Diapason

Piotr Ilyitch Tchaïkovski Un roman musical

Etablir un parcours en quinze stations à travers une oeuvre qui compte soixantequatorze numéros d’opus, plus six posthumes, et une cinquantaine d’autres sans numéro ? Voilà qui impose des choix cornéliens! Discutables, certaines absences seront sans aucun doute… discutées. Tchaïkovski étant le seul compositeur russe à avoir pratiqué tous les genres, nous avons choisi d’en présenter ici les principaux: opéras, ballets, symphonies et poèmes symphoniques, concertos, musique de chambre, mais encore mélodies avec piano. Voici donc l’histoire de quinze chefs-d’oeuvre, éclairée par les récurrences et fils conducteurs qui les lient les uns aux autres, comme par les affinités avec quelques compositeurs antérieurs, contemporains, voire futurs.

Symphonie no 1 « Rêves d’hiver », op. 13 (1866)

En blanc sur blanc

1 Tchaïkovski n’a que vingt-six ans lorsqu’il compose sa première symphonie, alors qu’il vient de terminer ses études au Conservatoire de Saint-Pétersbourg. L’oeuvre est plusieurs fois remise sur le métier, avant et après sa première exécution intégrale le 3 février 1868 sous la direction de Nikolaï Rubinstein. Elle n’est pourtant pas la moins réussie, loin de là. Sans doute ne correspond-elle pas autant que la trilogie des Symphonies nos 4, 5 et 6 à l’image d’un créateur hanté par les drames existentiels. C’est l’oeuvre d’un romantisme objectif, en harmonie avec la poésie nordique de son pays. « Rêves durant un voyage d’hiver »: sans rapport avec le Winterreise schubertien, le sous-titre du premier mouvement évoque plutôt les réminiscences de trajets en train de Saint-Pétersbourg à Moscou, dans un paysage en blanc sur blanc, entre neige et forêts de bouleaux. Loin du Nord granitique, aux sourcils froncés, que sera celui des sagas de Sibelius, Tchaïkovski développe une poésie intimiste, qui annonce la féerie de Noël du futur Casse-Noisette. Dans l’Adagio cantabile ma non tanto (« Contrée lugubre, contrée brumeuse »), la mélancolie de la contemplation est avivée par des échappées de flûte, audessus de la cantilène du hautbois. La partie principale du Scherzo est réadaptée de la Sonate pour piano n° 1, composée deux ans auparavant, encadrant un mouvement de valse. Le finale débute par une introduction Andante lugubre sur une mélodie populaire, suivie d’un Allegro maestoso où les artifices du contrepoint viennent pallier quelques difficultés dans la maîtrise de la forme. Mais pour l’art de la communication émotionnelle à travers la mélodie, l’harmonie et le coloris de l’orchestration, c’est déjà bien le Tchaïkovski des futures grandes fresques que l’on perçoit.

Roméo et Juliette, Ouverture fantaisie (1869)

Passion interdite

2 C’est Mily Balakirev, chef d’un Groupe des Cinq en cours de désagrégation mais qui aurait bien aimé compter Tchaïkovski parmi les siens, qui lui suggéra le thème de . Avec son enthousiasme autoritaire, il lui donna d’ailleurs des directives précises: « L’Ouverture doit commencer par un furieux , avec des coups de sabre »! Il indiquait même les tonalités, mineur et bémol majeur! Et Tchaïkovski obtempéra dans une large mesure. Une première version, jouée le 4 mars 1870, imaginé par Balakirev n’est pas au début de l’oeuvre, qui commence par un choral évoquant Frère Laurens, c’est bien lui qui lance, en mineur, la partie principale, violent comme la haine des deux factions rivales – lors de son climax, les coups de cymbales font bien entendre les sabres qui s’entrechoquent. Et c’est en bémol majeur que s’épanchent les deux mélodies complémentaires du thème de l’amour, sensualité de la passion et murmure de la tendresse, un des plus beaux de toute la musique russe selon Rimski-Korsakov. Expression déchirante d’un amour interdit comme Tchaïkovski était amené à en connaître, est la première et la plus réussie des trois pièces de sa trilogie shakespearienne, suivie de (1873) et de (1888). En 1878, son projet d’en faire un opéra se limita à un duo d’amour incluant le thème correspondant, resté inachevé et repris en 1894 par Taneïev qui le compléta avec d’autres motifs de l’Ouverture.

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