Rock and Folk

THE BEATLES

1970. L’année où les Beatles se sont séparés et ont produit la plus belle musique de leurs carrières

C’EST JOHN LENNON QUI A COMMENCE. Quand les camarades d’école du Beatle à lunettes caftaient, ils ne se doutaient pas qu’ils proféraient une vérité historique — et même plusieurs. Car c’est un fait, Lennon a commencé beaucoup de choses dans sa vie, et pas que des bagarres à la récréation: fondateur du plus grand groupe pop jamais entendu, et des délires d’ego qui vont avec, il est aussi responsable de la séparation et des carrières solos, les vraies, pas seulement les pochettes à poil (“Two Virgins”, en 1968) ou les stridences expérimentales (“Life With The Lions”, 1969) mais celles avec des chansons, des tubes, la ferme intention de montrer au monde entier de quel bois on se chauffe et aucune intention de revenir en arrière. La date peut se discuter. Il y a le premier single, “Give Peace A Chance” en août 1969, encore crédité “Lennon/ McCartney” sur les 45-tours d’époque, par erreur, par contrat ou par provocation. Si ça ne suffit pas (trop bed in, trop acoustique, trop “hymne engagé qui n’engage justement à rien sur le plan de la carrière pop”), ce sera “Cold Turkey”, sorti un mois après “Abbey Road”, fin 1969. Entre-temps, John Lennon s’est produit live (peace) à Toronto et, à son retour à Londres, a annoncé aux autres qu’il quittait les Beatles. Dans la salle de réunion d’Apple, tout le monde accuse le choc, mais le manager margoulin (Allen Klein) ne se démonte pas et lui demande de ne rien ébruiter pour le moment, histoire de ne pas faire capoter le deal sans précédent qu’il est en train d’obtenir d’EMI. Il reste trois mois aux années 1960 pour rendre leur dernier souffle, mais le 20 septembre 1969, les Beatles sont d’ores et déjà séparés, si ce n’est officiellement, du moins entre quatre murs — ce qu’ils sont en train de devenir les uns pour les autres sur le plan affectif et émotionnel.

Paul: en solitaire

Début janvier 1970, Ringo enregistre un album de standards US, John cartonne avec “Instant Karma!” sur lequel joue George, qui revient à peine d’une tournée avec Delaney & Bonnie… Cloîtré dans son domicile de Cavendish Avenue, à deux pas des studios d’Abbey Road, Paul n’en mène pas large. Il n’est plus le Pour se dégourdir les idées, il branche un ampli dans le salon, la guitare directement dessus, et balance des demi-chansons et des instrumentaux branlants, sans savoir qu’il est en train d’inventer la lo-fi et l’esthétique défouloir bricolo des années 1990-2000. Il teste son quatre-pistes (les quarante secondes gazouillantes de “The Lovely Linda”), ressort des compositions de ses seize ans (“Hot As Sun”), improvise un ersatz de générique d’émission de télévision (Momma Miss America, forte d’une belle ligne de basse circulaire à la… McCartney), avec le parquet qui craque sous ses pantoufles, comme s’il se foutait royalement de tout. Des vraies chansons? Une ou deux ballades (“Junk”, “Teddy Boy”) datent du séjour indien des Beatles en 1968. “Oo You”, une gueulardise saignante (au sens où ça crie pas mal sans être tout à fait assez cuit) aurait pu remplacer “Why Don’t We Do It In The Road?” sur le “White Album”. Sinon, il y a une espèce de blues lent avec des percussions de bouche intitulé “That Would Be Something”. Mais la tournure des événements Beatles (et notamment la sortie d’ “Instant Karma!”) change la donne. Paul envisageait “McCartney” comme un projet récréatif en attendant de voir, il comprend d’un coup que le point de non-retour est franchi et qu’il s’agit en réalité du premier disque du reste de sa carrière. Plus question de je-m’en-foutisme, il loue Abbey Road (sous pseudo) et y enregistre notamment “Man We Was Lonely”, son autoportrait country en Beatle éconduit, ainsi que “Every Night” et “Maybe I’m Amazed” (le même jour!), deux chansons qui ne rigolent pas et établissent son standard solo, longtemps immuable: quand ce type veut, il peut… mais faut vraiment qu’il soit obligé. Un demi-siècle plus tard, le disque est devenu tellement emblématique (ses cerises confites, sa photo barbue avec le petit bébé Mary dans la fourrure, ses fragments semi-improvisés) qu’il peut en célébrer l’héritage en sortant aujourd’hui en fanfare “McCartney III”, un épatant album de lockdown joliment inscrit dans le sillage de ce qui, avec le temps, a pris des dimensions légendaires.

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