Vanity Fair France

Le vilain PETIT CANARD

RENCONTRE

Au Canard enchaîné, la conférence de rédaction du lundi est un rituel un peu convenu. On y ébauche le prochain sommaire, on s’envoie des piques, on échange des banalités. Les enquêtes sensibles sur les affaires politiques se discutent ailleurs, en petit comité, pour éviter les fuites. Mais la réunion qui se tient ce 22 mai 2023 a une tonalité particulière. Mis à pied depuis près de deux mois, le journaliste et délégué syndical Christophe Nobili vient d’être réintégré sur ordre de l’inspection du travail. Il est là, à 9 heures du matin, avec dix-sept de ses collègues autour de la table. L’ambiance est pesante. De façon inhabituelle, le rédacteur en chef Jean-François Julliard ne prend pas la parole en premier, laissant Jean-Luc Porquet commencer. Auteur de nombreux essais, sur la malbouffe ou la condition animale, Porquet a œuvré pour l’embauche de Nobili au Canard dix-huit ans plus tôt. Mais aujourd’hui, il se lance dans un réquisitoire cinglant contre son ancien protégé, le traitant tour à tour de « commissaire politique » ou de « balance des flics ». Rien ne lui est épargné. « Je considère la présence de ce personnage dans nos locaux comme quelque chose d’atroce », fulmine-t-il.

La charge n’est pas terminée. Elle va durer près d’une demi-heure. Trois honorables confrères prennent le relais : ils parlent de « complot » contre Le Canard, évoquent des arrière-pensées pécuniaires. Si les dessinateurs du journal sont absents (ils n’assistent jamais à la réunion du lundi), les récentes recrues, elles, sont pétrifiées. En face se tient Nicolas Brimo, 72 ans, le directeur du Canard. A-t-il orchestré ce procès ? En tout cas, il jubile. Christophe Nobili est ébranlé. À peine bredouille-t-il quelques mots pour sa défense, inaudible. Il n’en dormira pas durant deux jours, sujet à des palpitations, au point d’aller consulter un cardiologue.

Quand survient ce psychodrame, cela fait déjà quinze mois que l’on se déchire au sein du fameux « journal satirique paraissant le mercredi », comme il est écrit en guise de devise en première page. Celui par qui le scandale arrive, c’est donc Christophe Nobili – Bill pour les intimes. Un bon vivant, du genre à refaire le monde le soir au bistrot avec les illustrateurs Wozniak et Kiro. Corse par son père, Sicilien par sa mère, cet enquêteur a toujours eu un fort caractère, tantôt rugueux, tantôt hâbleur. « Pas toujours facile, un peu grognon, mais ce n’est pas le sujet », précise son amie et consœur Anne-Sophie Mercier. Le sujet ? Quelques mois plus tôt, Nobili a osé enquêter sur son propre journal et ce qu’il a découvert l’a conduit à porter plainte contre X pour un soupçon d’emploi fictif devant le tribunal correctionnel de Paris. Un procès aura lieu du 1er au 3 juillet. Exactement le genre d’histoires que adore révéler au sein des partis politiques ou des multinationales. « J’attaque ceux qui ont dévoyé le journal, pas l’institution », se défend-il. Enfin, aggravant son cas, il a raconté tous les détails de son enquête interne dans un livre intitulé (JC Lattès, mars 2023) : une faute déontologique selon la direction qui l’a par conséquent mis à pied avec suspension de salaire, avant d’être déjugée par une inspectrice du travail – le statut de délégué syndical de Nobili faisait de lui un salarié protégé. On en était là, le 22 mai 2023, lors de cette conférence de rédaction en forme d’exécution.

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