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« Avec le temps, je me suis attaché à cet ordinateur vieux de sept ans, acheté aux États-Unis, donc à clavier “qwerty”, sur lequel j’ai écrit une grande partie de mes livres. Sur lequel, du coup, j’ai beaucoup souffert, douté, hurlé, Pour atteindre cette connexion charnelle avec le texte, il me faut de la rigueur, ne pas me laisser parasiter par l’ordinateur lui-même : il n’est que l’instrument de l’écriture, donc pas de fond d’écran personnalisé, pas de musique dedans, rien. Il me faut, aussi, une extrême régularité : tous les jours, je me réveille à 11 h 30 – la nuit, je lis jusqu’à 4 heures du matin –, puis j’écris de midi à 19 heures. En revanche, je peux travailler partout. Dans l’agitation d’Athènes, où je vis en ce moment, dans les cafés parisiens. Je dirais même que le calme me terrorise, que j’ai besoin, pour écrire, du chaos, du bruit, moi qui, petit, faisais mes devoirs sur un coin de table avec la télé allumée à fond et une famille très nombreuse autour. Et aujourd’hui, je ne veux pas m’enfermer dans le rôle un peu bourgeois, un peu sérieux, de l’auteur qui écrirait à son bureau avec ses petits chaussons dans son bel appartement. L’écriture, pour moi, c’est toujours s’enfuir, tenter d’être toujours autre part. En écrivant l’histoire d’une femme, ma mère, qui fuit encore un homme brutal, quelques années après avoir quitté mon père, je voulais que le rythme de la langue soit celui de la fugue, de la cavalcade – comme dans de Patrick Chamoiseau, que je lisais à ce moment-là. Il m’a fallu quinze, seize versions – jamais moins, comme à chaque livre – pour qu’on ait la sensation, en lisant, de courir avec Monique à bout de souffle. J’ai creusé, aussi, l’émotion de chaque phrase, car si j’avais écrit un livre qui ne fait pas pleurer, j’aurais trahi ma mère, elle dont la vie, face à la violence masculine, a été triste. Si la littérature disqualifie souvent le “pathos”, le “tirelarmes”, moi je voulais au contraire que mon livre soit traversé par tous les affects ! »