On ne juge pas un livre à sa couverture. Et un album? Chaque mois, notre spécialiste retrace l’histoire visuelle d’un disque, célèbre ou non.
n mésestime souvent la sensibilité des artistes, même lorsqu’ils sont au sommet de leur gloire. Aussi, comment aurions-nous pu imaginer que Jimmy Page serait atteint par les critiques mitigées de “Led Zeppelin III”, pourtant vendu à six millions d’exemplaires et en tête des charts US et UK dès sa sortie? En tout cas, c’est la raison qu’il a avancée pour proposer une pochette double, sans titre et sans nom, pour son nouvel opus. C’est un vieux tableau sur un fond pâle. Il s’agit d’une scène de vie rurale des plus banales. Pourtant, elle questionne: s’agitil d’un paysan ou d’un vagabond au vu de sa tenue rapiécée? Transporte-t-il siècle. Progressivement, on comprend que le tableau est accroché sur le mur d’une maison au papier peint décrépit et en lambeaux. Puis, en ouvrant la pochette double, on découvre dans la continuité de la photographie qu’il ne reste de la maison qu’un pan de mur au milieu d’un terrain vague. Et dans la perspective, on voit au loin la tour Salisbury dans le quartier de Ladywood, à Birmingham, et autour, des immeubles modestes de deux étages en brique rouge. La juxtaposition de ces deux plans souligne les politiques d’urbanisation moderne dévastatrices. Cette tour de cent seize logements sociaux d’une hauteur de cinquante-sept mètres achevée en 1968 gâche la perspective et détruit la nature. Et on a subitement le sentiment que la scène rurale du tableau aurait pu être peinte à cet endroit quelques décennies auparavant. Page a évoqué,lors d’une interview au sujet de ce cliché, une conscience écologique allant de pair avec la présence de ballades plus folk depuis “Led Zeppelin III”. On peut y lire également l’enlaidissement des banlieues, l’entassement des couches populaires passées de paysans à ouvriers, le règne de la quantité comme un signe des temps. Mais il n’y a aucune référence au groupe, à ses musiciens ou à leur musique. Le cliché a été réalisé par Keith Morris. Outre ses magnifiques photos de Marc Bolan, il est l’auteur de nombreuses pochettes, notamment “Five Leaves Left” de Nick Drake, “Fear”, “Slow Dazzle” et “Helen Of Troy” de John Cale, et la superbe “Malpractice” de Dr Feelgood. La pochette intérieure présente un dessin en noir et blanc qui se regarde en la mettant à la verticale. Il serait l’œuvre d’un certain Barrington Coleby crédité “Barrington Colby MOM” (Man Of Mystery?). Ce Coleby/Colby est si mystérieux que personne ne l’a rencontré ou ne connaît ses œuvres.