Diapason

LES 120 CRITIQUES DU MOIS

en studio

Alexander Melnikov au pianoforte, Céline Frisch au clavecin et l’ensemble Café Zimmermann font dialoguer des œuvres de C.P.E. Bach et de Mozart (Alpha).

Antoine Tamestit s’est mesuré au cycle The Viola in my Life de Morton Feldman, en compagnie de l’Orchestre du Gürzenich de Cologne et de François-Xavier Roth (Harmonia Mundi).

Bertrand Chamayou poursuit son cycle Cage en se penchant cette fois sur douze pièces pour piano préparé destinées à des chorégraphies de Merce Cunningham (Erato).

A guetter chez CVS, Così fan tutte de Mozart dirigé par Marc Minkowski (avec James Ley, Ana Maria Labin Alexandre Duhamel, Florian Sempey…), Les Fêtes grecques et romaines de Blamont par La Chapelle Harmonique de Valentin Tournet (avec Gwendoline Blondeel, Hélène Carpentier, Cyrille Dubois, David Witczak…), et une intégrale Forqueray par Myriam Rignol et Les Timbres.

Côté piano, Pavel Kolesnikov revient dans du Schubert à quatre mains avec Samson Tsoy (HM), Yuja Wang avec un « Vienna Recital » (DG) mêlant Beethoven, Scriabine, Ligeti, Glass, Kapoustine, Albeniz, Marquez…

C’est la Vienne fin de siècle qu’évoque le baryton Samuel Hasselhorn. Des lieder avec orchestre de Mahler, Pfitzner, Braunfels et Zemlinsky alternent avec des airs d’opéras de Humperdinck, Korngold, Berg. Lukas Borowicz tient la baguette (HM).

Une Symphonie no 9 de Mahler sur instruments d’époque dans une approche « historiquement informée », c’est le pari qu’ont relevé pour Alpha Philipp von Steinaecker et le Mahler Academy Orchestra.

NOS COTATIONS

EXCEPTIONNEL A acquérir les yeux fermés.

NOTRE COUP DE FOUDRE Révélation d’une œuvre inédite ou d’un talent à suivre.

JOHANN SEBASTIAN BACH

1685-1750

Cantates BWV 4, 106, 150. Chorals BWV 718, 742, 1107*. KUHNAU : Christ lag im Todesbanden.

Benjamin Alard (orgue)*, Les Arts Florissants, Paul Agnew.

HM. Ø 2022. TT : 1 h 13’.

TECHNIQUE : 4,5/5

En se lançant dans un cycle Bach (qui devrait compter sept volumes), Les Arts Florissants s’aventurent sur des terres qui leur sont peu familières. Deux cantates parmi les plus célèbres du Cantor et datant de ses premières années créatives – Christ lag im Todesbanden et l’Actus tragicus – sont au programme. Paul Agnew choisit judicieusement de les confier à un ensemble réduit : quatre solistes, quatre ripiénistes, un instrumentiste par partie. Il a aussi la bonne idée d’inclure trois chorals pour orgue chipés à l’intégrale en cours de Benjamin Alard (les cantates se contentent hélas d’un continuo au positif), et d’adjoindre le plus rare et rutilant Christ lag im Todesbanden signé Johann Kuhnau, prédécesseur de Bach à Leipzig.

La réalisation laisse perplexe. Pourquoi presser à ce point le chœur initial de la BWV 4, certes marqué « allegro », et mettre ainsi les sopranos à la peine ? L’engagement de la soliste ne compense pas un timbre trop aigre. Par chance, ténor et basse se montrent plus assurés et éloquents. L’Actus tragicus est plus mal servi encore : outre des limites techniques mais aussi expressives à tous les pupitres, la voix instable et les minauderies de la soprano tapent vite sur le système. Que dire de la Sonatina, indifférente, polluée par un théorbe partout envahissant ? Et d’une Cantate BWV 150 qui confond trop souvent agitation et activité ? La proposition d’Akadêmia (ZZT, 2009) était autrement tenue. L’enthousiasme et la conviction, ici, ne suffisent pas. Prenons le tout comme un galop d’essai, et gardons espoir pour la suite.

Jean-Christophe Pucek

Cantates BWV 21, 24, 75, 76, 185 (a).

Cantates BWV 136, 147, 167, 186 (b).

Miriam Feuersinger (a, b), Natasha Schnur (a), Elisabeth Breuer (b) (sopranos), Alex Potter (a, b) (contre-ténor), Benedikt Kristjannson (a, b), Patrick Grahl (a), Julian Habermann (b) (ténors), Matthias Winckler (a, b), Tobias Berndt (a), Peter Harvey (b) (basses), Gaechinger Cantorey, Hans-Christoph Rademann.

Hänssler (2 doubles CD séparés).

Ø 2023. TT : 1 h 28’.

TECHNIQUE : 4/5

« Vision.Bach » : c’est le nom du projet mené par l’Internationale Bachakademie de Stuttgart visant à donner en concert et à enregistrer l’intégralité des cantates composées par le Cantor au cours de sa première année à Leipzig. Sous la direction de Hans-Christoph Rademann, les trois vastes cantates bipartites (BWV 75, 76, 21) ne manquent ni d’assise ni d’ampleur mais de relief dynamique. Dans la BWV 75, le nouveau venu fait jeu égal avec Masaaki Suzuki (Bis, 1998) en matière d’équilibre; le chœur allemand est même un rien plus clair, plus idiomatique ici – c’est, avec l’excellente tenue instrumentale, un point fort de ces deux premiers volumes. Pour l’animation et des solistes plus engagés, on se tournera vers John Eliot Gardiner (SDG, 2005). Les choses se corsent avec la BWV 76. Etrangers à l’éclat voulu par Bach pour dépeindre les « cieux [qui] célèbrent la gloire de Dieu », les Stuttgartois offrent une vision timide sinon grisâtre face à la magnificence du Ricercar Consort (Mirare, 2020) et son quatuor vocal étincelant – le probe Patrick Grahl ne peut rivaliser avec Julian Prégardien dans la manière d’empoigner le récit « So lässt sich Gott ».

De la fameuse BWV 21, Rademann opte pour la mouture leipzigoise plus rare au disque. Bach y ajoute des trombones dans le chœur « Sei nun wieder zufrieden », plus efficaces chez Suzuki (Bis, 2000). A la contrition apathique des Stuttgartois, on préfère la dramatisation de Gardiner (SDG, 2010) : quand Katharine Fuge incarnait l’angoisse de « Seufzer, Tränen », Miriam Feuersinger semble corsetée par la frilosité de Rademann, qui refroidit aussi le duetto « Komm, mein Jesu », plus sensuel avec le chef britannique.

Dans la BWV 167, l’allant de l’orchestre est gâché par la vocalise tendue du ténor et l’intonation peu assurée du contre-ténor (« Gottes Wort »). Dans la BWV 147, le geste policé de Rademann ne démérite pas plus qu’il n’enthousiasme; outre des solistes plus impliqués, on trouvera davantage de couleurs, de conviction chez Rudolf Lutz (Bach-Stiftung, 2019). Pour la plus modeste BWV 136, avantage également à Lutz, plus respectueux des intentions rhétoriques de Bach – la partie dévolue au cor dans le chœur d’entrée participe du discours et ne doit en aucun cas être affadie.

Malgré quelques moments réussis, ce laborieux début de cycle n’annonce guère un bouleversement de la discographie.

Jean-Christophe Pucek

Passionsoratorium BWV Anh 169 « reconstruit et complété par Grychtolik ».

Miriam Feuersinger (soprano), Jana Pieters (soprano), William Shelton (alto), Daniel Johannsen (ténor), Tiemo Wang (basse), Jonathan Sells (basse), Il Gardellino, Alexander Grychtolik.

Passacaille (2 CD). Ø 2023.

TT : 1 h 23’.

TECHNIQUE : 4/5

Disons-le tout net : il n’y a aucune preuve que cet Oratorio de la Passion, classé parmi les œuvres d’attribution ambiguë, ait jamais existé. Si subsiste un livret de Picander (qui rédigea celui de la Passion selon saint Matthieu), rien ne permet d’affirmer que ce texte fut mis en musique par Bach pour le vendredi saint 1725. Alexander Grychtolik, séduit par cette hypothèse, imagine donc la partition en arrangeant des pages empruntées aux Passions et cantates du Cantor. Sa démarche, qu’il détaille dans la notice, tient davantage de l’« expérience artistique », autrement dit d’une fantaisie documentée, que d’une réelle reconstitution.

La chose paraît assez mal engagée avec le choral initial « O Mensch, bewein dein Sünde gross ». Avant l’arrivée du chœur, les flûtes, inlassablement bavardes, ne rencontrent pas les violons beaucoup moins volubiles. Ensuite, les prises de parole systématiques et monotones révèlent aussi une absence de conduite collective – il suffira d’écouter le même choral dans la Passion selon saint Jean par le Collegium Vocale et Philippe Herreweghe (HM, 2001). L’aria « Ach ! Wie meint es Jesus gut » est mieux traitée : de concert avec les flûtes et l’orchestre, le ténor Daniel Johannsen y exprime avec naturel le doux souvenir du Christ. Naturel qui fait également merveille dans les récitatifs de l’Evangéliste.

Plus que par les autres airs, on est intéressé par certains chorals, tel « Wein ! Ach, wein jetzt um die Wette ». Abordés avec une articulation un peu trop méticuleuse, ils ont au moins le mérite de faire entendre les voix intérieures comme on n’en a pas toujours l’occasion.

Adrien Cauchie

Les six Suites pour violoncelle seul.

Henri Demarquette (violoncelle).

Evidence (2 CD). Ø 2022.

TT : 2 h 13’.

TECHNIQUE : 4/5

Comme nombre de ses prédécesseurs, Henri Demarquette a ressenti le besoin de revenir aux Suites de Bach, qu’il a déjà enregistrées il y a plus de vingt ans (Festival d’Auvers-sur-Oise, cf. no 496). Plutôt qu’un texte oiseux d’Erik Orsenna, non exempt d’affirmations hasardeuses (Christian Bernhard Linike « sera le premier interprète de l’œuvre ») voire erronées (« On sait que le manuscrit en fut par miracle retrouvé par Pablo Casals »), la notice aurait été mieux avisée de donner la parole au violoncelliste afin qu’il explique sa démarche.

Car cette nouvelle intégrale ressemble beaucoup à la précédente, tant dans la conception générale, dépourvue de prétention, d’affectation et de démesure, que dans certains choix comme ces points d’orgue conclusifs souvent tenus très longuement. De même, les courantes continuent de dévaler sur les chapeaux de roues, et même certains préludes, comme celui de la Suite no 1.

Mais cette dimension virtuose, voire brillante, est moins le signe d’une approche superficielle que l’une des facettes d’une interprétation à la fois vive, fluide, élégante et chaleureuse. D’une grande finesse, l’archet de Demarquette sait prendre le temps d’un discours éloquent dans les allemandes ou d’un chant réconfortant dans les sarabandes. En fin de compte, ce qui change le plus, c’est la prise de son, spacieuse et équilibrée en 2001, plus proche et au grain plus épais en 2022.

Simon Corley

MAËL BAILLY

NÉ EN 1988

La quatrième pomme. Enchères. D’une étincelle. Or not prepared. Contreclairon. Six miniatures. De un umbral vacante al otro. Introduction et diapo.

Ensemble Alternance.

Stradivarius. Ø 2021 et 2023.

TT : 56’.

TECHNIQUE : 3/5

Associant différentes combinaisons chambristes, du solo au sextuor (Six miniatures de 2015-2022), voici une invitation à découvrir la musique de Maël Bailly, dont les méandres semblent dessinés autant par une culture de l’improvisation que par une écriture sophistiquée. Si le mouvement de l’allumette sur le grattoir anime D’une étincelle (2021), de petits mécanismes rythmiques relaient ces impulsions, échos tamisés de l’influence de son professeur Gérard Pesson. A mi-parcours, le saxophone alto et l’alto se rejoignent dans un discours dont la sérénité évoque celle d’un Feldman. Les deux musiciens de l’Ensemble Alternance se livrent à de très jolis assemblages de timbres, unissant harmoniques et multiphoniques, douceur de l’anche et grain de l’archet.

Le piano de Or not prepared (2016) se distingue par la forte utilisation de la troisième pédale. Gerbes de notes projetées sur tout le clavier à partir d’un sol omniprésent, logorrhée confinée dans un ambitus restreint puis attaques raréfiées mènent vers un jeu tout en résonances coloré sans dureté par Jean-Marie Cottet. Dans Enchères (2017), Bailly frôle de plus près le piano préparé, avec ses accessoires disposés à même les cordes et manipulés par un percussionniste. Les diapasons médicinaux mis en vibration tout près des micros trahissent l’origine radiophonique de Contreclairon (2021) pour trompette, flûte et alto. Dans des pages primesautières que l’on croirait inspirées par Stravinsky ou Milhaud, puis dans une section comme improvisée, la spontanéité et la fraîcheur des musiciens d’Alternance font merveille.

Pierre Rigaudière

LUDWIG VAN BEETHOVEN

1770-1827

Sonate pour piano no 29 « Hammerklavier ». CHOPIN : Sonate pour piano no 2.

Beatrice Rana (piano).

Warner. Ø 2023. TT : 1 h 11’.

TECHNIQUE : 4/5

Beatrice Rana entend rapprocher « deux sonates en si bémol [qui] transcendent la condition humaine de manières très différentes… mais en somme pas si différentes que ça, car elles sont toutes deux très liées à la peur de la mort et à la peur de la solitude. » Ce propos un peu décousu se révèle, hélas, à l’image de l’interprétation ellemême. Dans la Sonate no 2 de Chopin, la fièvre mise au premier mouvement confine à l’excitation et tranche avec des épisodes introvertis à la sonorité un peu cotonneuse. Parmi les pianistes de la même génération, Lukas Geniusas (NIFC) y déployait bien plus de tension. Prise extrêmement lente, affublée de halos sonores esthétisants, la Marche funèbre manque singulièrement de substance. On se laisse bercer par son Trio, sans y retrouver les timbres et le phrasé autrement plus riches d’un Michelangeli (BBC Legends). Rana insiste un peu lourdement sur les « saillies » brusques d’un finale ici plus fantasque qu’inquiétant, où elle essaie de se raccrocher de manière artificielle aux lambeaux de mélodies. Par excès de sophistication, elle se perd dans les détails, néglige le côté fuyant et énigmatique de cette musique.

Sans vraiment satisfaire, la « Hammerklavier » est d’une autre eau. Le début donne le ton : une clarté athlétique. Le geste de la pianiste, particulièrement affûté, voire percussif, se garde de toute pesanteur. L’Ada gio sostenuto pâtit d’une expression désincarnée, loin du chant rayonnant d’un Solomon (notre Discothèque idéale), encore plus lent pourtant, comme du naturel bouleversant de Perahia (DG, Diapason d’or). Enfin, la conception très digitale d’une fugue plus précipitée que « résolue » a ses limites. Aussi rapides, voire plus, Kovacevich (Warner) et Levit (Sony) tenaient mieux le mouvement et restaient plus limpides dans leur propos. Un passage à vide qu’on espère momentané.

Bertrand Boissard

Les neuf symphonies.

Camilla Tilling (soprano), Kelley O’Connor (mezzo-soprano), Issachah Savage (ténor), Ryan McKinny (baryton-basse), The Washington Chorus, National Symphony Orchestra, Gianandrea Noseda.

NSO (5 SACD + 2 Blu-ray audio).

Ø 2022-2023. TT : 5 h 38’.

TECHNIQUE : 3,5/5

Mélomanes férus de motorisme postmoderne, cette intégrale est pour vous ! Gianandrea Noseda y fait l’impasse sur la respiration, le chant, la couleur et, d’une manière générale, toute forme d’organicité. Les tempos nous gênent moins par leur vélocité (record) que par leur monolithisme. A l’absence de phases de détente s’ajoute un vibrato réduit, qui reste toujours le même. Paavo Järvi (RCA) délivre, par comparaison, une agogique giulinienne.

Au-delà du fait que le rendement obtenu n’est pas à la portée du premier chef venu, le National Symphony de Washington répond puissamment présent, plus d’ailleurs par ses cordes – à la réactivité toute martiale – que par ses vents, relégués au second plan par la prise de son et chez lesquels on relève bien des approximations. Si cette véhémence minimaliste impressionne dans les volets extrêmes des deux premières symphonies, les choses se gâtent à partir de l’« Héroïque ». La pulsation y est d’entrée dévitalisée, les valeurs longues réduites à la portion congrue.

La 4e pâtit d’un saucissonnage en règle : à un Allegro vivace exagérément trapu succède un Adagio où la brutalité pointe son nez, un Menuetto puis un finale articulés avec une efficacité mastoc.

La souffre moins d’un tel produit son petit effet. Passé une entame de l’ au phrasé ingrat, les choses s’arrangent quelque peu, même si nuances dynamiques et différenciation restent aux abonnés absents.

Vous lisez un aperçu, inscrivez-vous pour lire la suite.

Plus de Diapason

Diapason8 min de lecture
19 Rendez-vous à Ne Pas Manquer
Les 3, 4 et 5 mai, dans toute la France. Comme chaque année depuis 2007, une trentaine de maisons lyriques françaises ouvrent leurs portes et leurs coulisses lors de l’opération « Tous à l’Opéra ! » Pendant trois jours, les visiteurs peuvent assister
Diapason2 min de lecture
L’œuvre Pas A Pas
L’orchestre réunit bois par deux et trois (clarinettes), quatre cors, trois trompettes, trois trombones, timbales, harpe et les cordes. L’œuvre dure vingt-huit minutes environ. Après la polyphonie athématique, discrète et intense des cordes, un début
Diapason3 min de lecture
Son Destin D’Amérique
Le monde musical bruissait déjà depuis quelque temps de la rumeur, confirmée le 2 avril dernier : Klaus Mäkelä deviendra le onzième directeur musical du Chicago Symphony Orchestra (CSO) en septembre 2027, pour un contrat initial de cinq ans. Le jeune

Associés