Frédéric n’a ni inventé, ni innové: il a mis en œuvre un potentiel militaire, ce qui n’est pas rien. Il a recueilli l’héritage de ses prédécesseurs qui ont forgé l’État prussien sur les ruines de la guerre de Trente Ans. Il a aussi savamment tiré avantage de l’affaiblissement militaire des grandes puissances européennes continentales – France, Espagne et Autriche – à un moment où la guerre de mouvement enregistrait un déclin progressif.
1 RECRUTEMENT Un problème jamais résolu
La Prusse est célèbre pour son recrutement réputé particulier, généralement connu du public grâce au film Barry Lyndon (S. Kubrick, 1975). L’image de sergentsrecruteurs brutaux ou filous est restée tenace, sans être tout à fait fausse, loin de là. Mais elle ne rend pas compte des évolutions considérables du système. À l’époque du Grand Électeur de Brandebourg Frédéric-Guillaume (l’arrière-grand-père de Frédéric II, qui règne de 1640 à 1688), l’armée est composée de volontaires originaires du duché de Prusse. Ce n’est qu’ensuite, sous Frédéric-Guillaume Ier (le père de Frédéric II, roi en Prusse de 1713 à 1740) que se développe la méthode de l’enrôlement fondé sur l’enlèvement et la menace – y compris en terres étrangères, ce qui déclenche presque une guerre en 1729 avec l’électeur de Hanovre, alias George II d’Angleterre.
L’enrôlement forcé n’est pas, à l’évidence, le meilleur moyen de forger une armée fiable. Aussi Frédéric-Guillaume Ier instaure-t-il en 1733 le « système cantonal ». Tous les sujets du royaume de Prusse, âgés de 18 à 40 ans, sont recensés et évalués pour leur aptitude au service. Les soldats ainsi recrutés doivent travailler lorsqu’ils ne servent pas aux armées, autant dans le but de contribuer à l’économie du royaume que pour empêcher les désertions: il est évident qu’on combat mieux quand il s’agit de défendre son lopin de terre.
Le système cantonal est loué à l’époque comme digne de l’Antiquité (sans qu’on y voie pour autant une forme de « », selon les mots de Jean Chagniot (. Mais comme l’appel aux conscrits et au volontariat ne permet pas de combler les énormes pertes de ses campagnes, Frédéric II relance l’enrôlement forcé. Ainsi, en 1751, sur 133 000 hommes, seuls 50 000 (37 %) sont issus des cantons et cette proportion ne dépassera jamais 43 % de l’effectif jusqu’à la mort du Vieux Fritz en 1786. Il faut noter en outre que les « cantonistes » sont bien plus présents dans la cavalerie, considérée comme plus prestigieuse. L’expédient ultime, à savoir l’incorporation de prisonniers de guerre, s’avère une fausse bonne idée: les Saxons ainsi forcés se retournent prestement contre les Prussiens à Kolín, dès qu’ils voient les Autrichiens prendre l’avantage.
