Diapason

LES 160 DU MOIS CRITIQUES

en studio

• Christian Thielemann et les Wiener Philharmoniker ont ajouté à leur cycle Bruckner la Symphonie no 4. A guetter chez Sony.

• Triptyque nocturne sous les archets du Quatuor Ebène, avec Ainsi la nuit de Dutilleux, La Nuit transfigurée de Schönberg, et un sextuor à cordes signé par leur violoncelliste Raphaël Merlin et intitulé Night Bright (Erato).

• Brahms était sur le pupitre d’ Adam Laloum, qui enregistrait pour Harmonia Mundi la Sonate pour piano no 3 et les Fantasien op. 116. Tandis que Geoffroy Couteau gravait pour La Dolce Volta le Concerto pour piano no 1 avec l’Orchestre national de Metz, et les trois sonates pour violon en compagnie d’Amaury Coeytaux.

• Philippe Jaroussky revient à la mélodie, cette fois pour la guitare de Thibaut Garcia, et un florilège où Poulenc, Dowland et Caccini croisent Schubert, Barbara et Fauré (Erato).

Astrig Siranossian fête Saint-Saëns : la jeune violoncelliste est la soliste du Concerto no 1, couplé à la Bacchanale de Samson et Dalila et à la Symphonie no 1 à paraître chez Alpha.

• William Christie et Les Arts Florissants nous promettent une Platée de Rameau chez Harmonia Mundi.

• Eva Zaïcik rejoignait Le Poème Harmonique de Vincent Dumestre pour enregistrer des motets et, surtout, le Nisi Dominus de Vivaldi (Alpha).

Jakub Jozef Orlinski est le héros d’une « Anima Aeterna » brodant des airs de Zelenka, Almeida, Nucci, Manna et Handel. Avec Il Pomo d’Oro dirigé par Francesco Corti (Erato).

• Le même Francesco Corti est au pianoforte pour la Petite Messe solennelle de Rossini mise en boîte par Giulio Prandi et son Coro Ghislieri pour Arcana.

NOS COTATIONS

EXCEPTIONNEL A acquérir les yeux fermés.

YYYYY SUPERBE Osez-le !

YYYY RECOMMANDABLE Ne déparera pas votre discothèque

YYY MOYEN Pour fanas avant tout.

Y Y DÉCONSEILLÉ A quoi bon ce disque?

Y EXÉCRABLE Évitez le piège!

NOTRE COUP DE FOUDRE Révélation d’une Œuvre inédite ou d’un talent à suivre.

JOHANN SEBASTIAN BACH 1685-1750

YYYYY Le Clavier bien tempéré, Livre I.

Aaron Pilsan (piano).

Alpha (2 CD). Ø 2020. TT : 1 h 47’.

TECHNIQUE : 4/5

Les derniers temps n’ont pas manqué de Clavier bien tempéré. Pourtant, à part le vétéran Dominique Merlet (Le Palais des dégustateurs, cf. no 678), aucun ne nous a mis comme celui-ci le sourire aux lèvres ni ainsi donné l’envie de le réécouter sitôt fini.

Aaron Pilsan ne se prive d’aucun moyen du piano, mais sans oublier le claveciniste qu’il est aussi : il use de toutes les nuances de la pédalisation romantique (prélude en ut majeur), tout autant que de celles des arpègements d’accords (mi bémol mineur) ou de l’agrémentation, osant même quelques inégalisations très gallicanes (la fugue en majeur triomphalement alla francese). Et puis, ce piano est vraiment « tempéré », c’est-à-dire accordé avec un tempérament inégal. C’est léger (probablement proche de Vallotti) mais cela s’entend.

Merlet faisait de l’œuvre une fascinante aventure avant tout intellectuelle, dont le héros était le contrepoint. Pilsan, dont l’intelligence polyphonique et le sens du chant ne sont pas moindres, donne la primauté à la personnalisation de chaque pièce. Sans suivre rigoureusement Mattheson qui lie un affect à chaque tonalité, il nous fait entrer dans chaque diptyque comme dans une histoire, un tableautin, pourquoi pas un Caractère : La Bruyère n’est pas loin. C’est donc l’imagination qui, ici, est reine. Revers de la médaille, l’étendue de la gamme expressive demande une pareille étendue des moyens techniques.

Celle du jeune Autrichien est à la hauteur, mais on aspirerait à plus encore : un contrôle plus parfait du toucher, un peu plus de couleurs aussi, au-delà de la chaleur un rien monocorde de ce beau Steinway ; où est le Bösendorfer sur lequel Badura-Skoda enregistra ses Debussy ? dans le prélude en ut majeur ou la fugue en la majeur ainsi conçus, où est l’égalité d’un Michelangeli ? C’est dire le niveau. L’or sera donc, nous l’espérons, pour le Livre II. En attendant, recommandons ce Livre I avec enthousiasme.

Paul de Louit

Y Y Concerts brandebourgeois BWV 1046-1051.

Il Gusto Barocco, Jörg Halubek (clavecin et direction).

Berlin Classics (2 CD). Ø 2019. TT : 1 h 33’.

TECHNIQUE : 3,5/5

C’est en août 2019, dans le cadre enchanteur de l’orangerie d’Ansbach et en qualité d’orchestre invité de sa Semaine Bach 2019, qu’Il Gusto Barocco a gravé les six Brandebourgeois. Pour convaincre, les interprètes de ces « Concerts à plusieurs instruments » doivent résoudre la délicate équation entre les brillantes individualités requises par l’écriture et un collectif soudé. L’ensemble dirigé du clavecin par Jörg Halubek a beau avoir de tels atouts, il ne parvient jamais à élever l’interprétation au-dessus d’un mi-chemin confortable (ceux qui redoutent l’âpreté des instruments « anciens » y trouveront certes leur compte), propre sur lui, mais vite ennuyeux.

L’Adagio du BWV 1046 file tout droit sans frémir, son Menuetto surexcité échoue à danser ; les mouvements extrêmes du BWV 1047, étrangers à toute prise de risque, sont quelconques ; les BWV 1048 et 1051 affichent des lenteurs apolliniennes à faire pâlir Karajan. On sauvera, à la rigueur, de jolies couleurs dans le BWV 1049, et surtout un BWV 1050 dont le choix d’une douceur exempte de fadeur n’est pas sans charme. Pas de quoi s’imposer dans une discographie relevée où, de Musica Antiqua Köln (Archiv, 1987) à Zefiro (Diapason d'or, Arcana, 2018), on a su faire parler le cœur aussi bien que la poudre.

Jean-Christophe Pucek

YYY Concerts brandebourgeois BWV 1046-1051.

La Petite Bande, Sigiswald Kuijken.

Accent (2 CD). Ø 2009. TT : 1 h 36’.

TECHNIQUE : 4/5

Réédition d’un enregistrement paru en 2010. La Petite Bande s’y tournait, une nouvelle fois, vers les Brandebourgeois, façon de mesurer le chemin parcouru depuis l’exploration pionnière de la fin des années 1970 sous la houlette de Gustav Leonhardt puis, pour son propre compte, en 1995. Avec Sigiswald Kuijken, les principes d’exécution sont clairs : le violone est ici exclu au profit de la basse de violon, le seul violoncelle conserver droit de cité est da spalla dont le chef rappelle avoir contribué à relancer l’usage ; les cuivres sont, bien entendu, dépourvus des trous d’ajustement anachroniques pourtant monnaie courante dans les ensembles baroques.

Les meilleures intentions ne rendent hélas pas toujours les disques inoubliables. La recherche de transparence a beau être louable, elle gagnerait en efficacité si le caractère était au rendez-vous. Des tempos trop sages (Allegro initial du BWV 1048) voire languides (le BWV 1051 s’enlise à force de surplace) émoussent la vigueur des lignes, tandis que les danses, sevrées d’énergie, s’étiolent : bien qu’alternant menuet et polonaise, le finale du BWV 1046 semble interminable. Kuijken connaît cette musique comme sa poche, l’affection qu’il lui porte est partout évidente ; son BWV 1050 est solide. Indéniablement, l’usage de trompette et de cors vraiment naturels apporte en couleurs, redéfinit les équilibres. Manquent l’ivresse, la détente, le sourire. Parfois, la probité ne suffit pas. Jean-Christophe Pucek

Y Y Y YSuite en si mineur BWV 1067. Concerto brandebourgeois BWV 1050. Concerto pour violon BWV 1052R.

Felipe Maximiliano Egana Labrin (traverso), Nadine Remmert (clavecin), Tomoe Badiarova (violon), Bremer Barockorchester, Nestor Fabian Cortes Garzon (direction).

Arcantus. Ø 2019. TT : 1 h 07’.

TECHNIQUE : 3,5/5

« A nous deux, Jean Sébastien ! » La note d’intention développée qui accompagne le premier disque du Bremer Barockorchester nous promet, par la grâce du retour aux racines affirmé dans son titre, de retrouver l’esprit de la musique de Bach. Le carburant essentiel choisi pour faire décoller la machine à remonter le temps est l’ornementation, foisonnante au point de menacer parfois la cohérence, comme dans l’Ouverture de la Suite BWV 1067, à deux doigts de s’empêtrer dans des lignes à la volubilité mal contrôlée. Cette œuvre est celle où les fragilités du jeune ensemble saillent le plus ; on peine à souscrire à la placidité du Rondeau comme aux rajouts affectant les Bourrées ou la Battinerie : la surprise passée, ne demeure que l’artifice. Sans prétendre aux éblouissements suscités par des pyrotechniciens plus habiles (Musica Antiqua Köln ou Zefiro), le cinquième Brandebourgeois ne démérite pas ; il y souffle un vent de légèreté raffinée, de sérieux sans apprêt, de complicité gouleyante qui distillent le charme (la caresse de l’Affetuoso) et le piquant attendus dans cette page. La belle surprise vient de la reconstruction, par les soins de Nestor Fabian Cortes Garzon, de la version princeps, pour violon, du fameux Concerto BWV 1052. L’énergie gourmande, la souplesse des phrasés, le sens de la narration : tout fusionne pour nous offrir un moment où ombre et lumière s’accordent sans hiatus. Sans doute l’archet de Tomoe Badiarova n’est-il pas le plus impérial du monde, mais sa générosité, son éloquence, le dialogue qu’il établit avec un orchestre effervescent sont un délice. On y regoûtera souvent, en attendant d’autres heureuses nouvelles de Brême. Jean-Christophe Pucek

EDUARDAS BALSYS 1919-1984

YYYY Concerto pour violon no 1. Reflets de la mer pour orchestre à cordes. Fresques dramatiques pour piano, violon et orchestre.

Dzeraldas Bidva (violon), Indre Baikstyte (piano), Orchestre symphonique national de Lituanie, Modestas Pitrenas.

Ondine. Ø 2020. TT : 1 h 06’.

TECHNIQUE : 4/5

Figure de la vie musicale lituanienne, Eduardas Balsys commença une carrière militaire avant de se tourner vers la composition, achevant ses études à Leningrad. Suivant les principes édictés par les autorités culturelles soviétiques, il commence par écrire dans un style néoromantique, avec des motifs et couleurs inspirés de la musique populaire lituanienne. Son ample Concerto pour violon no 1 (1954), prenant modèle sur ceux de Tchaïkovski (surtout) et Khatchaturian (un peu), marque l’apogée de cette première période. Il est ici défendu par Dzeraldas Bidva, premier violon de la Kremerata Baltica, dont le splendide instrument (un Stradivarius de 1734, le « baron Feilizsch Heermann ») et le sens du style tirent le meilleur de cette partition dont le passéisme se teinte d’audaces. Un épisode du finale superpose ainsi trois thèmes précédemment entendus : tendez l’oreille au violoncelle, au soliste et aux bois. Après 1958, Balsys pimente son écriture en recourant aux quarts de ton, aux rythmes exotiques, en élargissant aussi la tonalité. Ses Fresques dramatiques (1965), sorte de mouvement symphonique pour piano, violon et orchestre, marquent la fin de cette « manière ». Par la suite, le compositeur adopte certains préceptes du dodécaphonisme, dont témoignent ses Reflets de la mer (1981) pour cordes. Très réussies, ces onze minutes valent elles aussi le détour.

Sous la baguette de son chef titulaire depuis 2015, l’Orchestre national de Lituanie s’engage à fond pour la cause de Balsys et délivre une performance de grande qualité sans faire oublier les longueurs boursouflées des Fresques. Jean-Claude Hulot

LUDWIG VAN BEETHOVEN 1770-1827

YYYYY Les cinq concertos pour piano.

Krystian Zimerman (piano), London Symphony Orchestra, Simon Rattle.

DG (3 CD). Ø 2020. TT : 2 h 54’.

TECHNIQUE : 3,5/5

Nous avons eu la chance, au milieu de nombreuses annulations, d’entendre Krystian Zimerman dans ces concertos de Beethoven, en concert à Monte-Carlo en septembre 2020. Quel plaisir de retrouver, au disque, une même sensation de fraîcheur juvénile ! L’entrée du Concerto no 1 donne le ton : tempo allant, orchestre détaillé et « aéré », piano à la fois gourmand et impertinent. Soixante-quatre ans vraiment, Zimerman ? Un adolescent sur son nuage, comme pour un premier rendez-vous amoureux. D’une vitalité souple et irradiante, son jeu est hypersoigné. Ce n’est pas pour rien que la préparation de ses instruments lui réclame tout son temps et toute son énergie.

Dans l’Andante con moto du Concerto no 4, le soliste se révèle plus serein que dépressif, traçant son chemin avec noblesse. Tous les mouvements lents nous tirent l’oreille, de longs silences, entre rêve et réalité, entrecoupant l’Adagio du no 2. Aux petits soins pour le pianiste, Rattle épouse ses conceptions, privilégie de manière générale la nuance piano : quelle différence avec l’écrin tissé en 1998 avec les Wiener Philharmoniker pour Alfred Brendel (Diapason d’or, Philips).

« L’Empereur » pourra étonner par son discours dédramatisé, quasi distancié par moments, les quelques montées d’adrénaline du soliste n’en prenant alors que plus de relief. Les cadences subjuguent par leur folle énergie (Concerto no 1), leurs fulgurances (nos 2 et 3).

Trente ans après sa première mouture (avec Bernstein, Zimerman dirigeant du clavier les nos 1 et 2), la nouvelle, à la fois plus rapide, légère, affûtée et libre, donne un coup de jeune à ces partitions dont on croyait tout connaître. Bertrand Boissard

YYYYY Concerto pour violon. SCHNITTKE : Concerto no 3 pour violon et orchestre de chambre.

Vadim Gluzman (violon), Orchestre symphonique de Lucerne, James Gaffigan.

Bis (SACD). Ø 2017 à 2020.TT : 1 h 07’.

TECHNIQUE : 4,5/5

TECHNIQUE SACD : 4,5/5

D’une cristalline pureté dans les registres élevés, d’un halo crissant et moiré nimbé de couleurs fauves dans le médium et le grave, le violon de Vadim Gluzman est aujourd’hui l’un des plus beaux du monde. Si l’Orchestre symphonique de Lucerne, fort correct mais un peu mince et pâle, et la direction de James Gaffigan, sobre et souple, ne sont pas tout à fait du même niveau, au moins laissent-ils s’épanouir le soliste. Le choix des tempos, respirant large quand il le faut, s’avère très juste. Dans les premier et troisième mouvements, les cadences signées Alfred Schnittke, iconoclastes et insolemment anachroniques (avec leurs relents des concertos pour violon de Brahms, Berg, Bartok et Chostakovitch), feront grimacer les puristes ; en réalité, elles ne contredisent jamais l’esprit de l’œuvre. Le timbre cultivé à l’extrême du violoniste israélien d’origine ukrainienne, la sveltesse, le galbe raffiné des inflexions emportent tout. Toutefois, malgré une prodigieuse maîtrise, son jeu manque par endroits d’intériorisation.

Son   (1978) reste l’une des meilleures œuvres de Schnittke, véritable charte du post-modernisme – même si le terme n’existait pas encore – où la technique de l’emprunt au passé et le goût de l’expression débridée invalident toute espèce de repère. Ses trois mouvements enchaînés (lent-vif-lent) ne requièrent qu’une formation réduite (treize vents et quatuor à cordes). Débutant par une vertigineuse cadence prolongée, la partition évolue de l’extatique à l’erratique et au conflictuel avant de revenir au climat de départ. Né à peine quelques années avant cette œuvre aussi effervescente qu’inspirée, Gluzman en apprivoise la richesse d’écriture, oscille entre tonalité et atonalité avec une aisance confondante. Son interprétation brillamment virtuose ne manque cette

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