En ce petit matin ensoleillé du 22 septembre 1914, au large de la Hollande, le Kapitän-leutnant Otto Weddigen n’en croit pas son œil, vissé au périscope de son U-9 : alors qu’il vient de décocher une torpille mortelle au croiseur britannique Aboukir, ses deux semblables Hogue et Cressy, au lieu de déguerpir en zigzaguant, viennent d’eux-mêmes lui offrir leur flanc! Comprenant que les capitaines ennemis attribuent les déboires de leur collègue à une mine, Weddigen s’empresse de les détromper. Deux torpilles brisent bientôt l’échine du Hogue. Déséquilibré par son tir, le U-9 fait une embardée qui le fait sortir de l’eau et révèle sa présence. Mais puisque le Cressy s’obstine à rester sur place pour tirer de tous ses canons, Weddigen l’expédie à son tour au fond de la mer du Nord. L’affaire a duré en tout 75 minutes et coûté la vie à 1459 marins – les destroyers dépêchés sur les lieux ne repêcheront que 837 survivants.
À Londres, cette première et soudaine irruption du sousmarin dans la guerre navale déclenche un terrible scandale, moins pour la perte de trois croiseurs obsolètes qu’à cause de la gifle assénée à la Royal Navy. À Berlin, en revanche, Weddigen est fêté comme le « nouvel Achille », que le Kaiser lui-même récompense de la croix de fer. L’exploit tombe à pic. Après avoir chanté victoire tout l’été, Moltke le Jeune, commandant en chef de l’armée, se trouve en effet bien dépité l’automne venu. Le plan Schlieffen, qui devait bouter la France hors de la guerre, s’est noyé dans la Marne le