Une tournée nommée Desire
L’ATMOSPHÈRE DE LA Rolling Thunder Revue était très chaleureuse, décontractée, bohémienne. C’était la réalisation de nos rêves, même si cela n’a duré que quelques trop courtes semaines”, se souvient Roger McGuinn. Effectivement, cette caravane de troubadours qui voyage de ville en ville en Nouvelle-Angleterre et au Canada à l’automne 1975 à bord de deux tour bus préhistoriques, un Greyhound emprunté à Frank Zappa et un Delmonico (Dylan a son propre camping-car Winnebago), sans itinéraire fixé à l’avance et n’annonçant ses concerts que la veille au soir ou presque, constitue pour Dylan une tentative glorieuse de faire revivre consciemment l’esprit communautaire et euphorique qui présidait à Greenwich Village au début des années 60 — avant la gloire et sa canonisation.
Le 24 mai, jour de ses 34 ans, sur les traces de Van Gogh, d’Hemingway et de Picasso, il a assisté fasciné au pèlerinage des Gitans aux Saintes-Maries-de-la-Mer (leur sainte patronne se nomme Sara, la Vierge noire !). Cela a réveillé en lui l’idée d’une troupe itinérante de ménestrels se produisant éternellement où le vent les pousse, à la manière d’un medecine show ou d’un vaudeville ambulant.
Pour cela, il rameute ex (Joan Baez — en t-shirt Paris-Match !), proches (McGuinn, Bob Neuwirth, David Blue), ancêtres (Ramblin’ Jack Elliott, Allen Ginsberg) et le core band avec lequel il vient d’enregistrer un album intense et romantique qui ne paraîtra qu’en janvier, Desire, où il définit son nouveau son, caractérisé par l’omniprésence d’un violon tsigane (Scarlet Rivera) et d’une deuxième voix féminine (Emmylou Harris, dont le rôle sera tenu sur la route par son modèle — Joan Baez — et par la comédienne auréolée du succès de Nashville, Ronee Blakley).
Les chansons cinématographiques de ce disque à venir fournissent un tiers —, qui en détient l’esprit sacré et tragique, avec sa mélodie maure, sa cantillation et ses mélismes; “Isis”, cœur de l’album qu’il transforme en tour de force absolu sur scène, l’interprétant pour la première fois sans guitare, comme un shaman forcené; “Hurricane”, lancé en single dès début novembre malgré ses 8 minutes 33, incarne cette nouvelle signature sonore, donne une cause célèbre à ce Magical Mystery Tour qui s’élance, et renoue avec les racines protest de Dylan: c’est une longue diatribe décrivant les tribulations du boxeur canadien Rubin “Hurricane” Carter, poids moyen condamné pour un triple meurtre qu’il n’aurait pas commis, en raison de sa seule couleur de peau. Il a lu ses mémoires
