PAUL SIMON
En pop musique, les complexes peuvent mener loin
C’EST L’UNE DES IMAGES ICONIQUES DES SIXTIES. Longue focale, deux types marchent dans l’automne new-yorkais. Il doit faire froid, les écharpes sont de sortie. Le petit devant a l’air étrangement mal à l’aise; le grand derrière son épaule, regard fixe, semble fondre sur lui comme un aigle sur sa proie. Le cliché date de l’automne 1969. Quelques semaines plus tard, quand des dizaines de millions de gens se rueront dans les magasins de disques pour acheter“Bridge Over Troubled Water”, les années soixante seront finies, KO, et Simon & Garfunkel ne sera plus un groupe mais un réservoir de rancoeurs. Dès lors, pour parler de ces types, il faudra songer à ressortir les prénoms.
Tom et Jerry
Pour le plus petit des deux, se faire accepter en tant que Simon aura été la quête d’une vie. 1954, lorsque Elvis chante“That’s All Right”, même les gamins juifs du Queens dressent l’oreille. Paul, treize ans, habite à trois rues d’un blondinet nommé Arthur Garfunkel, qui a gagné le concours de la plus belle voix du collège l’année d’avant — avec quelques bisous des jolies filles du quartier à la clef. Paul est jaloux. Comme un pou. Mais il a une guitare — et il apprend vite. A tout juste seize ans, les deux potes sortent un tube local bien copié sur les Everly Brothers. Ça s’appelle“Hey Schoolgirl. Le nom du groupe? Tom et Jerry. Inutile de préciser qui fait le chat et qui fait la souris. Quelques autres singles ne donneront rien, si ce n’est pas mal de regrets. Paul s’essaie à des ballades doo-wop dans. Paul a la bonne idée de l’éditer luimême, ce qui lui vaudra par la suite plein de zéros du bon côté de la virgule sur son compte en banque. Hasard du destin, il recroise le grand blond dans la rue. Une harmonie vocale céleste plus loin, avec les langues qui claquent le palais à la même microseconde, et le duo est signé chez Columbia Records. Simon & Garfunkel, Du reste, le disque“Wednesday Morning 3A.M.” se dissout dans le néant. Puisqu’un duo à consonances ethniques ne fait pas recette à domicile, Paul part tenter sa chance en Angleterre, où l’on est friand des folkeux US. Son rêve anglais accouchera d’une histoire d’amour fulgurante, d’un disque solo séminal (“The Paul Simon Songbook”) et d’un rapatriement en catastrophe.
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