Diapason

LES 160 DU MOIS CRITIQUES

en studio

• La Burlesque de Strauss était à la fois sur le piano de Nelson Goerner, qui l’enregistrait à Paris pour Alpha avec Mikko Franck et le Philhar (en complément de Mort et transfiguration), et de Bertrand Chamayou, qui la gravait à Rome pour Erato avec Antonio Pappano et son Accademia Nazionale di Santa Cecilia (couplée à Une vie de héros).

• François-Xavier Roth et ses Siècles poursuivent leur cycle Beethoven avec la Symphonie no 7, assortie de l’Ouverture composée elle aussi en 1811 par Méhul pour Les Amazones (HM).

• « Melancholy Grace », titre et fil rouge d’un programme réunissant Frescobaldi, Strozzi, Dowland, Bull et Sweelinck. Partagé par Jean Rondeau entre un clavecin et un virginal napolitain de 1527, il arrive sous pavillon Erato.

Gustavo Dudamel a gravé les quatre symphonies de Charles Ives avec le Los Angeles Philharmonic (DG), quand James Gaffigan et ses Luzerner mettent sa Symphonie no 3 en miroir d’autres « classiques » américains signés Bernstein et Barber (HM).

• Damien Guillon et son Banquet Céleste se sont penchés, pour Alpha, sur l’œuvre vocale de Philipp Heinrich Erlebach (1657-1714), tandis que Baptiste Romain et Le Miroir de Musique brossaient pour Ricercar le portrait de Zohane Martini de Barbante (ca.1430-1497).

• Côté archets, Ilya Gringolts guidait le Finnish Baroque Orchestra dans des concertos pour violon de Locatelli (Bis), Erich Höbarth rejoignait Alexander Rudin et Aapo Häkkinen pour un Trio no 2 de Schubert sur instruments anciens (Naxos).

• John Neschling et le Philharmonique royal de Liège ont complété leur odyssée Respighi par ses transcriptions pour orchestre de pièces de Bach et Rachmaninov. A guetter chez Bis.

JOHANN SEBASTIAN BACH

1685-1750

YYYY Le Clavier bien tempéré, Livre II (extraits).

Piotr Anderszewski (piano).

Warner. Ø 2019-2020. TT : 1 h 18’.

TECHNIQUE : 4/5

Piotr Anderszewski nous offre un Clavier bien tempéré quelque peu inusité : la moitié du second Livre réagencé en fonction de relations tonales et de rapports de caractère. Le disque débute sur un Ut majeur BWV 870 plutôt feutré, au tempo quasi lent. Petit à petit, le toucher trouvera des accents plus incisifs et les mouvements s’animeront ; mais l’intériorité chaleureuse de l’incipit signe tout ce qui s’ensuit et que nous écoutons avec beaucoup de plaisir : du très beau piano. Comme l’artiste a raison lorsqu’il décrit les préludes et fugues du Clavier bien tempéré, a fortiori de ce second livre, comme des pièces de caractère ! Mais déchiffrer ces caractères ne relève pas de la seule subjectivité. La théorie des affects d’une part et, d’autre part, les indices d’un jeu stylistique entre le souvenir d’un passé lointain (le ricercar) ou proche (la Suite de danses) et l’Empfindsamkeit à la mode proposent à l’interprète des clés dont, en l’occurrence, il ne s’empare pas toujours. Les préludes en fa mineur BWV 881 et en sol dièse mineur BWV 887 passent à côté de Carl Philipp Emanuel sans le voir, la fugue en la bémol majeur BWV 886 à côté de la gigue, le diptyque en mi majeur BWV 878 à côté du disparate – que souligne Glenn Gould pour la caméra de Monsaingeon – entre trio et ricercar.

L’enchaînement choisi par Anderszewski est une réussite. Les douze préludes et fugues « se reflètent et discutent ensemble » comme il en émet le souhait dans son texte. Parvient-il pour autant à « créer un sens du drame » ? Voire. Savoir changer de costume, adapter son ton à la diversité d’accents des personnages en scène, voilà ce qui manque à son apollinisme pour retrouver tout le brio d’un compositeur dont on ne sent pas ici, justement, quel dramaturge il était. Paul de Louit

YYYYY Concertos pour clavecin BWV 1054, 1056, 1057. Triple Concerto BWV 1044.

Marcello Gatti (traverso), Evgenii Sviridov (violon), Francesco Corti (clavecin et direction), Il Pomo d’Oro.

Pentatone. Ø 2020. TT : 1 h 01’.

TECHNIQUE : 3,5/5

Francesco Corti complète son intégrale des concertos pour clavecin de Bach (cf. no 692), et ajoute le BWV 1044 où un traverso et un violon rejoignent le clavier soliste. Le caractère solaire, l’élan, la pulsation dansante rendent ce second volume aussi irrésistible que le premier. Les mouvements lents ont gagné en profondeur, comme le démontre l’Adagio à fleur de peau du BWV 1054. Seul celui du BWV 1057 manque de la gravité qu’un Staier y faisait résonner en 2015 (HM).

L’énergie est de mise dans le Triple Concerto, partition qui pose d’insolubles questions d’authenticité. Sans indication de tempo, son volet initial crépite sous une flamme vive, tandis que le suivant se drape dans des pizzicatos aux teintes diaphanes. Le violon très incarné d’Evgenii Sviridov dialogue sur un pied d’égalité avec le clavecin tout en volutes et pétillements de Corti ; le traverso de Marcello Gatti, lumineux, apparaît, en revanche, un rien trop effacé dans l’Alla breve final, entraînant un léger déficit de substance. L’équilibre subtil atteint par La Divina Armonia (Passacaille, 2016) est plus convaincant dans cette page.

Malgré un effectif allégé, Il Pomo d’Oro n’accuse aucune faiblesse d’assise ou de couleur ; il possède, au contraire, la réactivité, la souplesse ainsi que l’impeccable clarté polyphonique qu’appelle la vision du claveciniste. Nous reviendrons donc souvent dans ces jardins éclaboussés de lumière où, dispensant fraîcheur et surprise, les fontaines voisinent avec des parterres disposés avec rigueur. Un regard italien sur une terre allemande.

Jean-Christophe Pucek

YYYY « Intuitions ». Sonates BWV 102 et 528. Sinfonias BWV 788, 789, 793, 794, 797, 799 et 801. Chorals BWV 659 et 645. Partita BWV 1002.

Stéphanie Paulet (violon baroque), Elisabeth Geiger (orgue Blumenroeder, Charolles [2016]).

Paraty. Ø 2017. TT : 59’.

TECHNIQUE : 2,5/5

Après Odile Edouard et Freddy Eichelberger (cf. no 695), voici une nouvelle tentative d unir le violon et l orgue dans des œuvres de Bach, cette fois en privilégiant la transcription.

S’il n’y avait guère de risque à adapter des pièces pour orgue issues du monde des cordes (Sonate en trio no 4, choral Wachet auf tiré d’une cantate), d’autres choix s’avèrent aussi convaincants qu’audacieux : le choral orné Nun komm sonne de manière encore plus violonistique que Wachet auf, et nous croyons entendre pour la première fois les Sinfonias ainsi arrangées. Quant à la Partita en si mineur, elle n’est pas adaptée pour clavier seul selon l’habitude mais se voit adjoindre un accompagnement, comme Robert Schumann s’y risqua jadis. La remarquable réalisation d’Elisabeth Geiger ne transforme pas systématiquement le solo en duo, explorant d’autres formules comme une sorte de halo harmonique (Double de l’Allemande) ou le saisissant jeu de miroirs qui consiste à adjoindre au Double de la Courante la Courante elle-même.

Tout cela constituerait une parfaite réussite si la prise de son n’entrait en contradiction avec le projet des artistes. Au lieu d’une fusion des deux instruments, l’archet subtil de Stéphanie Paulet monopolise le premier plan, tandis que le bel orgue de Charolles est relégué dans l’ombre… Vincent Genvrin

YYYY « New Concertos ». OEuvres pour orgue BWV 527, 530, 539, 542, 552, 562, 572, 622, 659 et 731 transcrites pour cordes.

Capricornus Consort Basel, Peter Barczi.

Christophorus. Ø 2020.TT : 1 h 03’.

TECHNIQUE : 4/5

La « transcription à l’envers » devient à la mode ! Les organistes ne s’étant pas privés de piller la musique de leurs collègues, ce n’est après tout que justice. Approche peu économique par ailleurs, puisqu’au lieu d’un seul interprète ces « New Concertos » en mobilisent huit. Mais est-ce suffisant ? Le parti pris de se limiter aux seules cordes se révèle un peu frustrant dans les grandes pièces où, sur un grand instrument, nous croyons entendre moult hautbois, bassons, trompettes et timbales. De là une impression globale assez sombre, que renforcent le choix de l’orgue au lieu du clavecin pour le continuo et surtout l’absence de transpositions.

La sélection des pièces réserve de bonnes et de mauvaises surprises. Les chorals ornés, genre ô combien organistique, sonnent admirablement au violon. Tout naturellement, le solo se décale par rapport aux parties accompagnantes dans les moments les plus expressifs : procédé dont les organistes s’inspireraient s’ils ne manifestaient à son égard une véritable aversion. En revanche le Prélude en mi bémol majeur apparaît comme banal voire mesquin – un comble pour cet écrasant chef-d’œuvre. La Pièce d’orgue en sol déçoit dans ses deux premières parties, mais enchante dans la dernière, peut-être parce que le transcripteur, confronté à une impossibilité, a dû adopter un procédé différent et particulièrement ingénieux.

Reste qu’en ce domaine un échec demeure aussi passionnant qu’une réussite. Un bon connaisseur des versions originales gardera d’un bout à l’autre les oreilles aux aguets, d’autant que le remarquable ensemble Capricornus fait tout pour nous persuader du bienfondé de sa démarche.

Vincent Genvrin

LUDWIG VAN BEETHOVEN

1770-1827

YYYYY Concerto pour violon. MOZART : Concerto KV 271a.

Liya Petrova (violon), Sinfonia Varsovia, Jean-Jacques Kantorow.

Mirare. Ø 2020. TT : 1 h 18’

TECHNIQUE : 4/5

Le couplage est des plus singuliers. Bien que son authenticité reste discutée, le KV 271a offre –ne serait-ce que par sa concordante tonalité de majeur – une alternative originale aux traditionnelles romances pour donner la réplique à l’Opus 61 de Beethoven. Fin connaisseur des deux concertos pour les avoir lui-même enregistrés comme violoniste il y a presque quarante ans (Denon), Jean-Jacques Kantorow y soutient l’archet soliste de Liya Petrova, artiste déjà remarquée dans les concertos de Prokofiev et Nielsen. Les timbres lumineux et profonds de son Bergonzi (1735), flattés par une prise de son finement équilibrée, procurent un plaisir que n’entache aucun maniérisme.

La diction est élancée sans être jamais bousculée, le soutien du Sinfonia Varsovia franc et précis. Précisons que la cadence retenue pour l’Opus 61 est celle de Beethoven lui-même, avec son célèbre accompagnement de timbales, dans l’adaptation de Wolfgang Schneiderhan. Une belle sérénité, peut-être un rien statique, habite le Larghetto, tandis que le finale, où nous admirons le dialogue de la soliste avec les pupitres de vents, transpire la fraîcheur et la joie de vivre.

Dans le KV 271a, Liya Petrova innove en proposant non la cadence d’Enesco ou celle contenue dans la première édition (1907), mais celle de Jean-Frédéric Neuburger. D’un style parfaitement adapté, elles se révèlent néanmoins de proportions démesurées par rapport aux mouvements qu’elles sont censées agrémenter. Quel qu’en soit l’auteur, le concerto est de superbe facture, riche de thèmes lumineux et d’une brillante écriture violonistique (finale), inspirant d’ailleurs à la soliste une diction un rien plus lyrique que dans Beethoven. Belle réussite.

Jean-Michel Molkhou

ALBAN BERG

1885-1935

YYYYY Concerto pour violon « A la mémoire d’un ange ». Sieben frühe Lieder. Trois pièces pour orchestre op. 6.

Susanna Phillips (soprano), Gil Shaham (violon), San Francisco Symphony Orchestra, Michael Tilson Thomas.

SFS Media. Ø 2015, 2018. TT : 57’.

TECHNIQUE : 4,5/5

A l’orchestration labyrinthique de ses débuts (Trois pièces op. 6), Berg opère dans l’ultime Concerto « A la mémoire d’un ange » une simplification lumineuse de son instrumentation. L’écriture n’en est pas moins riche ni différenciée, et son exigence de transparence évoque les dernières œuvres de Mahler. Michael Tilson Thomas en a bien conscience, qui choisit des tempos d’une ampleur inaccoutumée et soutient le soliste jusque dans ses moindres nuances. Grand seigneur du violon, Gil Shaham est en parfaite symbiose avec une telle largeur de respiration comme avec les inflexions rutilantes d’un orchestre somptueux. Si nous restons loin de l’incandescence de Mutter (avec Levine, DG) ou de la lumière tour à tour conquérante et intime de Faust (avec Abbado, HM), violoniste et chef usent de phrasés et d’un rubato très étudiés, prenant leur temps dans les passages lyriques. Ils font surtout ressortir le dramatique combat du deuxième mouvement, sans pour autant exacerber à l’excès les fureurs expressionnistes de cette « mort et transfiguration ».

Passons sur Sept lieder de jeunesse où, sans démériter, Susanna Phillips ne fera oublier ni Anne Sofie von Otter (avec Abbado, DG) ni Jessye Norman (chez Boulez, Sony). Très lente et puissamment sculptée dans le détail, l’interprétation des Trois pièces op. 6 (1913-1915) n’évoque ni le feu, l’acier et la glace (Dorati, nos Indispensables), ni l’abstraction lyrique (Boulez II, Sony), ni l’éternel romantisme des orages désirés (Abbado I, DG), mais plutôt un triptyque symphonique qui serait une vaste étude préalable à Wozzeck. Tels Levine (Sony) et Sinopoli (Warner), Tilson Thomas ose la saturation et le spectaculaire. Il y a un peu trop de Mahler dans la Marche, pas assez d’« impressionnisme » dans la Ronde, mais l’imagination et l’adresse orchestrales de Berg, fantastiques, sont traduites avec acuité. Patrick Szersnovicz

REFERENCES : Discographies comparées du Concerto (cf. no 611) et des Pièces op. 6 (cf. no 686).

HEINRICH IGNAZ FRANZ BIBER

1644-1704

YYY Requiem en fa mineur. Et Œuvres de Bernhard, Nicolai et Fux.

Vox Luminis, Freiburger Barockconsort, Lionel Meunier.

Alpha. Ø 2019. TT : 1 h 12’.

TECHNIQUE : 4,5/5

Seconde parution, en l’espace de quelques mois, consacrée au Requiem en fa mineur de Biber. Toutes deux par des collectifs belges, toutes deux au catalogue Outhere. Après le Pluto Ensemble (Ramée, cf. no 697), voici donc Vox Luminis. Marnix De Cat avait habilement choisi d’intégrer cette partition haute en expressivité dans un programme ancré entre Salzbourg et Vienne ; les contours sont plus flous chez Lionel Meunier, faisant se côtoyer des compositeurs que rien ne lie.

L’écoute comparée penche sans ambiguïté en faveur de la précédente version : moins embourgeoisée, elle respire avec ampleur et possède d’aussi chez De Cat tranche avec la mollesse des troupes de Meunier, l’élan qui parcourt l’ avec la placidité léchée dont se contentent les nouveaux venus. Et le violon aigrelet de Veronika Skuplik s’incline face au brio de Sophie Gent. Les compléments, par chance, convainquent davantage. , un des joyaux de Bernhard, avance avec, au creux des mains, le trésor d’une espérance sereine ; la supplique de a des accents de sincérité. Les sonates de Nicolai et de Fux donnent au Freiburger Barockconsort l’occasion de faire valoir son alacrité, même si un supplément de chaleur n’aurait pas nui.

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