Rock and Folk

Prince

“Welcome 2 America”

NPG Records/Legacy/Sony Music

L’héritage musical de Prince n’a de cesse de nous surprendre:

après les rééditions blindées d’inédits de “1999” et “Sign ‘O’ The Times”, voici “Welcome 2 America”, un disque original dont la sortie en 2010 a été annulée au dernier moment pour de mystérieuses raisons, un schéma classique pour son auteur qui rappelle. Douze chansons originales composent donc ce retour posthume, et si le terme de concept album est exagéré, il existe toutefois un fil conducteur à ces créations, à savoir une auscultation critique du modèle américain, à l’image du single de 1986 “America” tiré de “Around The World In A Day”. La majorité de “Welcome 2 America” est coproduite par le claviériste Morris Hayes, que Prince convoqua à Paisley Park pour lui proposer de travailler sur ce disque étonnant, mettant de côté son autarcie musicale. En effet, contrairement à “20Ten” sorti en 2010 sur lequel Prince avait joué la quasi-totalité des instruments à l’exception des cuivres, le Kid de Minneapolis se repose ici sur une section rythmique, la bassiste Tal Wilkenfield et le batteur Chris Coleman, accompagnée de Morris (crédité “Mr. Hayes”) aux claviers et d’un trio de choristes. L’influence de George Clinton est présente sur de nombreuses chansons. On entre d’ailleurs dans ce mausolée funky avec le morceau-titre sous influence Parliament, un groove lent évoquant le classique “Mothership Connection”. Le ton est donné avec cette composition accompagnée de lyrics à la tonalité désespérée, Prince dévoyant la formule traditionnelle en remplaçant le mot “brave” par “slave” (esclave). Il en profite pour rire jaune de la domination asiatique avec cette rime osée: (Tu peux soit apprendre le chinois, soit te mettre à genoux). Le spectre de l’esclavage, qu’il soit physique ou mental, revient avec “Running Game (Son Of A Slave Master)”, évocation de la fourberie de l’industrie musicale (une des obsessions de Prince), mais aussi sur “One Day We Will All B Free”, conclusion de l’album où il évoque Benjamin Banneker, fils d’esclaves affranchis, autodidacte devenu astronome et mathématicien. Il faut attendre le cinquième morceau, “Hot Summer”, pour que le tempo s’accélère et qu’on retrouve un ton plus léger. Si les textes sont parfois cryptiques et complexes, ils sont tout de même suffisamment explicites, avec des références à une jeune femme devenue prostituée (“Born 2 Die”), à l’enfer qu’est la vie sur cette terre (“1000 Light Years From Here”) mais aussi à l’orgasme féminin sur le très sensuel “When She Comes” aux paroles gorgées de sexe chantées en voix de tête . Le groove est solide, le ton volontiers grave, les arrangements efficaces. Certains ont voulu voir dans ce LP inattendu une vision du futur, faisant le lien avec l’assassinat de George Floyd et le mouvement Black Lives Matter. Hélas, l’attitude violente d’une frange significative des forces de police aux USA et le racisme endémique de ce jeune pays ne sont pas une nouveauté, et leur dénonciation reste donc intemporelle. Plus convaincant que les cinq albums officiels sortis entre 2010 et 2015, ce disque inattendu et militant est une nouvelle raison de pleurer la disparition prématurée d’un authentique génie américain.

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