Dans les annales des courtiers bordelais cette année se présentait, d’un bout à l’autre, comme 1947 ou 1961. Plus de vingt ans séparent alors le dernier millésime qui a fait la grandeur de Bordeaux de celui qui est en train de naître. Il y a des années comme ça qui naissent comme bénies par une main supérieure. Où le soleil abonde comme il faut. Où la pluie gonfle les sols et les baies au bon moment. 1982 est un don de la nature comme nul autre. Car si 1947 et 1961 sont tout aussi remarquables, les rendements n’étaient pas aussi importants. Jusqu’à présent, un bon millésime donnait environ 40 hectolitres par hectare; 1982 offre plus de 60 hectolitres par hectare et des degrés à la hauteur de ce monument.
1961-1982, vingt et un ans d’écart. Une génération. Un monde. C’est d’ailleurs le millésime d’une génération. Celle d’œnologues, de vignerons et de techniciens qui doivent vinifier des vins avec des raisins enfin mûrs! Ils n’en croient pas leurs yeux. « Souvent, on me demande quelle est mon année préférée, mais je n’en ai pas à vrai dire. En revanche, je cite volontiers 1982 car, pour la première fois, j’ai pu comprendre comment les vins du Médoc pouvaient être grands. En fait, cela a été le millésime de la révélation », raconte Daniel Llose, l’œnologue du château Lynch-Bages, âgé de 31 ans en 1982. « Enfin, nous rentrions des raisins bien mûrs que nous n’avions pas besoin de chaptaliser pour les monter à 12° d’alcool. Nous avons même pu attendre quelques jours pour ramasser les cabernets comme nous, poursuit-il, lumineux, devant un tableau de Fabienne Verdier, face aux croupes de graves profondes de Pauillac. , raconte Jean-Michel Cazes dans ses mémoires. En avance sur ton temps, à la pointe de la technologie puisqu’ancien ingénieur chez IBM, c’est aussi en 1982 que le propriétaire de Lynch-Bages fait l’acquisition d’un ordinateur Apple II qui servira à l’équipe pour gérer le flux de l’arrivée de la vendange…