Diapason

Portraits de maîtres

Francesco Corbetta (1615-1681, Italie)

« Ses parents le menacèrent inutilement de leur colère pour forcer à abandonner cet instrument », note une biographie de l’époque. En alla-t-il de même de Louis XIV qui fut, selon certains, son élève? Le jeune roi apprit d’abord le luth, avec Germain Pinel à partir de 1647. Mais dès 1651, le gamin n’en fait qu’à sa tête : il veut jouer de la guitare. On recrute un certain Bernard Jourdan de la Salle, né près de Séville, qui fut rémunéré au moins jusqu’en 1693. D’aucuns affirment que Mazarin fit venir Corbetta – « le meilleur de tous » les guitaristes selon son contemporain Gaspar Sanz – pour le roi, et que ce dernier « égala son maître » en dix-huit mois. Nulle preuve tangible, si ce n’est qu’il était à Paris et y rencontra Charles II d’Angleterre en exil. Qui, lui, l’embaucha. Le guitariste partagea d’ailleurs les vingt dernières années de sa vie entre Londres et Paris et publia deux recueils intitulés La Guitare royale, dédiés à l’un et l’autre souverains (1671 et 1674). Outre ses activités guitaristiques – il fut l’un des grands promoteurs de la technique mêlant pizzicato et battuto –, il établit en Angleterre une entreprise de jeu de hasard. Mais les ennuis qui s’ensuivirent prirent de telles proportions qu’ils furent, d’après certains, l’une des principales raisons qui poussèrent le roi à interdire les jeux d’argent en 1664. La guitare lui réussissait mieux.

Santiago de Murcia (1673-1739, Espagne)

Corbetta avait la bougeotte. Murcia fut un sédentaire. Il semble ne s’être pas éloigné de Madrid, il y est né et, comme l’a établi le chercheur Alejandro Vera, il y est mort. Longtemps, pourtant, on a cru qu’il avait traversé l’Atlantique pour finir ses jours à Mexico, où l’on a trouvé deux manuscrits de ses œuvres – un autre a été découvert au Chili en 2006! Et puis, ces Cumbees, avec même leurs « golpe » (un coup frappé sur l’instrument), ces Zarambesques, ne sentent-ils pas le Nouveau Monde? Ils étaient en réalité bien implantés en Espagne aussi. Dans sa musique, des arrangements de danses françaises ou de sonates italiennes côtoient les airs typiquement ibériques : tout un petit monde en tablatures. Murcia ne fut donc pas le voyageur qu’on imaginait. Sur la page de titre de son Resumen de acompañar (Bref traité sur l’accompagnement, 1714), sa seule œuvre publiée, il se dit « maître de guitare de la reine Marie-Louis-Gabrielle de Savoie», épouse de Philippe V (lui-même petit-fils de Louis XIV). Il dédie le traité à Jacome Francisco Andriani, qui sans doute fit le lien avec l’Amérique où il avait des contacts commerciaux. Peut-être même est-ce lui qui commanda au guitariste des manuscrits à exporter. Ce qui n’empêcha par Murcia de finir sa vie dans la misère…

Johann Kaspar Mertz (1806-1856, Autriche)

Johann Kaspar Mertz est un compositeur tout à fait original dans son approche quasi lisztienne de l’instrument. On trouve dans ses trois grandes fantaisies (, et ) des inspirations comparables, que les titres attestent, mais aussi la même virtuosité au service de l’expression. Si les sublimes () sont d’inspiration, les six lieder du de Schubert et la trentaine de fantaisies sur des airs d’opéras de Weber, Donizetti, Auber, Meyerbeer, Bellini, Verdi… sont autant de points de rencontre avec le grand Liszt. Un répertoire de duos, la seconde guitare accordée une tierce au-dessus de la première, est encore à découvrir.

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