En juillet 30 av. J.-C., la bataille d’Alexandrie provoque la disparition du dernier royaume hellénistique. Victorieux de Cléopâtre VII, reine de l’Égypte ptolémaïque, Octave (futur Auguste) pose les fondations du régime impérial sur les cendres encore fumantes de l’héritage politique d’Alexandre le Grand. C’est dans ces années-là que Tite-Live se consacre à la rédaction de son Histoire de Rome depuis sa fondation. Au livre IX de cette grande fresque narrative, l’auteur latin s’adonne à un exercice d’histoire-fiction: que se serait-il passé si, après avoir été victorieux de la Perse et de l’Inde, Alexandre avait tourné ses armes contre l’Occident et envahit la péninsule Italique? La réponse est l’occasion d’un vibrant plaidoyer pro domo. Les Romains auraient sans aucun doute triomphé du conquérant macédonien, car ils pouvaient s’appuyer sur un outil militaire bien plus redoutable que la phalange macédonienne: « Comme armes, les Macédoniens avaient le bouclier rond et les sarisses, tandis que le soldat romain avait le bouclier long (scutum), qui offre une plus grande protection pour le corps, et le pilum, arme sensiblement plus puissante que la lance par l’effet de pointe et de jet. Dans les deux camps, le soldat combattait en ligne, en tenant sa position dans les rangs; mais leur phalange n’avait pas de mobilité et était formée d’un seul type de combattants, alors que la ligne de bataille romaine était diversifiée, composée de plusieurs éléments, facile à diviser, chaque fois qu’il en était besoin, et facile à réunir. »
Tite-Live n’a pas conçu cet argumentaire . La comparaison de la légion et de la phalange est un topos littéraire à son époque. L’un des premiers auteurs à s’être illustré dans cet exercice de style n’est autre que Polybe de Mégalopolis (v. 200-v. 120 av. J.-C.), homme politique, officier et écrivain originaire du Péloponnèse. Après la victoire de Rome contre la Macédoine à Pydna G&H , en 168 av. J.-C., ce dernier fréquente l’aristocratie romaine pendant dix-sept ans (associé au général romain Paul Émile, le vainqueur de Pydna, il deviendra l’ami de son fils Scipion Émilien, vainqueur définitif de Carthage en 146). Il se familiarise avec les institutions militaires de la République et consacre la dernière partie, avec pour ambition d’exposer au lectorat grec les raisons de l’essor de l’Urbs (la Ville), devenue en quelques décennies la puissance dominante du bassin méditerranéen.