Diapason

Maestoso e vivace

Albeniz / Bach / Barber / Beethoven Beethoven / Berlioz / Bollon / Brahms Brahms / Britten / Bruckner / Chopin / Couperin / Dohnanyi / Dvorak Haydn / Hoffmeister / Hosokawa / Kagel / Kurtag / Lalande Lassen / Mahler / Mendelssohn / Moniuszko / Mozart Mozart / Nørgard / Paderewski / Paër / Pärt Paganini / Pintscher / Prokofiev / Purcell / Regel / Reich Respighi / Romberg / Saint-Saëns / Schubert Schubert / Straesser / Tchaïkovski / Tcherepnine / Torri / Verdi Vivaldi / Wagner / Weber / Récitals

Il y a dans la direction très alerte de Jean-Jacques Kantorow un mélange d’autorité et de spontanéité qui nous avait conquis dans les Symphonies nos 1, 2 et dans celle en la majeur, objets du volet précédent (cf. no 703).

Le caractère fantasque, la vitalité qui en résultent donnent un relief inouï à la Symphonie en fa majeur « Urbs Roma » (1856). Couronnée par la Société Sainte Cécile de Bordeaux, exécutée à Paris puis reprise à Bordeaux (pour la première apparition du compositeur comme chef d’orchestre), l’oeuvre fut inexplicablement écartée de son catalogue officiel. Elle trouve ici sa gravure de référence, l’emportant de peu sur celle de Christian Macelaru (Erato, cf. p. 77), un rien plus épaisse de trait.

Le Molto vivace, tourbillonnant du début à la fin avec une vélocité chaleureusement assumée par les musiciens liégeois, se charge d’une exubérance qui marque également le finale et ses variations espiègles. La marche funèbre du Moderato assai serioso – que Saint-Saëns recyclera un demi-siècle plus tard dans sa partition pour L’Assassinat du duc de Guise (1908) – baigne dans un climat de tendresse émue, quand Jean Martinon hier (repris dans la « Camille Saint-Saëns Edition » de Warner, cf. no 705) et Macelaru aujourd’hui lui donnent un ancrage plus solennel.

Apothéose

La finesse du dessin, la souplesse des contrastes dynamiques frappent également dans la Symphonie no 3 en ut mineur « avec orgue » (1886). Avec des accents plus coupants que ceux du National de Macelaru, le Philharmonique de Liège de Kantorow nous plonge d’entrée dans le « sentiment sombre et agité » évoqué par Saint-Saëns dans le Programme analytique qu’il rédigea pour la création à Londres. Les transformations du thème fondamental évoluent vers une « tranquillité plus grande » qui s’épanouit dans le Poco adagio, gradué avec délicatesse, où l’orgue de Thierry Escaich se fond paisiblement sans rien brusquer. La sèche et vigoureuse clarté du second mouvement nous transporte, l’élément « fantastique, qui se déclare franchement dans le Presto » est bien là, avec ses badinages d’arpèges et de fusées.

La rentrée Maestoso de l’orgue possède un éclat lumineux, une majesté qui n’ont rien, là encore, d’écrasant. Puis, c’est l’apothéose, grandiose, foudroyante, glorieuse – sans alentissement ni poids mort – dans un aveuglant ut majeur. Nous tenons notre nouvelle version de chevet!

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ISAAC ALBENIZ

1860-1909

« Dans l’air du soir ». Suite espagnole op. 47. LISZT: Trois sonnets de Pétrarque. Trois Etudes de concert.

Elodie Vignon (piano).

Cypres. Ø 2021. TT: 1 h 17’.

TECHNIQUE: 4/5

Curieux titre et étrange couplage pour des oeuvres et des styles qui n’ont pas grand-chose à voir – il en serait autrement avec Iberia d’Albeniz, dont l’exubérance flamboyante, elle, est totalement lisztienne! La Suite espagnole aligne des cartes postales parfois un peu défraîchies par le temps. Elodie Vignon feuillette ce recueil de jeunesse d’un toucher soyeux, avec un bel enthousiasme et beaucoup de conviction; une once de mystère et de poésie (Granada, Cataluña), le sens du pittoresque, des couleurs (Sevilla, Cadiz), et même une certaine sensualité, y préviennent toute monotonie.

Point de « régionalisme » musical chez Liszt. Même si sa Rhapsodie espagnole brode sur les thèmes de la Jota, aucun folklore ne s’y exalte à proprement parler. Ce qui l’intéresse en Italie, et qu’il consignera dans ses Années de pèlerinage, c’est l’art, la poésie, comme celle de Pétrarque qu’il adapte pour voix et piano par trois fois, puis transcrit pour piano seul. Sans atteindre la suavité spirituelle de Benjamin Grosvenor (Decca, Diapason d’or), la pianiste les incarne avec le mélange éloquent d’abandon et de tendresse qui caractérise le triptyque.

Les Etudes de concert bénéficient de la même souplesse; la prégnante mélancolie d’Il lamento est parfaitement rendue, aussi bien que la subtilité toute chopinienne de La leggierezza ou l’élan fiévreux d’Un sospiro. N’y manque que la grâce supérieure d’un Daniil Trifonov (DG, cf. no650). Un disque très attachant.

Jean-Yves Clément

JOHANN SEBASTIAN BACH

1685-1750

Cantates BWV 82, 32 et 106 « Actus tragicus ». Joanne Lunn (soprano), Katie Bray (alto), Hugo Hymas (ténor), Matthew Brook (basse), Robert Davies (basse), Dunedin Consort, John Butt (clavecin, direction).

Linn. Ø 2020. TT: 1 h 06’.

TECHNIQUE: 4,5/5

On quitte toujours une réalisation du Dunedin Consort en ayant appris quelque chose. Interrogeant les sources conservées de l’Actus tragicus, John Butt en a déduit que cette célèbre cantate devait se jouer au Chorton (un demiton au-dessus du diapason moderne), avec des violes de taille différentes (ténor et basse). On regrette que ces considérations organologiques ne viennent pas nourrir une interprétation plus habitée. Le recueillement est certes au rendezvous, mais le quatuor vocal frappe par ses imprécisions, son déséquilibre, avec un alto au vibrato importun (« Es ist der alte Bund »). L’orgue, dont le chef souligne pourtant l’importance dans son introduction, sonne pour le moins fluet.

Les mêmes griefs s’appliquent aux deux autres oeuvres du programme. Si la mise en place de la tant prisée BWV 82 est plus assurée, avec un joli phrasé du hautbois, Matthew Brook y expose maintes limites expressives et techniques: son « Schlummert ein » patine, la première aria pâtit d’une diction trop détachée. Joanne Lunn traverse la BWV 32 avec une grâce souriante et un investissement supérieur à celui de son partenaire, qu’elle réussit à extirper de sa torpeur (« Nun verschwinden »). Rien de rédhibitoire ni d’enthousiasmant dans ce disque dont le travail de réflexion trouve dans ses interprètes un relais insuffisant. Retour à Pierlot pour la BWV 106 (Mirare, 2005), à Lutz pour la BWV 32 (Bach-Stiftung, 2021). La discographie de la BWV 82 offre un choix immense, de Fischer-Dieskau avec Richter (Archiv, 1968) à Kooy avec Herreweghe (HM, 1991) ou Goerne avec le Freiburger Barockorchester (HM, 2017).

Jean-Christophe Pucek

Concerto italien BWV 971. Ouverture dans le style français BWV 831. Toccata BWV 912. Partita BWV 1004 (Chaconne, transcr. Sempé).

Aya Hamada (clavecin).

Evidence. Ø 2020. TT: 1 h 06’.

TECHNIQUE: 4/5

Diplômée de la Juilliard School, élève à New York de Kenneth Weiss, de Skip Sempé à Paris, mais aussi de Christophe Rousset et de Pierre Hantaï, Aya Hamada vise grand pour son deuxième disque: les deux oeuvres qui forment la Clavier-Übung II augmentée de la Toccata BWV 912 en mineur et de la Chaconne de la Partita pour violon BWV 1004 transcrite par Skip Sempé. Folle audace ou carte de visite idéale? Si la discographie a déjà bien servi le recueil publié par Bach en 1735, ses deux versants, à la française et italianisant, permettent au musicien de montrer ce qu’il sait faire.

Et la claveciniste japonaise sait faire bien des choses, à commencer par magnifier les sonorités du superbe Ruckers de Neuchâtel: tous ses registres sont magnifiquement exploités, du vrombissement impétueux aux reflets moirés les plus raffinés. L’interprète met ces timbres somptueux au service d’une lecture où la couleur exprime les affects (les Echos de la BWV 831!). Rien ne lui échappe de la dramaturgie d’une Ouverture en si mineur solidement architecturée, dont les épisodes sont soigneusement contrastés sans pour autant virer à la démonstration de rhétorique – un esprit sensible veille.

Passons sur quelques duretés çà et là: une Courante un peu brusquée, par exemple, ou les premières mesures du Concerto italien, trop piquées à notre goût. Celles-ci ne doivent pas décourager tant la suite du mouvement se révèle bien conduite, en particulier en termes d’intégration de l’ornement à la ligne et de passage d’un clavier à l’autre. Implacable et fascinant, l’Andante central nous tient en haleine – c’est l’un des joyaux de l’album. Le Presto cavale et s’amuse sans oublier de chanter: un enchantement.

Si la Toccata placée en tête du programme révèle quelques passages à vide (tout comme certaines danses de la BWV 831), la Chaconne conclusive est magistralement menée, recelant de véritables splendeurs. Un seul exemple: écoutez l’équivalent des bariolages de violon à partir de 10’ 45’’; on chavire! Mieux qu’une carte de visite, donc, un disque au charme vivace.

Loïc Chahine

L’oeuvre pour clavier, Vol. V: Toccatas BWV 565, 910, 911, 916. Préludes et fugues BWV 536a, 543, 543/1a, 545, 895. Concertos BWV 981, 982, 985, 987. Pièces BWV 528/2a, 695-699, 701-704, 706, 713, 722, 727, 729, 730-732, 738a, 747, 768, 904, 1128. Toccatas et fugues BWV 538, 540.

Benjamin Alard (clavecin-pédalier, clavicorde, orgue Blumenroeder du temple du Foyer de l’Âme à Paris).

HM (3 CD). Ø 2019-2020.

TT: 3 h 05’.

TECHNIQUE: 4/5

Benjamin Alard donnerait-il ici le plus beau volume de son intégr ale en cours? Nous trouvions son Volume IV, italianisant, bien peu italien (cf. no698). C’est que le sourire transalpin se réfugiait dans ce Bach de Weimar et dans les couleurs mordorées de l’orgue récent construit à Paris par Quentin Blumenroeder; dans cette Toccata en fa majeur d’une virtuosité tournoyante et solaire; dans cette Toccata BWV 565 d’un phantasticus tout en élans maîtrisés; dans ces chorals qui chantent Dieu en langue profane.

Profane, et même galante: car le clavecin-pédalier donne une tonalité bien sentimentale aux quatre variations de la partita Sei gegrüsset dans la version du manuscrit P 802 de Berlin – copie issue du cercle de Bach à Weimar. Aux inquiétudes harmoniques de la Toccata en fa dièse mineur BWV 910 répond la sérénité du Prélude et fugue en la majeur BWV 536a: l’une pour clavecin, l’autre pour orgue, leur idiome apparaît ici bien similaire. Seule faute de goût à notre avis: jouer au clavecin la Toccata « dorienne », dont la destination à l’orgue est plus que documentée.

Notre CD préféré est celui confié au clavicorde. Sublime exercice d’expressivité que celui qui démontre ainsi la polyvalence de cet instrument, passant des concertos aux chorals avec non seulement aisance mais une gamme de sensibilité qui prélude à l’Empfindsamkeit. Que de réflexions suscite ce coffret! Sur le langage instrumental de Bach, évidemment, et l’ébranlement de nos habitudes, mais davantage encore sur la destination de ces pièces, et c’est la grande richesse de la démarche de Benjamin Alard. Concert? culte? joies domestiques? Leurs porosités font s’interpénétrer affects, vie quotidienne et spiritualité avec une simplicité dans la complexité infiniment proche de ce Bach déjà si maître de ses moyens et si habité.

Paul de Louit

Variations Goldberg.

David Fray (piano).

Erato. Ø 2021. TT: 1 h 27’.

TECHNIQUE: 3,5/5

On rapporte que Pablo Casals donnait à ses élèves le conseil de jouer Bach comme du Chopin. Conseil que, sans nul doute, David Fray a pris à son compte, en mode Nocturne. Ces Goldberg-ci ne sont que mélodie accompagnée: dans les canons, dans la fuguette, dès qu’une voix rentre, l’autre se met en retrait, de sorte qu’aucune polyphonie n’apparaît jamais que ramassée en une seule ligne.

Malheureusement, ce Bach, ou plutôt donc ce Chopin-là pourrait presque ressembler à du Richard Clayderman. Langueurs larmoyantes (Aria, Variations IX ou XIII…) et coups de menton virils (IV, Quodlibet) alternent dans un contexte technique laissant particulièrement à désirer dans la réalisation des ornements, avec notamment des trilles d’une propreté douteuse (X, XIV…).

On oublie souvent la suite du conseil de Casals: jouer Chopin comme du Bach. Quelque ossature n’aurait pas nui, sous le smoking rose à paillettes…

Paul de Louit

SAMUEL BARBER

1910-1981

Sonate pour violoncelle et piano. 4 mélodies (arr. Parkin). RACHMANINOV: Sonate pour violoncelle et piano. 3 mélodies (arr. Kanneh-Mason).

Sheku Kanneh-Mason (violoncelle), Isata Kanneh-Mason (piano).

Decca. Ø 2020-2021. TT: 1 h 07’.

TECHNIQUE: 5/5

Si la famille Kanneh-Mason est devenue la coqueluche de la scène britannique, c’est la première fois que Sheku enregistre avec sa soeur Isata. Fini les programmes bigarrés du début: cette heure de musique pleine d’énergie juvénile fait l’objet d’un couplage aussi exigeant que pertinent.

La concise et dense Sonate op. 6 (1932) d’un étudiant américain de vingt et un ans reçoit ici une version où dominent chaleur, expressivité et entente mutuelle. Quatre mélodies, écrites pendant l’adolescence et arrangées par Simon Parkin, la complètent, en sus de Sure on This Shining Night, contemporaine du fameux Adagio (1938). Toutes « parlent de la nature et de belles choses. Je les adore », commente Sheku.

Suivent trois mélodies (deux de l’Opus 34 et une de l’Opus 21) de Rachmaninov, adaptées par le violoncelliste lui-même. La prise de son, idéale, permet de développer les atmosphères tour à tout véhémentes et intimes de ces pages gorgées d’expression. Tout est en place pour une Sonate op. 19 (1901) réussie, ayant manifestement assimilé le sens de la retenue du compositeur-interprète. Rien d’agressif dans la sonorité de ce piano rond, coloré, attentif et discret quand il le faut. L’Amati de Sheku peut ainsi chanter et développer ses impressionnantes qualités de dynamique, établir un équilibre quasi idéal entre accents et continuité de la ligne, vigueur de l’archet et lyrisme, tandis que le vibrato est d’une admirable variété.

Michel Stockhem

LUDWIG VAN BEETHOVEN

1770-1827

« 1802 ». Variations Eroica op. 35. Bagatelles op. 33. Sonate no17 « La Tempête ». Variations op. 34.

Jonas Vitaud (piano).

Mirare. Ø 2020. TT: 1 h 21’.

TECHNIQUE: 4,5/5

1802: conscient de son irrémédiable surdité, Beethoven écrit son fameux « testament d’Heiligenstadt », texte poignant où il se laisse aller au désespoir: « Un peu plus) à la grande forme ( « ») en passant par deux cahiers de variations.

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