Mariage à Venise
En cette fin du xviie siècle, tous les Vénitiens connaissaient la mendiante que l’on appelait la Strega et qui vivait assise sur les marches de l’église San Maurizio. Cette femme avait eu le visage rongé par une mystérieuse maladie, à moins qu’il n’ait été brûlé. Plusieurs légendes contradictoires circulaient sur ce qui l’avait défigurée. Mais la plupart des paroissiens lui jetaient une pièce pour l’amadouer, car la rumeur affirmait qu’elle détenait le pouvoir de lancer des sorts. La Strega les remerciait en leur grimaçant un sourire, et il lui arrivait parfois de s’emparer de la main qui lui avait jeté une aumône et d’y lire l’avenir.
C’était ce qu’elle faisait notamment avec la jeune Bianca Beltrame. Aux dernières fêtes de Noël, la Strega avait annoncé à Bianca qu’elle tomberait malade et, en effet, la jeune fille avait ensuite souffert de lourdes fièvres durant l’hiver. Sa famille avait même craint qu’elle n’ait attrapé la peste et, pour éviter tout risque de contagion, l’avait fait admettre au couvent de Santa Maria dei Fiori. Bianca y avait été soignée par les religieuses et, après plusieurs semaines d’extrême fatigue, elle avait finalement retrouvé sa vigueur naturelle.
En sortant de la messe de Toussaint, aux côtés de sa mère, Bianca glissa une pièce de monnaie à la Strega, qui voulut de nouveau lui lire son avenir, mais la jeune fille retira précipitamment sa main. Blessée, la mendiante lui demanda :
– Te méfies-tu de moi ? Si tu crois que c’est moi qui t’ai envoyé l’an dernier les fièvres qui ont failli t’emporter, tu as tort. Je ne te veux que du bien, parce que tu t’es toujours montrée généreuse envers moi. Embarrassée, Bianca expliqua alors à la Strega :
– Je suis sûre de n’avoir rien à craindre de toi. Mais je ne me soucie plus de connaître mon avenir parce que, désormais, rien de grave ne peut m’arriver. Je vais être heureuse, auprès de l’homme que j’aime et que de sa famille.
