Salvador Dalí. Dans les années 1930-1940, Dalí a beaucoup regardé la peinture pompier, en particulier d’Ernest Meissonier, qu’il adulait. Il y a des pages extraordinaires dans lesquelles il parle de Campagne de France, 1814 (cat. 28) et du caractère hallucinatoire du fleuve de boue gelée dans lequel avance Napoléon. C’est très intéressant de voir comment Dalí est obnubilé par la terre : c’est lui qui avait eu la prescience hallucinatoire de ce que les paysans de L’Angélus de Jean-François Millet priaient devant le cercueil d’un enfant mort. La radiographie du tableau faite par les équipes scientifiques du Louvre lui a presque donné raison ! Je proclame la nécessité de la méthode paranoïa-critique pour tous les conservateurs de musée : c’est une question d’hygiène mentale !

    Notes

    ¹ Cf. note 7 de l’essai de Côme Fabre.

    ² Ces pages étaient déjà maquettées quand j’ai appris la nouvelle du terrible attentat contre la revue Charlie Hebdo (dont le précurseur fut, entre 1969 et 1981, le magazine Hara-Kiri). Je tiens à manifester ma désolation, ma tristesse ainsi que mon admiration tant pour la revue que pour sa rédaction qui, comme on l’a constaté, même d’une manière héroïque, a toujours su défendre la liberté de jugement et d’expression. Charlie Hebdo s’inscrira pour toujours dans ma mémoire comme une référence belle et précieuse à toutes nos libertés et à leur fragilité.

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    ILL. 1 Détail de cat. 64

    PABLO JIMÉNEZ BURILLO

    Le chant du cygne : un nouveau regard sur l’art académique des Salons de Paris

    Aux bourgeois.

    Vous êtes la majorité, — nombre et intelligence ; — donc vous êtes la force, — qui est la justice.

    Vous pouvez vivre trois jours sans pain ; — sans poésie, jamais ; […].

    Les aristocrates de la pensée, les distributeurs de l’éloge et du blâme,

    les accapareurs des choses spirituelles,

    vous ont dit que vous n’aviez pas le droit de sentir et de jouir : — ce sont des pharisiens.

    Car vous possédez le gouvernement d’une cité où est le public de l’univers,

    et il faut que vous soyez dignes de cette tâche […].

    Or vous avez besoin d’art.

    […] C’est donc à vous, bourgeois, que ce livre est naturellement dédié ;

    car tout livre qui ne s’adresse pas à la majorité, — nombre et intelligence, — est un sot livre.

    Charles Baudelaire, Salon de 1846¹

    Nous savons tous — ou croyons savoir — ce que renferme la notion d’art académique, surtout lorsqu’il s’ agit de l’art académique français ou, comme dans ce cas, de la peinture et des peintres académiques. Cependant, en approfondissant, il s’avère difficile de dresser un inventaire des peintres académiques ou de tracer les frontières précises d’un type de peinture que l’on considère comme une démarche esthétique, une manière d’appréhender la beauté et l’art par rapport à d’autres approches. D’après le dictionnaire, l’adjectif « académique » désigne un artiste ou une œuvre qui « respecte scrupuleusement les règles classiques », à savoir les règles qui sont dignes d’être imitées ou, plus précisément, qui nous renvoient à l’Antiquité grecque ou romaine.

    L’Académie et les peintres académiques semblaient donc postuler une beauté universelle qu’ils assimilaient à une distillation harmonieuse de la réalité et de ses canons, dont les règles et les exemples avaient été établis dans l’Antiquité. En conséquence, les différentes académies s’efforçaient de rassembler des copies de ces modèles de sculptures classiques pour que la pureté du canon perdure. Seule la Renaissance, par le biais de quelques artistes tels que Michel-Ange, avait su égaler, voire améliorer, ce modèle de perfection. Quoi qu’il en soit, ce modèle prenait l’eau de toutes parts au début du xixe siècle. Mieux on connaissait le passé, plus il semblait confus et divers, car il n’était pas un, inamovible et éternel — comme on l’avait pensé —, mais varié, ambigu et difficile à reconnaître dans certains cas, du moins tel que l’Antiquité l’avait défini. À partir du milieu du xixe siècle, la démocratisation de l’art — processus lancé au sein de l’Académie avant de se propager — révéla la difficile cohabitation avec un type de peinture qui était tourné vers le passé mais qui était en permanente évolution. Ce type de peinture était né dans la propre Académie et dépendait de celle-ci, mais cette institution commençait alors à s’affaiblir sérieusement et finit par se dissoudre à la fin du siècle.

    La peinture du Salon regroupait des artistes et des courants divers qui ne peuvent être classés dans des catégories précises, contrairement à ce que prétendaient les historiographes durant la première moitié du xxe siècle. De même que l’institution, l’évolution de la peinture académique durant la seconde moitié du xixe siècle se caractérise par le fait d’être plongée dans une sorte de crise face à un monde en plein développement et très changeant. Les artistes utilisaient les ressources du passé mais introduisaient aussi de nouveaux éléments qu’ils puisaient dans la modernité, effaçant peu à peu les limites entre les uns et les autres : le réalisme de Courbet dialogue avec Manet et sa génération ; l’imagination de Moreau est à l’origine de l’expressionnisme du xxe siècle, mais également des décadentistes ; la décadence de Moreau est l’un des ingrédients du surréalisme, de même que l’idéalisation de Puvis de Chavannes ; on ne peut comprendre les impressionnistes sans l’existence de Corot, ni les synthétistes en faisant abstraction de Denis — dont le lien avec Cézanne est manifeste —, tandis que le symbolisme compte Puvis de Chavannes parmi ses principaux représentants ; la relation entre De Chirico et la peinture d’Europe centrale, en particulier celle de Böcklin, est directe et évidente, ouvrant les portes du noucentisme et du surréalisme de De Chirico ; le dialogue de Böcklin, Franz von Stuck et Hans Thoma avec le symbolisme centre-européen est l’un des axes fondamentaux des transformations de l’art à la fin du xxe siècle… et ainsi de suite pour les connexions entre les uns et les autres.

    Depuis plus de vingt ans déjà, et sous divers angles, plusieurs démarches ont peu à peu remis en cause une conception « canonique », aux cloisonnements presque inamovibles. Cela a non seulement permis de redécouvrir des artistes, mais aussi d’organiser de multiples expositions dans lesquelles les grands maîtres de l’art contemporain — comme Picasso — étaient confrontés à leurs maîtres classiques².

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    ILL. 2 Dante Gabriel Rossetti,

    L’Annonciation, 1849-1950,

    Londres, Tate Britain

    S’ajoute à tout cela une tendance de la muséographie internationale à remplacer, pour la présentation des collections permanentes, les critères diachroniques d’évolution temporelle par des critères thématiques. Cela permet de faire cohabiter des œuvres de différentes périodes et de montrer que le contenu peut être un argument plus convaincant que les fameux courants, mouvements ou styles de chaque époque.

    Par ailleurs, les différentes écoles régionales ont été étudiées plus en profondeur. Il est ainsi devenu de plus en plus clair que l’avènement du monde moderne a été vécu de façon distincte dans la périphérie et que le voyage vers la contemporanéité a emprunté divers itinéraires.

    Aujourd’hui, les visiteurs des musées se sentent moins intimidés et plus disposés à faire valoir leurs goûts personnels. En effet, les musées et les expositions se sont affirmés non seulement comme des lieux d’étude et d’apprentissage mais aussi, et surtout, comme des espaces d’expériences personnelles.

    L’art académique est généralement considéré comme un art statique, réfractaire et cloisonné, mais le premier aspect intéressant de cette exposition est qu’elle montre que c’est un art qui évolue, de même que les autres courants, en fonction des modes et des changements de goûts, et qui est également en proie au vertige dans un monde en transformation permanente. Du nu d’Ingres (cat. 1) à celui de Renoir (cat. 84), de ceux plus classiques de Henner (cat. 11 et 40) au géant de Danger (cat. 72) ou aux tableaux délirants de Bouguereau (cat. 63, 64 et 83), on observe une profonde mutation, un voyage vers la disparition d’une manière de peindre mais aussi vers la fin d’un monde qui s’éteindra avec la Première Guerre mondiale.

    Pour simplifier, on pourrait dire que les artistes réagirent en entreprenant plusieurs voyages — le voyage étant en quelque sorte un moyen de réaction moderne — : le voyage et la quête d’un refuge dans le passé, chez les peintres académiques et les préraphaélites (ill. 2) ; le voyage vers l’exotisme des orientalistes, qui situaient la vie quotidienne dans des régions lointaines ; le voyage des symbolistes vers l’au-delà, vers d’autres mondes ; le véritable voyage de ceux qui fuyaient l’horreur du monde moderne, comme Gauguin et tant d’autres ; et enfin, le voyage vers l’avenir des visionnaires et des amoureux du progrès.

    Ainsi, en fuyant le monde moderne, certains contribuèrent à le façonner et à nous en donner la meilleure définition. Comme nous l’avons vu, les concepts « contemporain » et « moderne » sont avant tout des critères esthétiques et non pas chronologiques, contrairement à ce que l’on pourrait penser. Le moderne est celui qui vit à la mode, et pour être moderne, il faut créer un ennemi : l’antimoderne. Ce dernier persiste à aborder des thèmes qui ne sont plus d’actualité dans le nouveau monde moderne : la mort, la douleur, la souffrance, les passions et les grands sentiments, l’individuel et le psychologique, le local, les citations du passé, la connotation, la narration, etc. — le tout enveloppé dans l’esthétisme — face à l’asepsie, au général, au démocratique, à l’ambigu, etc. — le tout enveloppé dans la liberté. En fin de compte, rien de nouveau, une nouvelle dispute entre anciens et modernes, qui acquiert toutefois la virulence propre au xxe siècle et aux transformations subies par notre manière d’appréhender l’art comme quelque chose qui a une valeur en soi, qu’il faut préserver et que nous devons conserver dans les musées, en marge du reste de la réalité.

    Cette exposition vise à parcourir l’art académique français du xixe siècle, l’art qui triompha au Salon et qui suscita la réaction de ceux que nous considérons aujourd’hui comme les pères de l’art contemporain. Dans aucun autre pays du monde le conflit entre ces deux conceptions de l’art ne fut aussi virulent : l’Italie, l’Allemagne, la Grande-Bretagne, la Russie et même certains pays périphériques comme l’Espagne connurent des transformations des goûts et de l’art qui n’atteignirent jamais les proportions du conflit qui éclata à Paris. Il est vrai que Paris était le centre du monde, mais il n’en reste pas moins que les différentes peintures académiques de chaque pays connurent une évolution plus naturelle vers les nouvelles approches.

    Cette exposition vise non seulement à rendre hommage à une étape peu et mal considérée de notre art récent, en l’ouvrant à des regards neufs et à un goût nouveau, mais aussi à évoquer une histoire héroïque, une partie importante de l’histoire de la peinture, dont le dénouement fut aussi beau qu’extravagant. Les peintres académiques furent les héritiers de leur époque et leur peinture traduit les contradictions, les changements et la volonté de survie d’un monde condamné à mourir mais qui renfermait le germe du nouveau monde qui est le nôtre. Plus que le contrepoids précieux des héros de l’art moderne, ils sont les acteurs d’une histoire qui est en rapport avec notre histoire, nos fantasmes, nos goûts, nos désirs, nos craintes et, en définitive, avec notre cher monde moderne.

    La construction de l’art moderne au xixe siècle : entre l’académisme et la fin de siècle

    L’historiographie conventionnelle de l’art du xixe siècle a essentiellement mis en exergue le parcours de tous les artistes qui conduisait directement à l’art dit d’avant-garde. Cette approche a eu pour conséquence l’« oubli » d’une bonne partie de l’art créé tout au long du xixe siècle dans les différents pays d’Europe centrale et occidentale — un art qui, paradoxalement, jouissait de la prédilection du public et des institutions —, brossant un tableau unilatéral de la production artistique. Il convient de rappeler qu’au cours du xixe siècle, outre les artistes directement liés à l’avant-garde, il y eut de nombreux autres artistes et « styles » ou mouvements, aux perspectives différentes, parfois opposées et parfois complémentaires. La crise de l’historiographie conventionnelle et celle de l’art d’avant-garde³ ont exigé de se repencher sur les lignes d’évolution analysées jusqu’alors ainsi que sur d’autres qui étaient restées au second plan, tout en montrant qu’il était erroné d’assimiler l’art du xxe siècle — ou, plus encore, l’art moderne — à l’art d’avant-garde. D’autant plus que l’évolution des tendances dites d’avant-garde ou de pré-avant-garde serait totalement incompréhensible sans tenir compte de la « résistance » opposée par les orientations plus classiques, souvent qualifiées d’académiques.

    Parallèlement à l’histoire linéaire, il est nécessaire de se livrer à une analyse plus complexe, abordant non seulement les différentes orientations mais aussi les dialogues et les débats qu’elles ont suscités, les emprunts et les citations visibles chez les artistes et dans les œuvres. Des expositions comme celle-ci ont par ailleurs d’autres effets : tandis que l’on parle

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