S’étendant, de l’Opus 18 à l’Opus 135, sur près de trois décennies, la production beethovénienne pour quatuor atteste une évolution prodigieuse de la pensée, de l’écriture et de la forme. Mais, contrairement à celui des trente-deux sonates pour piano, plus continu et régulier, ce cheminement jaillit en trois vagues isolées correspondant aux trois grandes périodes créatrices du compositeur – la dernière étant à bien des égards la plus importante.
A l’aube d’une révolution
Quatuors nos 1 à 6
« Recevez, des mains de Haydn, l’esprit de Mozart », écrit le comte Waldstein à un Beethoven de vingt-deux ans lorsque celui-ci quitte Bonn pour Vienne. Belle prémonition : six ans plus tard, le jeune Ludwig signe ses Six quatuors op. 18 (1798-1800). Coup d’essai, coup de maître. Comme, plus tard, Schumann écrivant d’un seul jet ses trois Quatuors op. 41, Debussy son Quatuor en sol mineur, Bartok son no 1 ou Berg son Quatuor op. 3 ? Plutôt la maturation, déjà décisive, d’une approche assumant l’héritage de Haydn et de Mozart, et réalisant l’inventaire des moyens acquis pour tendre vers leur dépassement permanent. Commandés par le prince Lobkowitz, alors un des principaux mécènes – pour qui Haydn écrit en 1799 ses deux Quatuors op. 77, ses derniers achevés –, les Six quatuors op. 18, défendus par les musiciens réunis autour d’Ignaz Schuppanzigh, sont favorablement accueillis par les connaisseurs et le public. Beethoven y rend un hommage discret à l’auteur de la Création dans son Quatuor no 2 en sol majeur, et un plus appuyé à celui de Don Giovanni dans le no 5 en la majeur, dont les liens avec le KV 464, dans la même tonalité, sont évidents. D’aucuns – dont Beethoven lui-même, exaspéré par son succès – jugeront sévèrement le pathétisme à fleur de peau et les faiblesses (longues répétitions textuelles, mélodies accompagnées, suprématie conventionnelle du premier violon) que recèle le Quatuor no 4 en ut mineur; tandis que le no 3 en ré majeur, premier composé, fascine par sa trame frémissante, sa force dynamique jusque dans la méditation, sa maîtrise du temps musical et des transitions faisant entendre un langage et une expression qui n’appartiennent qu’à Beethoven.
Igor Stravinsky, 1968.
« Même le révolutionnaire le plus convaincu ne peut créer dans le vide », disait Ravel. Beethoven, dès l’origine, fait