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Lettres à une jeune batelière
Lettres à une jeune batelière
Lettres à une jeune batelière
Livre électronique473 pages5 heures

Lettres à une jeune batelière

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À propos de ce livre électronique

La question que pose La Suite Aquatique est la suivante : comment évoluer en ce siècle qui est le nôtre ? S’en ajoute ici une autre : comment transmettre le fruit de notre évolution à ceux qui suivent ?

2085. Ces mêmes questions préoccupent le groupe des Bateliers, fondé trente-cinq ans plus tôt. Qu’est-il devenu ? Nous l’apprenons par la plume de l’un de ses membres, déchiré entre la joie d’être bientôt père et l’angoisse de voir décliner sa santé. Il trouve du réconfort en écrivant des lettres à son enfant : il peut y exprimer son affection et lui raconter sa vie.

Il poursuit l’écriture lors d’un retour aux sources des Bateliers demandé par sa fondatrice. Cela les mène des Chic-Chocs à Shefford en Estrie, en passant par les autres ports d’attache du groupe : Sainte-Anne-des-Monts, Sainte-Félicité, Saint-Ulric et Saint-Simon-de-Rimouski. 

Ces voyagements accomplis, la petite princesse tant attendue apparait ; bien calée dans les bras de son papa, sa présence rassurante est en soi une réponse à tous les questionnements. 
LangueFrançais
ÉditeurLes Éditions de l’Apothéose
Date de sortie8 déc. 2025
ISBN9782898781919
Lettres à une jeune batelière

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    Aperçu du livre

    Lettres à une jeune batelière - Normand Gagnon

    Normand Gagnon

    LETTRES À UNE JEUNE BATELIÈRE

    Suite Aquatique

    Tome 3

    Conception de la page couverture : © Les Éditions de l’Apothéose

    Sauf à des fins de citation, toute reproduction, par quelque procédé que ce soit, est interdite sans l’autorisation écrite de l’auteur ou de l’éditeur.

    Distributeur : Distribulivre  

    www.distribulivre.com  

    Tél. : 1-450-887-2182

    Télécopieur : 1-450-915-2224

    © Les Éditions de l’Apothéose

    Lanoraie (Québec)  J0K 1E0

    Canada

    apotheose@bell.net

    www.leseditionsdelapotheose.com

    Dépôt légal — Bibliothèque et Archives nationales du Québec, 2024

    Dépôt légal — Bibliothèque et Archives Canada, 2024

    ISBN EPUB : 978-2-89878-191-9

    Imprimé au Canada

    LETTRES À UNE JEUNE BATELIÈRE

    Suite Aquatique: Tome 3

    Déjà parus :

    Tome 1 : La joie se love au creux des vagues

    Tome 2 : De la source ombragée à la lumière

    Une image contenant texte, diagramme, croquis, écriture manuscrite Description générée automatiquement

    En guise d’introduction,

    d’explications, d’instructions

    Pourquoi ? Pourquoi avoir noirci toutes ces pages ?

    Parce que le fil du rasoir entre vie et mort, sur lequel je me fais funambule depuis si longtemps, devient davantage tranchant. Je vois poindre le point de bascule, le point de non-retour.

    Parce que mon épouse est enceinte.

    Parce qu’une autre femme d’importance dans ma vie a pénétré mon désarroi, m’a murmuré à l’oreille, une boussole dans ses paroles.

    Parce que j’ai écrit en lettres rouge sang, sur les hautes parois de mon cœur, « Je t’aime, enfant à naître, je t’aime de tout mon être. »

    …..

    Voilà pour l’entrée en matière, des phrases compactes qui frappent. J’avais besoin de frapper, moi qui ai si peu la permission de frapper en vrai ; la retenue fait partie de mon ADN depuis toujours. Maintenant, expliquons.

    Je suis hémophile, de ceux dont le contenu sanguin est si coulant que l’on doit protéger le contenant de toute fuite, être prévoyant, voir venir les coups, les éviter à tout prix. Vivre dans la ouate, quoi. Mais la ouate, c’est étouffant. D’où le besoin de crier, parfois, de se débattre, juste un peu, pour avoir l’impression d’être libre.

    J’ai appris à me calmer, à force de gaffes, d’échappées belles, à force de me faire dire que la liberté peut se trouver ailleurs que dans le domaine physique. J’en conviens. Il n’en demeure pas moins que le lassant « principe de précaution » a influencé, pour ne pas dire dominé mes choix, tout au long de ma vie.

    Léger, modéré, grave. Des identifiants pour le degré d’atteinte des hémophiles, des degrés que je me répète depuis l’enfance, en me situant au beau milieu. Quelques saignements persistants, quelques examens, et le verdict est tombé. Je n’étais pas avec les meilleurs ni avec les pires. Une sorte de sécurité, assortie d’un joli bracelet pour épater mes amis.

    Ma mère, elle, a trouvé ça moins drôle, en a fait une sorte d’obsession. Obsession que j’ai combattue comme j’ai pu, en faisant dresser ses cheveux plus d’une fois. Une fois adulte, j’ai continué d’être en réaction de façons diverses – jusqu’à ce que, progressivement, un modus vivendi acceptable, modérément sage, s’installe.

    Mais là, depuis deux mois, pour une raison inexpliquée qui fait sourciller mon hématologue, je saigne de plus en plus facilement. Parfois je n’ai même pas souvenir de l’effleurement qui cause un bleu énorme ou de l’égratignure qui prend des proportions alarmantes. Ces manifestations visibles ne sont pourtant pas le pire à craindre : les hémorragies internes, plus sournoises, pourraient avoir ma peau encore plus facilement, précisément parce qu’elles se cacheraient sous ma peau.

    J’ai donc dépassé la ligne de séparation des eaux – ou plutôt du sang – pour graduer à la condition « grave ». Une étiquette autrement stressante à porter, surtout du fait que je risque de ne pas la porter longtemps…

    Cette nouvelle donne aurait été assez perturbante à n’importe quel âge. Par contre, à cinquante ans, je ne peux pas dire que je n’ai pas eu le temps de vivre. Là où le bât blesse, c’est que j’ai eu la merveilleuse idée de tomber en amour avec une femme de quinze ans ma cadette. Et qu’elle est définitivement, complètement enceinte, ventre rebondi à l’appui.

    Ces deux vérités en opposition totale – mon départ plus que possible et l’arrivée certaine de notre enfant – se frottent l’une à l’autre dans le mauvais sens, me scient en deux. D’autant plus que Félicité et moi avons tous les deux perdu nos pères à un jeune âge. Voilà que l’on s’apprête à remettre en scène cette mauvaise pièce, lourde de souffrance – merde !

    Nous nous sommes défoulés récemment lors d’un souper en présence de trois de nos proches, Lam, Angelico et Irisa. En fait, moi je me défoulais tandis que Félicité se flattait le ventre sans arrêt. Elle cherchait sans doute à protéger le petit être en elle des tourbillons de ma complainte, un mélange de colère et de tristesse. Je sais pourtant qu’elle aussi est remuée par la situation.

    Après le repas, elle a voulu marcher sur le plateau de la montagne, probablement pour s’éloigner de moi. Les deux gars ont offert de l’accompagner. Je suis resté avec Irisa pour ramasser et faire la vaisselle. Au fond, cela faisait mon affaire d’être seul avec elle, ma confidente de longue date, tel un enfant qui veut faire soigner son bobo.

    Faisant fi de mon désir d’être consolé, elle m’a chassé de la cuisine avec un verre de digestif.

    — Va boire ça en regardant le coucher de soleil, Nobel.

    Je me suis donc retrouvé seul sur la galerie. Au loin, très loin vues de si haut, les eaux du Fleuve flambaient, une longue traînée de bijoux dorés qui menait au disque solaire à l’horizon. Je broyais du noir alors que le soleil broyait de l’or.

    Irisa est finalement sortie en s’essuyant les mains sur un linge à vaisselle. Elle a regardé le soleil couchant, à côté de moi, sans rien dire. Puis elle m’a touché légèrement l’épaule. (Son toucher est toujours léger, mais jamais anodin.) Au lieu du mot compatissant que j’attendais, elle m’a posé une question :

    — As-tu déjà lu « Lettres à un jeune poète » de Rilke ?

    — Connais pas. Pourquoi ?

    — Juste comme ça.

    « Juste comme ça », venant d’elle, veut dire le contraire. Irisa ne dit pas grand-chose au hasard… ou, si c’est du hasard, c’est du « hasard dirigé », si la chose est possible.

    Et elle est rentrée, me laissant à nouveau seul avec un ciel qui s’habillait de son manteau mauve du soir. Sous mon propre manteau, celui-là de désarroi, clignotait une bouée en forme de point d’interrogation.

    …..

    Rilke, donc. Le soir même, en enfant de mon temps, je me place devant un écran. Rainer Maria Rilke. Tout un nom. Romancier et poète allemand. 1875-1926. Du poussiéreux, un gars né en fin du dix-neuvième siècle, tandis que je m’approche (ou tente de m’approcher) du vingt-deuxième… Et là, premier choc : je constate qu’il est mort à cinquante et un ans, alors que moi, j’en ai cinquante. Une filiation des fatalités… Je repousse cette banale coïncidence de chiffres ; monsieur Tout-le-Monde de son époque mourait jeune, et encore davantage les artistes délicats.

    J’ai beau raisonner, le choc persiste.

    Wikipédia me fournit une bibliographie exhaustive : le bonhomme a écrit beaucoup de poésie, quelques romans, et on semble avoir tiré de ses correspondances une ribambelle de titres, dont « Lettres à une amie vénitienne » et « Lettres à une musicienne ». Une note mentionne que la postérité a surtout retenu « Lettres à un jeune poète » et renvoi à une analyse de trente pages. Je soupire, et décide d’en faire au moins un survol.

    L’auteur du texte, un nommé Pressnitzer, ouvre avec ceci :

    Lui, le poète autrichien, il sera toujours en partance vers l’ailleurs, toujours en voyage mais toujours sûr de sa mission quasi divine.

    Bon, un exalté. Et puis, deuxième choc de familiarité :

    Avec ses yeux bleus, comme un insecte étrange, il contemplait le monde en étant hors du monde.

    Je n’ai pas les yeux bleus, mais pour ce qui est d’avoir souvent l’impression d’être étrange, et étranger, d’avoir un pied dans le monde et l’autre ailleurs, c’est tout moi. Du moins une partie de moi, un iceberg qui refait surface quand ça lui chante.

    Est-ce que ce sentiment peut s’expliquer par les circonstances de ma vie ? Par la perte de mon père, par la subséquente errance et instabilité de ma mère, et donc la mienne, nos valises toujours à portée de main ? Par mon statut d’hémophile, qui m’a souvent tassé dans une bulle, dans un isoloir, dans un monde hors du monde ?

    Je tombe ensuite sur une réponse massue à mes questionnements, un court poème fleuri :

    Ce soir s’effeuilleront les roses,

    Trop pleines d’elles-mêmes, en douce agonie

    Ô mon enfant, ô mon amie vas-y :

    La vie s’éclaire dans la mort des choses

    Boum. Plus moyen de passer à côté. Le titre de l’article était bien « Le poète des roses et de la mort », n’est-ce pas ? Alors, oui, je suis forcé de l’admettre : la conscience de la mort, grâce à ma condition, a beaucoup coloré ma vie – d’une couleur qui a contribué à poser un rideau entre moi et les autres, si insouciants.

    Je relis le poème. Ce qui me tord les boyaux à la deuxième lecture est l’association des mots « enfant » et « mort », qui fait écho au gouffre entre la naissance de mon enfant et la fin de ma vie.

    Je lis plus loin, à la recherche d’une porte de sortie. Je trouve la phrase suivante : « La mort est pour lui apothéose quand elle a été longuement portée en soi. » D’où sa fascination devant les roses, et leur moment de gloire juste avant de dépérir…

    Un point de vue plutôt inusité, même rafraîchissant. Est-ce que je serais capable d’y trouver du positif en ce qui me concerne ? Peut-être. Mais cela ne règle pas ma peine profonde de manquer à ma fille. Mon train pourrait bien être sorti de gare quand le sien y rentrera ; il n’y a rien de plus triste que les rendez-vous ratés sur des quais vides.

    Je papillonne distraitement sur le reste de l’exposé, des extraits de romans et des poèmes plus longs, autant de fleurs qui me demeurent fermées.

    Je ferme à mon tour le site, puis l’écran, et enfin mon esprit, je me prescris du repos après ce ballotement d’émotions, en me répétant la plate vérité que demain est un autre jour.

    …..

    Je me couche avec une main sur le ventre rebondi de Félicité. J’aimerais tellement pouvoir communiquer avec le petit être qui s’y développe. Je m’imagine en train de taper une salutation en morse sur le tambour de cette bedaine, message que la petite (très précoce) comprend parfaitement. Je souris malgré moi.

    …..

    Je me sermonne en me réveillant. Irisa n’a parlé ni de recherche sur la Toile, ni de recherche tout court. Juste d’un auteur et d’un titre, Lettres à un jeune poète. Que je soumets à Karla, proprio de la librairie locale. Elle compulse son registre, affirme qu’elle est censée en avoir un exemplaire, fouille, refouille, revient triomphante.

    — Il est tellement mince qu’il était englouti par les volumes de chaque côté !

    Elle m’offre du café et un fauteuil dans un coin.

    — Si tu passes à travers avant de partir, tu n’auras pas besoin de le payer !

    J’accepte l’offre de lire sur place, mais insiste pour régler le prix dérisoire de la plaquette.

    Je sirote mon expresso en feuilletant le bouquin. Rilke a écrit la première lettre en 1903, la dernière en 1908. Cinq ans, une dizaine de lettres qui tiennent dans une quarantaine de pages. Dire que ce mini-volume a traversé presque deux cents ans et qu’il trouve encore preneur, dont moi.

    Je lis. Rilke encourage un dénommé Kappus dans ses aspirations artistiques. C’est bien. Ils échangent des réflexions assez avant-gardistes sur la féminité. C’est bien aussi. Et soudain, certaines phrases ressortent, me parlent plus directement. Par exemple, « Tout n’est que porter à terme, puis mettre au monde. » Dans mon cas, « à terme » serait ma fin, en même temps que l’accouchement annoncé. Du doux qui se mêle à l’amer.

    Ensuite, il fait une recommandation qui me parle : « S’il n’y a point de communauté entre les hommes et vous, essayez d’être proche des choses qui ne vous abandonneront pas, les nuits sont encore là, et les vents… et les enfants sont encore tels que vous avez vous-même été ». Qu’est-ce que cela me dit ? Une communauté, j’en ai bien une, celle des Bateliers ; je ne suis plus un solitaire depuis des lustres. C’est une communauté que j’aimerais bien présenter à ma fille.

    Une roue tourne, mais le déclic se fait attendre. Je ferme le petit livre et le tourne dans mes mains. Il est tellement minuscule. Moi qui ne suis pas un grand écrivain, j’aurais pu en faire autant.

    Et voilà ! C’est ça, la réponse. Pas tant dans le contenu de ce bouquin que dans sa forme. Des lettres. Que j’écrirais à la petite. Pas bête. Je me présenterai, je lui présenterai ma vie, ma communauté, tout ce qui me viendra à l’esprit qui pourrait l’intéresser, la guider, faire une connexion avec un papa qui vit dans une autre dimension. Ce que j’aurais moi-même aimé lire d’un père qui est parti sans me laisser le moindre mot.

    Et si, par chance, je survis, je me ferai un plaisir de tout mettre à la poubelle… ou de lui remettre en curieux cadeau de Noël qu’elle pourra lire à sa guise, qui suscitera quelques sourires, et peut-être une larme ou deux.

    Oui. Des lettres. Comme dans le temps. Sur du vrai de vrai papier. J’ai hâte. Je bondis de mon fauteuil avec un « Yes ! » bien senti. Karla fronce les sourcils tandis que je la serre dans mes bras avec des mercis répétés.

    — Il n’y a pas de quoi. C’était juste un café.

    — C’était bien plus que ça. Est-ce qu’en 2085 une gentille libraire tient toujours du papier à lettres ?

    …..

    Je suis encore bourré d’adrénaline quand j’appelle Irisa sur holophone. Je raconte mon cheminement, lui dis fièrement que j’ai même un titre, semblable à celui de Rilke. Puis, c’est plus fort que moi, je sonde, je quête son approbation.

    — Est-ce que c’est dans cette direction que tu voulais que j’aille ?

    Silence. Elle fait le sphinx, m’observe. Répond en sphinx :

    — Si tu te sens bien dans cette direction, vas-y.

    …..

    J’attends la fin de la soirée pour présenter mon projet à Félicité. Elle m’entoure de ses bras.

    — Si ça peut calmer tes angoisses, tant mieux. Mais n’oublie pas que cette petite-là est déjà présente sous ma peau, et que je suis là aussi.

    Elle appuie ses dires en pressant son ventre contre le mien. Ensuite, à la manière d’une autre sorte de sphinx, elle frôle mes lèvres aussi légèrement que le ferait un papillon de nuit.

    …..

    Maintenant pour les instructions. Elles sont simples. Je me fie au bon jugement de Félicité et de ceux en qui elle a confiance pour évaluer si la lecture de ce que j’ai écrit aidera ou perturbera la petite chouette. Et cette lecture l’amènera sûrement à poser des questions, des tas de questions, comme les enfants le font si candidement. À vous d’être aussi candides avec vos réponses !

    J’ai composé des messages pour chacun de ses anniversaires d’enfant et de jeune fille en tentant de choisir le ton et le contenu appropriés à son âge. À vous de juger si j’ai réussi et, le cas échéant, d’adapter ou retrancher selon le besoin.

    J’ai décidé un peu arbitrairement de la considérer adulte après seize ans, et donc de traiter de sujets dits d’adulte librement. Là aussi, ce sera à vous de décider de son degré de maturité – à moins qu’elle vous impose sa propre décision !

    Parlant d’adultes, est-ce que le fait de brasser des souvenirs de moi chaque année vous agacera ? J’espère que non. Mon intention pourrait être prise pour égoïste : « Il n’est plus là, le gars, mais n’arrête pas de nous imposer sa présence. » Il y en a possiblement, de l’égoïsme, dans ce besoin de me projeter sur papier là où mon corps ne pourra pas aller. Mais il y a avant tout le désir d’ajouter mes rayons de tendresse aux vôtres pour aider cette petite pousse dans sa quête de lumière.

    Nobel, votre complice dévoué

    Lettres à mon enfant

    Lettre pour tes trois ans (2088)

    Bonjour Céléane,

    Mon nom est Nobel, et je suis ton papa – ton premier papa, parce qu’il se peut que tu en aies maintenant un deuxième.

    Moi, j’étais là au tout début, quand ta maman Félicité et moi, nous nous aimions très fort. Devine qui est né de cet amour : toi !

    J’étais là quand le ventre de ta maman était rond comme la lune, et moi, je vous entourais comme un soleil tout aussi rond.

    Dans certaines familles d’oiseaux, c’est seulement la maman qui couve les œufs et les poussins ; dans notre nid, c’était nous deux.

    Maintenant, comme Félicité te l’a sûrement raconté, j’ai dû laisser mon corps de papa oiseau de côté. Il était devenu trop fragile. Je l’ai échangé pour un meilleur ; il ne peut pas saigner ou se briser. Sauf qu’il y a un petit problème, qui est au fond un joli mystère : mon nouveau corps est invisible !

    Mais invisible ou pas, je suis là. L’air que tu respires est invisible aussi, mais si tu prends une bonne respiration tu sentiras qu’il est bien là, tout comme moi !

    Moi, je respire autrement, et je vole dans mon air à moi, partout où je veux être, et où je veux être le plus est près de toi.

    Alors, comment un papa invisible peut-il devenir visible à la petite fille qu’il aime ? Eh bien, une manière est de passer par tes oreilles qui écoutent ces mots. C’est drôle, n’est-ce pas ? Voir avec tes oreilles !

    Je te parlerai donc à chacun de tes anniversaires, à toi que j’aime énormément, plus gros qu’un éléphant. Mais tout le reste du temps, est-ce que ce sera le silence ? C’est bien trop long d’un anniversaire à l’autre. Voici des solutions :

    Quand la brise te chatouille le cou, ce sera parfois moi qui y aurai planté un baiser léger d’oiseau.

    Quand ta maman te prendra la main pour te guider, ma main sera dans la tienne de l’autre côté.

    Lorsqu’une grive chantera près de ta fenêtre, je chanterai à travers elle.

    S’il y a des jours où tu as froid, pense à moi et je te couvrirai de mes ailes.

    Quand tu riras, c’est moi qui serai réchauffé et je te sourirai, mon rayon de soleil rencontrant le tien !

    Bonne fête et bonne année avec amour,

    Papa Nobel

    Lettre pour tes quatre ans (2089)

    Bonne fête Céléane,

    Déjà une année de passée ; ce que tu as dû courir, danser, chanter, manger et quelquefois pleurer ! J’aurais voulu être là, visible en chair et en os, pour courir et danser avec toi et essuyer tes larmes quand tu tombais. Mais n’oublie pas que nous, les invisibles, avons plus d’un tour dans notre sac.

    Par exemple, tu dois savoir que j’ai beaucoup donné d’amour à ta maman, alors dans l’amour qu’elle te donne à son tour, il y a un peu du mien. En plus, j’ai aimé plein de gens qui t’entourent, donc… affection à la pelletée !

    Et puis, parlant d’invisible, lorsque nous t’avons fabriquée, Félicité et moi, nous avons chacun fourni des micro-ingrédients de départ. Ces plus petites parties de nos corps s’appellent des « cellules ». On doit prendre une sorte de loupe très forte, un « microscope », pour les voir. C’est cette recette de cellules à deux qui a donné le délice que tu es ; et c’est pourquoi, si tu te regardes dans un miroir, tu peux dire sans erreur qu’il y a un peu de chacun de tes parents dans ce joli minois.

    Alors, pour ton anniversaire et pendant toute l’année, je te souhaite une tonne de beaux cadeaux et de belles découvertes ; étant donné que je fais partie de toi, ils seront aussi à moi !

    Je t’envoie en cadeau de ma part, un câlin de papillon, mais pas n’importe lequel : c’est un papillon gros comme une montagne des Chic-Chocs, donc imagine la grosseur du câlin !

    Ton papa papillon qui t’aime,

    Nobel

    Lettre pour tes cinq ans (2090)

    Bonjour et Bonne Fête, ma chérie,

    Cinq ans, c’est quelque chose, un beau chiffre pour une belle fille.

    Cette année, j’ai encore une affaire d’oiseaux à te raconter.

    Quand nous t’avons faite, ta maman et moi, nous étions près du ciel. Nous avons gravi une montagne gaspésienne en montant haut, très haut, jusqu’au Sanctuaire Sauvage. De là, les maisons d’en bas paraissaient toutes petites comme des maisons de mini-poupées, et la mer étincelait au loin avec des reflets de bijoux précieux.

    Mais ce n’était pas encore assez haut à notre goût alors nous avons marché, marché jusqu’à une tourelle dans les arbres et là, nous avons grimpé, grimpé. Enfin, nous étions à la bonne hauteur et avons installé notre nid pour la nuit, tout près des étoiles, en nous recouvrant des ailes douillettes de notre amour.

    Cette bonne hauteur, c’était la hauteur des aigles royaux, alors tu dois avoir un brin de bleu ciel royal en toi.

    Est-ce que parfois, quand tu es joyeuse pour une raison ou l’autre, ou même sans raison, tu ressens des battements d’ailes dans ta poitrine, qui voudraient te soulever de terre ? Si oui, c’est un signe que nous t’avons transmis la joie de la liberté, la joie de voler.

    Mais rassure-toi, ta joie est bien la tienne, et ces battements, ce sont tes propres ailes qui poussent et font voler ton cœur.

    Je te souhaite, ma chérie, les plus beaux envols pour l’année à venir.

    Ton papa aigle,

    Nobel

    Lettre pour tes six ans (2091)

    Bonjour belle fille,

    Je sais que tu dois être comblée de très beaux cadeaux à tes anniversaires, alors moi j’ose te demander le contraire : pourrais-tu me faire un cadeau ?

    La vérité vraie sur ma vie après la vie est que, comme dans la vie terrestre, des nuages se mêlent au bleu du ciel en apportant la pluie, et la joie se mêle parfois de tristesse.

    Je suis justement dans un de ces nuages de tristesse aujourd’hui, la tristesse surtout de ne pas être là avec toi et te serrer pour vrai lors de ton anniversaire.

    Alors voici ce que je demande… pour ton anniversaire. Un peu drôle, n’est-ce pas ? Mais je suis certain qu’à six ans, tu as compris que recevoir c’est bien, mais donner a souvent un goût encore meilleur.

    Ma demande, donc. Je voudrais que tu te lèves tôt un de ces prochains matins (peut-être avec un peu d’aide si tu es une grande dormeuse), et que tu sortes quand il y a encore de la rosée sur l’herbe et les feuilles. J’aimerais que tu touches à cette rosée en te disant que c’est comme si tu essuyais les larmes sur mes joues.

    Cela me fera le plus grand bien, tellement que si tu rentres à la maison pour déjeuner et reviens un peu plus tard, tu auras beau chercher, il ne restera plus une trace de mes larmes de rosée ; ta caresse aura fait de la magie, et d’avance je t’en remercie !

    Je te souhaite une année qui te fera grandir encore en beauté et surtout en bonté, ma petite chérie.

    Ton papa qui t’adore pour toujours,

    Nobel

    Lettre pour tes sept ans (2092)

    Bonjour ma GRANDE chérie,

    Sept ans, c’est important. Je suis très fier de toi et de tes accomplissements.

    Là, tu pourrais dire (en grande) que je n’ai pas vraiment été présent pour les voir, tes accomplissements. Ah, mais j’ai une arme secrète ; j’ai eu l’occasion de regarder grandir quelqu’un qui doit te ressembler un peu, ou même beaucoup – ta maman !

    J’ai pu la regarder grandir parce que, tu vois, je suis plus vieux qu’elle d’environ quinze ans. Donc, avant qu’elle devienne mon amoureuse, je l’ai connue bébé, puis enfant, puis adolescente, et enfin jeune femme. Je suis donc « p’tit Joe connaissant » en ce qui concerne sa jeunesse.

    Bien sûr, tu as le droit d’être complètement différente d’elle, ou de moi ; si j’aime les pommes et Félicité les poires, ça ne t’empêche pas de préférer les fraises.

    Une chose que je sais est qu’à sept ans, les choses changent. Je me souviens d’avoir appelé chez ta mère quand elle avait ton âge en demandant de parler à « la petite ». Elle m’a repris tout de suite : « Nobel, tu peux arrêter de m’appeler la petite ; je vais à l’école, et j’ai sept ans ! »

    Elle était un peu fâchée, pour tout dire ; elle a toujours eu du caractère, ta maman. Si elle ne sait pas toujours ce qu’elle veut, elle exprime par contre très clairement ce qu’elle ne veut pas !

    Je lui ai répondu que l’expression « petite » était une façon d’exprimer ma tendresse, mais que je travaillerais à laisser tomber ; était-elle d’accord pour me le rappeler si je m’échappais ? La réponse a été oui, à mon grand soulagement.

    C’est ce souvenir qui m’a inspiré le petit texte « Grandir » qui suit, ton cadeau pour cette année. Si tu l’aimes, tu pourras le mettre dans ton coffre à trésors. Tu as bien un coffre à trésors, j’espère ? Toute grande fille qui se respecte doit en avoir un, pour mettre à l’abri les plus belles roches, les plus délicats colliers, les cartes importantes, et ainsi de suite. (Si tu n’en as pas encore, n’importe quelle boîte décorée à ton goût fera l’affaire.)

    Je te laisse avec le texte en question, en te proclamant que ce qui est le plus précieux dans le coffre à trésors de mon cœur à moi est le souvenir d’avoir écouté, tout près des battements du cœur de ta maman, les premiers battements du tien.

    Grandir

    Lorsque tu étais dans le ventre de ta maman, tu ne savais pas faire grand-chose, alors tu donnais des petits coups de poing et des petits coups de pied.

    Lorsque tu es née, tu ne savais pas parler, alors tu criais et pleurais pour demander du lait.

    Lorsque tu étais bébé, tu ne savais pas marcher, alors tu rampais sur le ventre et puis à quatre pattes comme un jeune chiot.

    Lorsque tu étais une petite enfant, tu ne savais pas lire, alors ta famille te racontait des histoires et te montrait des images.

    Maintenant tu es plus grande, alors :

    Tu parles tant que tu veux, du matin au soir !

    Tu marches tant que tu veux, tu cours et tu danses !

    Tu commences la lecture, alors, avec ou sans aide, tu viens de lire cette page !

    Bon anniversaire encore,

    Papa Nobel

    Lettre pour tes huit ans (2093)

    Bonjour Céléane,

    Te voilà avec un nouveau chiffre à ton âge, deux beaux ronds qui s’entrecroisent, amis pour la vie. Cela me fait penser aux paroles d’une vieille chanson pour enfants : « Tu es mon p’tit ami, mon p’tit ami chéri, tu es mon p’tit ami, mon p’tit ami pour la vie. »

    Est-ce que tu savais que « dans mon temps » dire qu’un garçon avait une « petite amie » ou une fille un « petit ami » pouvait signifier qu’il ou elle avait une amoureuse ou un amoureux ? Est-ce que c’est ton cas, toi qui es maintenant si grande, ou as-tu seulement plein d’amis et amies tout court ?

    Je suis curieux, n’est-ce pas ? Tu pourrais dire que ce n’est pas de mes affaires ; mais que veux-tu, quand on aime quelqu’un on s’intéresse à tout ce qui se passe dans sa vie. Alors, je te laisse avec tes amis et amies, qu’ils soient grands ou petits, en te souhaitant simplement de partager avec eux tout ce qui fait l’amitié de qualité, les bons coups comme les mauvais, les folies et les joies.

    Cette année, je t’envoie une photo en tant que cadeau d’anniversaire. Je l’ai prise au coucher du soleil à Sainte-Anne-des-Monts, là où la rivière Sainte-Anne se jette dans le Fleuve.

    Je ne sais pas où tu demeures en ce moment, mais si ce n’est pas trop loin de Sainte-Anne, tu pourrais te rendre avec ta maman au même endroit. Elle le connait bien. Si c’est impossible, eh bien, tu y iras quand tu seras plus grande et libre de choisir tes destinations

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