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BAROQUE renaissance Ou comment le passé se conjugue au présent

Histoire connue, souvent retracée dans nos pages. Avant de l’étudier sous un angle neuf, maître par maître, (re)traversons pour mémoire ses premières étapes, au pas de cavalerie.

Siècle des Lumières, le XVIIIe fut celui des explorateurs. Explorer le futur par la science, le passé par l’encyclopédie et déjà, timidement, par la pratique. Aux premiers rayons du siècle, quelques musiciens anglais s’inquiètent du tour frivole que prend leur art depuis l’irruption de l’opéra. D’abord Academy of Vocal Music, ils adoptent en 1731 le nom d’Academy of Ancient Music, « afin de restaurer l’ancienne musique d’église ».

Sur le continent, un dessein analogue poussera le baron viennois Gottfried van Swieten à fonder en 1786 une Gesellschaft der Associerten (Société des Associés) où il rallumera la flamme de Bach et de Handel (réorchestré à sa demande par Mozart) bientôt transmise aux pères de la musicologie moderne, Raphael Georg Kiesewetter et Simon Molitor, jusqu’au prophète Nikolaus Harnoncourt.

La fièvre court de capitale en capitale. A Berlin puis Leipzig, Felix Mendelssohn réveille les Passions de Bach. Vers 1890 à Londres, le violoniste Arnold Dolmetsch tourne le dos à ses maîtres « romantiques » pour construire clavecins, luths, violes, et former avec sa famille ce qui servira de modèle aux « ensembles baroques », jouant ses propres éditions dans un style redevable aux traités historiques – son abondante Interpretation of the Music of the XVII & XVIII Centuries publiée en 1915 sera la bible d’un Thurston Dart, d’un Jean-Claude Malgoire.

A Paris, le professeur Alexandre Choron importe dès les années 1820 les messes de Palestrina et les oratorios de Handel, sources d’un long fleuve alimenté par Notre-Dame de Paris (Victor Hugo, 1831), la nouvelle Histoire de France (Jules Michelet, 1833-1875) et les Expositions universelles. L’ennemi intime de Berlioz, François-Joseph Fétis, invente en 1832 le Concert Historique et pour l’occasion emprunte luths, violes, clavecins. L’amnésie originelle du Conservatoire incite le compositeur Louis Niedermeyer à rouvrir l’école de Choron et produire un drame lyrique intitulé Stradella. A la fin du XIXe siècle, il sera imité par Charles Bordes, Vincent d’Indy et tout ce que la ville compte d’érudits au sein d’une Schola Cantorum où ressusciteront Monteverdi, Charpentier, Rameau, et qui poussera la jeune pianiste Wanda Landowska vers un illustre inconnu – le clavecin.

Par eux, ce qui n’était qu’expérience échappe au laboratoire pour séduire théâtres et institutions. Conquête aventureuse, parfois suspecte à ses propres capitaines, soudain victorieuse en 1973. Cette année-là, portée par le vent libertaire de 1968, encouragée par une crise pétrolière fatale à la « religion du progrès », l’Europe baroque éclate au grand jour : quelques mois séparent La Petite Bande (Sigiswald Kuijken et Gustav Leonhardt), The English Concert (Trevor Pinnock), The Academy of Ancient Music seconde période (Christopher Hogwood), The Taverner Consort (Andrew Parrott), Musica Antiqua Köln (Reinhard Goebel) et Hespèrion XX (Jordi Savall). Avant 1973, que pesaient les groupes spécialisés face aux orchestres de chambre, aux Münchener Bach-Orchester, aux Solisti Veneti ? Après 1973, le vent a tourné. L’orchestre de chambre traditionnel s’endort, le spécialiste s’éveille. Il en souffle du Nord (Amsterdam Baroque, 1979; Ricercar Consort 1981), du Sud (Giardino Armonico, 1985), de l’Ouest (English Baroque Soloists, 1978; Tafelmusik, 1979; King’s Consort, 1980), de l’Est (Concerto Köln, 1985; Freiburger Barockorchester, 1987).

La France accueille d’abord ces vents multiples. Même son répertoire naturel, Charpentier, Rameau, appartient aux experts flamands ou britanniques. Jusqu’en 1977, année qui voit simultanément Philippe Herreweghe fonder la Chapelle Royale et Jean-Claude Malgoire guider sa Grande Ecurie des instruments modernes vers les anciens. Les Arts florissants suivent en 1979, Les Musiciens du Louvre en 1982, Il Seminario Musicale en 1985, Le Concert Spirituel en 1987, Les Talens Lyriques en 1991, Le Concert d’Astrée en l’an 2000… Mais alors quelle tornade ! Jusqu’aux tropiques, jusqu’au cinéma (Tous les Matins du Monde, Farinelli, Le Roi danse), en une décennie la France classique est devenue baroque.

Baroque, oui. Nous remonterons d’ici peu au plain-chant, à la polyphonie Renaissance, à la « musique ancienne ». Pour l’heure, cap sur ce continent étendu d’Orfeo (Monteverdi, 1607) à Orfeo (Gluck, 1762), ce siècle et demi qu’on croyait éteint, où une poignée d’audacieux ont découvert des trésors intacts et dont, par-delà les modes et l’habitude, nous sommes encore loin d’avoir fait le tour.

MONTEVERDI

Le texte

En 1651, la troupe itinérante des Febiarmonici reprenait à Naples un opéra né à Venise huit ans plus tôt. Puis silence. Souvenir effacé, partition introuvable, ! Passent les siècles, et que nous arrive-t-il ? Au cours de la seule saison 2004-2005, un public plus nombreux qu’en 1651 applaudit à Strasbourg, Colmar, Mulhouse, Lyon, Beaune, à Varsovie, Zurich, Munich, Francfort, Düsseldorf, Hambourg, et deux fois à Paris, une au palais Garnier, une aux Champs-Elysées. Oui, la en 1925 pour un non moins oublié tandis qu’, imprimé dès 1609, donc connu depuis toujours, avait reparu, méconnaissable, en Allemagne au début des années 1880, avant sa révélation à la Schola Cantorum par le même arrangeur-directeur, Vincent d’Indy. Trois opéras, un mystère : le texte. D’abord : qui l’a composé ? , , sans aucun doute, Monteverdi. Mais ? Les partitions retrouvées, toutes deux posthumes, se contredisent et signalent d’autres plumes – Sacrati, Ferrari ou le disciple Cavalli. Ensuite, qu’est-ce qui est écrit ? Là encore, répond : presque tout – les séquences, les instruments, les ornements. Tandis que , chef-d’œuvre de l’opéra « commercial » (nous ne sommes plus à la cour : à Venise, on paie sa place), répond : presque rien.

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