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Serge Prokofiev Une vie en trois mouvements

Une symphonie. Mieux, un concerto en trois mouvements: ainsi pourrait-on résumer la destinée de Serge Prokofiev (1891-1953). Le premier épisode nous le montre en Russie où, avant la Révolution, il reçoit une formation complète au conservatoire de Saint-Pétersbourg. Rapidement, il s’affirme comme un novateur radical: ses compositions pianistiques (pièces diverses, premières sonates, Concertos nos 1 et 2), la Suite scythe et la cantate Ils sont sept hérissent la frange conservatrice.

Quoique révolutionnaire de coeur, il émigre en 1918, d’abord aux Etats-Unis, où sont créés L’Amour des trois oranges et le Concerto pour piano no 3. Ce deuxième mouvement se poursuit en Europe (France et Allemagne), une période de vingt ans jalonnée de fortunes inégales, mais toujours très productive. Les passages chez Diaghilev, sur les traces de Stravinsky, apportent des succès éphémères: Chout (Le Bouffon) en 1921, ballet pétri de folklore russe et, en 1927, Le Pas d’acier dont l’action, sur un sujet constructiviste, se déroule dans une usine pendant le communisme de guerre, tribut à la mode prosoviétique en France. Après quoi survient, en 1929, la volte-face du ballet biblique Le Fils prodigue. Les années 1920 voient aussi la composition de la Symphonie no 2 « faite de fer et d’acier » et du monumental opéra L’Ange de feu (créé après sa mort). Un autre ouvrage lyrique, Le Joueur, composé avant la Révolution, connaît une seule représentation, en version française, au Théâtre de la Monnaie en 1929.

Commence enfin le troisième mouvement. Après un premier voyage en URSS en 1927, les relations avec le pays deviennent de plus en plus régulières au cours des années 1930, au cours desquelles il reçoit ses premières commandes – la musique du film Lieutenant Kijé, le ballet Roméo et Juliette. S’imaginant pouvoir continuer à circuler librement entre Est et Ouest, il se rend en 1938 à Hollywood pour s’aguerrir dans la composition pour le cinéma. Rentré cette même année en URSS, il signe la partition d’Alexandre Nevski pour Eisenstein, avant d’être définitivement retenu par le pouvoir soviétique. Cruelle ironie de l’Histoire, il meurt à Moscou le 5 mars 1953… le même jour que Staline!

Surprenant bûcheron

Une définition aussi stéréotypée que limitative ferait de Prokofiev un iconoclaste futuriste, un sarcastique à l’humour acide (n’a-t-il pas intitulé une de ses pièces pour piano ?), un tapageur dissonant – que son professeur de piano, la redoutable Anna Essipova, appelait « mon bûcheron »! Tout ceci recouvre certes une part de vérité, mais combien d’autres aspects sont tout aussi exacts dans un portrait aux multiples facettes? De fait, on trouvera peu de compositeurs à ce point capables de faire absolument ce qu’ils veulent avec les notes, passant de l’atonalisme à l’harmonie tonale, au modalisme populaire ou archaïsant, avec presque toujours la surprise offerte par une note pimentée, un tournant imprévu, une intonation chromatisée, ou la résolution désarmante de simplicité d’un quasi . Aux chocs et aux aspérités succèdent les mélodies les plus prenantes, les phrases recelant une émotion aussi profonde que dépourvue d’emphase, où se reconnaissent quelques tournures folkloriques qui ne sont pas, pour autant, de simples

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