CONTRACTUELLEMENT, Chris Evans devait incarner Captain America à sept reprises. En 2019, après la septième, dans Avengers: Endgame, il a quitté Los Angeles. L’idée pour lui était… Disons qu’il en avait plusieurs en tête. L’une d’elles était de s’extraire d’une ville synonyme pour lui d’“anxiété pavlovienne”. Une autre était de rentrer chez lui, dans le Massachusetts de son enfance, où il réside par intermittence depuis 2014. Là-bas, sitôt descendu de l’avion, il dit se sentir différent: “Ça me ramène à une période non pas où ma vie était plus simple – c’est trop réducteur – mais où, moi, j’étais plus pur, j’imagine; où mon ego et mes insécurités ne constituaient pas encore cette force dominante contre laquelle je dois lutter.” Aux abords de Boston, chez lui, il confesse pouvoir enfin vivre à son rythme. Cette seule pensée le fait sourire. Sa voix prend des accents juvéniles, se fait plus tendre, plus douce: “Je n’arrive pas à croire que j’ai 42 ans.”
Depuis 20 ans, il travaille régulièrement, avec succès, à Hollywood. L’acteur n’a toutefois pas la sensation d’avoir toujours eu le contrôle de sa carrière. Plus jeune, il a enchaîné les apparitions dans ce qu’il qualifie aujourd’hui de “mauvais films”. Ses premiers vrais succès, rappelle-t-il, il les a connus dans des rôles de “gros bras tête de nœud”: des beaux gosses baraqués et un peu cons, dont la suffisance était la plus notable des qualités. Puis est arrivé Steve Rogers, mieux connu sous le nom de Captain America. Un personnage si figé et iconique – à la différence d’autres héros Marvel, Cap est resté exactement le même type vertueux depuis sa création en 1940 – que le job principal d’Evans aura finalement plus été celui d’un gardien du temple que d’un explorateur ou un inventeur.
Aucun de ces rôles ne s’aligne réellement avec celui qu’il est au quotidien lorsqu’il ne travaille pas, et ça lui va très bien comme ça. “Il y a des gens, précise-t-il, dont tu te dis tout de suite en les rencontrant: ‘Ça, c’est une star de cinéma.’” Mais il insiste: lui n’en fait pas partie. “J’adore être acteur. Mais je pourrais vivre sans ça.” Il a connu suffisamment de succès pour être financièrement à l’abri pour le restant de ses jours, et probablement quelques autres vies de plus. Mais en dépit, ou peut-être à cause de ce succès, raconter la grande histoire de Chris Evans est le cadet de ses soucis. “Quand je ne suis pas concentré sur ma petite personne, dit-il, et que, par exemple, je me questionne sur la raison d’être des trous noirs, ça me permet de relativiser, de réaliser que ma seule présence en ce bas monde tient déjà du miracle. C’est comme tirer une balle sur une autre balle. Je veux dire, le fait que chacun d’entre nous soit là est incroyable. Réfléchir à ce genre de choses me procure une sensation de paix profonde. J’arrête de penser ou de me poser des questions sur ma carrière.”
Avant notre rencontre, j’avais ma petite idée. La vie et l’œuvre d’Evans devaient me permettre d’aborder toutes sortes de notions intéressantes sur ce que c’est qu’être une tête d’affiche, un premier rôle, dans une industrie du cinéma moderne qui peine à se réinventer et à asseoir un modèle économique viable. Je pensais: les trois films qu’il a tournés l’an dernier – Ghosted, une comédie d’action pour Apple, avec Ana de Armas; Pain