Un patronyme dit beaucoup de choses d’une personne, de ses origines, du voyage que ses ancêtres ont pu entamer pour s’ancrer dans un nouveau territoire. On pense aux Basques en Argentine et au Chili, aux Irlandais aux États-Unis, aux Algériens, aux Espagnols, aux Italiens qui ont peuplé l’Hexagone. Et si l’on associe la Champagne à l’Allemagne, ce sont les guerres qui habitent nos pensées et non le commerce de draps ou l’envie irrépressible de jeunes Allemands attirés par l’esprit de liberté qui souffle sur cette jeune démocratie française post-révolutionnaire. En énumérant aujourd’hui les noms des grandes maisons de Champagne, Heidsieck, Mumm, Krug, Deutz ou Bollinger, ce sont autant d’histoires qui composent la pluralité des identités de cette Champagne vigneronne.
« Les relations entre les Allemands et la Champagne ne sont pas nées au XIXe siècle comme on pourrait le croire, mais beaucoup plus tôt, dès le XVIe siècle, notamment avec le commerce du textile. Les premiers commerçant allemands s’installent dans la région et développent des relations avec leur pays d’origine », raconte l’historien champenois Éric Glâtre, grand spécialiste des vins de Champagne. Ses nombreux ouvrages retracent notamment la vie de ces entrepreneurs venus d’outre-Rhin. « Ils commencent par vendre des draps, puis ils développent le commerce de vins de Champagne. Il ne s’agit pas de vins pétillants mais de vins de la région de Reims et d’Épernay. D’ailleurs, en 1800, sur 20 000 hectares de vignes plantées dans la Marne, seuls 6 000 hectares produisent des vins de qualité et, parmi eux, 1 400 seulement donnent des raisins susceptibles de donner des vins mousseux », poursuit l’historien.
L'ÉPOPÉE HEIDSIECK
L’un des pionniers ayant laissé son empreinte dansrejoint en 1804 par son neveu Charles-Henri Heidsieck, fils de pasteur et fin commerçant. C’est lui qui, dès 1811, part en Russie vendre le champagne de son oncle, par la route, avec un cheval de bât et un domestique. Il a 21 ans. Sept ans plus tard, naturalisé français, il épouse Émilie Henriot-Godinot, fille de commerçants en textile de Reims. Le jeune commerçant décède d’une congestion cérébrale en 1824, laissant sa femme et quatre enfants en bas âge. L’un d’eux, Charles, travaille plus tard avec son oncle Piper Heidsieck, qui a fondé sa maison de Champagne, avant de voler de ses propres ailes et de créer à son tour sa marque: Charles Heidsieck. Grand voyageur, comme tous les propriétaires de maisons de Champagne à cette époque, Charles Heidsieck se retrouve pris dans la tourmente de la guerre de Sécession lors de son arrivée à la Nouvelle-Orléans en 1862, porteur de plis diplomatiques pour le consul de France sur place. Il est emprisonné près de quatre mois et accusé d’intelligence avec l’ennemi.
