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Wiener Philharmoniker Une certaine idée de l’orchestre

Redoutensaal du Palais impérial de Vienne, le 28 mars 1842 : Otto Nicolai lève la baguette pour lancer la 7e de Beethoven à la tête des musiciens de l’Opéra de la cour. Est-il alors conscient d’écrire la première page de l’histoire du plus prestigieux orchestre du monde ? Nommé un an plus tôt Kapellmeister à l’Opéra de Vienne, le Prussien fait un diagnostic : si la vie lyrique de la capitale autrichienne est foisonnante, le paysage symphonique y est pauvre. En cette première moitié du XIXe siècle, la ville ne compte aucun grand orchestre permanent, les seules phalanges professionnelles étant celles des théâtres. En 1833, Franz Lachner avait bien tenté d’établir une saison de concerts, mais il avait fait faillite. D’où cette idée toute simple : et si l’on sortait de la fosse les musiciens de l’Opéra ?

Maître-mot : l’indépendance

Dès le début, les fondamentaux du Philharmonique de Vienne sont esquissés. A commencer par l’indépendance. S’il y a un chef en la personne de Nicolai, le premier violon, Georg Hellmesberger, ne porte pas le titre de Konzertmeister mais bien d’Orchesterdirektor, révélateur de cette période où la figure du « maestro » n’est pas encore tout à fait construite. Les heurts sont nombreux entre les musiciens et Nicolai, qui les trouve trop nonchalants et manquant d’appétence aux répétitions… déjà ! Il est du reste profondément vexé quand, alors qu’il venait de renoncer à un concert pour raisons de santé et préconisait de l’annuler, les musiciens le jouent sans lui – une manière de montrer que l’on n’a pas besoin de chef !

Autre constante, liée à la précédente : le rôle central de la dimension économique. Les instrumentistes viennois sont mal payés, à l’exception de ceux qui parviennent à intégrer la Hofmusikkapelle, chargée de jouer lors des offices du dimanche au Palais impérial. Heureux de s’assurer un complément de revenu, les musiciens de l’Opéra se réunissent donc en dehors de leur service statutaire, afin de donner des concerts dont ils se partagent la recette selon un fonctionnement démocratique, avec un comité élu. Orchestre lyrique d’un côté, symphonique de l’autre. Orchestre public et salarié d’une part, privé et intermittent de l’autre. Toute son histoire consistera à faire cohabiter les deux logiques, les rapports des Philharmoniker avec l’Opéra oscillant entre entente et conflit.

Parmi les piliers du comité, certains sont, dès le début, un caillou dans la chaussure des patrons du théâtre lyrique, à commencer par les deux premiers cors solos, Eduard et Richard Lewy, père et fils. En 1853, le directeur, Julius Cornet, demande le renvoi ded’un mauvais œil l’émancipation de la société philharmonique. Héritier d’une pensée néo-féodale opposée à l’esprit libéral de 1848, il ne prise guère l’idée de voir lui échapper ses « sujets ». Jusqu’à aujourd’hui, les musiciens sauront, en retour, rappeler à quel point ils sont indispensables en menaçant régulièrement de s’affranchir de la tutelle de l’Opéra si l’on entravait leurs activités annexes… C’est donnant-donnant. D’un côté, l’Opéra doit réunir, à chaque représentation, un orchestre complet qui ne se disperse pas dans un excès d’activités incompatibles avec l’intérêt du service; de l’autre, le prestige des Philharmoniker retombe sur l’Opéra, pour qui c’est un atout de disposer d’une des meilleures phalanges du monde.

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