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Ll gravit péniblement les dernières marches. Ses jambes le faisaient souffrir, il avait l’impression d’avoir escaladé une montagne. Il avait le souffle coupé. Il devrait se remettre au sport. Poussé par un profond besoin de recueillement, il montait ces marches chaque après-midi depuis dix ans.
Cet après-midi-là, il sentit plus que jamais le poids des ans couplé à l’absence de son épouse, June. La nostalgie l’assaillit.
Quand, jeunes mariés, ils avaient acheté cette maison, le grenier occupait toute la surface du dernier étage. June l’avait transformé en atelier. Elle avait dessiné les plans, l’entreprise engagée ne devait utiliser que des matériaux régionaux.
Dans un coin, se trouvaient son bureau, une grande bibliothèque aux rayons garnis des nombreux ouvrages et albums qu’elle avait dessinés ou illustrés. Une légère couche de poussière recouvrait les papiers, les notes, les croquis, le bric-à-brac de pinceaux, les crayons, les carnets, les toiles, les sculptures, tout cela rassemblé dans un joyeux désordre. June avait fait percer des fenêtres. Quand elle peignait, elle pouvait s’inspirer du phare, du bord de mer, des bateaux voguant au loin, de la nature environnante aux ciels et paysages changeants au gré des saisons. L’atelier était resté dans l’état où elle l’avait laissé la veille de sa mort.
Dans cette pièce, Pierre se sentait en communion avec June.
Il se sentait moins vulnérable et fragile. La vie et la mort étaient intimement liées. Il cheminait sur la passerelle de leurs souvenirs toujours présents. Pour lui, sa muse se tenait là au milieu de l’atelier. Il voyait sa longue chevelure brune indisciplinée aux reflets auburn ramenée sur la nuque, retenue par un simple crayon de papier à la mode japonaise, ses yeux bleus immenses, et son expression rieuse qui l’interpellait. Il se rappelait…
Elle lui parlait d’une sculpture ou d’une toile en cours, des invités qu’ils attendaient le soir, des potins entendus à l’épicerie, d’une nouvelle recette de cuisine, de l’un des sapins à faire élaguer, d’un voyage à prévoir. Pierre se sentait heureux. Il lui
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