Kevin Morby
“This Is A Photograph”
DEAD OCEANS
On l’avait laisséau milieu du désert en 2020, à chanter des ballades folk autour d’un feu de camp. “Sundowner” était méditatif—comme tous les albums de son auteur, pourrait-on arguer—et persistait dans une veine oùle tempo était reposéet l’humeur à l’introspection. Pour “This Is A Photograph”, Kevin Morby renoue avec des instrumentations électriques et des compositions plus énergiques, même si le thème au coeur de l’album demeure éminemment personnel: il est ici question de famille, du temps qui passe, des souvenirs d’une enfance heureuse, de photographies jaunies du passéet de la nécessitéde vivre l’instant présent avec intensité. L’ouverture qui donne son titre à l’album contient tous les thèmes cités précédemment, tissés autour d’un riff de guitare hypnotique qui gagne en intensitéau fur et à mesure que la chanson avance. Après ce lancement idéal, Morby déroule un tapis de chansons aux instrumentations soyeuses (les violons magnifiques de “A Random Act Of Kindness” et “Stop Before I Cry”, le saxophone doux de “A Coat Of Butterfies”) mais de façon plus convaincante que sur l’agréable mais trop ensuqué “Oh My God”. Une fois encore, le chanteur invite sa compagne Waxahatchee à dialoguer avec lui sur la magnifique “Bittersweet, TN” oùl’interaction banjo/violon apporte une couleur country. On retrouve sur “Rock Bottom” l’énergie rock qu’on aimait chez le Morby des débuts (celui de “Still Life”), qui rappelle ses premiers pas avec The Babies. Le morceau, qui s’amuse à citer “All Of My Life”, un de ses morceaux les plus durables, renoue avec un état d’esprit fun et pop qui lui faisait un peu défaut ces derniers temps.
ERIC DELSART
Arcade Fire
“WE”
COLUMBIA/SONY MUSIC
Pardon, canadien. Une formation—pléthorique—considérée comme l’une des toutes meilleures du XXI siècle. Catégorie petits nouveaux, s’entend. Genre les énièmes sauveurs du rock. Sauf que ce n’est pas du rock et qu’on n’a jamais su trop sur quel pied danser avec Arcade Fire. D’un côté, ils sont de façon évidente doués et créatifs. D’un autre, leur musique penche souvent un peu D’ailleurs, U2 les adore. Ce qui n’est pas si terrible, au fond, puisque U2 adore aussi Bob Dylan, Johnny Cash et des tas de gens très recommandables…Et puis, David Byrne les aime aussi. Et surtout David Bowie, qui ne tarissait pas d’éloges, et avait interprétéavec eux, en 2005, “Five Years” et “Wake Up”, leur premier hit. Donc, une bande de musiciens digne d’intérêt. Ah oui, Peter Gabriel aussi est fan. Il est d’ailleurs présent sur ce nouvel album—leur sixième—, sur le morceau “Unconditional II (Race And Religion)”. C’est d’ailleurs du côtéde Gabriel que l’analogie est probablement la plus juste, avec ce mélange de progressif, de pop et de mélodies tour à tour tonitruantes et pleurnichardes, le tout bien emballé, coproduit par Nigel Godrich—on avait failli oublier Radiohead dans cette farandole de références. Bref, c’est super bien fait, parfois très touchant, parfois vaguement pompier, mais comme le “Tommy” des Who pouvait aussi l’être—la guitare à la Pete Townshend de l’intro de “The Lightning” nous y a aussi fait penser! Ça plaît aux ados mal dans leur peau, comme The Cure à son époque. Et pourquoi pas? Au moins, ils vendent des disques et leurs concerts attirent des foules extatiques. Pardon? Ça n’est pas un critère? Mince, c’est vrai.