La Servante de Lord Blackwood
Par Junie Bleuet
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À propos de ce livre électronique
Dans une auberge battue par les vents, au coeur d'une lande aussi grise que son avenir, Faith se débat entre les corvées, la rudesse des hommes, l'ombre de la solitude et le froid.
Orpheline, sans protection, elle a appris à se taire, à s'effacer et à survivre. Elle n'attendait plus rien de la vie... jusqu'au jour où un inconnu franchit la porte.
Lord Blackwood...
Un nom prononcé à mi-voix, une réputation sulfureuse drapée de mystère, un regard sombre comme la guerre d'Espagne dont il revient. Il aurait pu passer son chemin mais il s'arrête, et d'un simple regard, bouleverse le destin de Faith. Ce qu'il attend d'elle ? Elle l'ignore encore. Ce qu'elle ressent ?
Une fascination dangereuse, douce et indécente.
Mais dans l'ombre, veille un autre homme : Sir Galloway. Et bientôt, la jeune femme se retrouve prise dans un triangle où les désirs, les secrets et les blessures s'entrelacent.
Dans ce monde fait d'apparences, tissé de passions inavouables, jusqu'où Faith osera-t-elle aller pour enfin exister ? Jusqu'où peut-on repousser nos limites lorsque l'on n'a rien à perdre ?
À PROPOS DE L'AUTRICE
Junie Bleuet réside en Champagne, elle est professeure de français en collège. Passionnée de couture et d’Histoire elle s'est naturellement dirigée vers la reconstitution historique dès son adolescence. Elle a gagné de nombreux prix pour la qualité de ses reproductions de costumes, ce qui l’a conduite à organiser des événements costumés et de donner des conférences sur l’Histoire de la mode dans le monde entier.
Elle est l’auteur du livre "Rendez-vous au Café des Anges" qui se déroule durant la Seconde Guerre mondiale, sorti en 2024.
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Avis sur La Servante de Lord Blackwood
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Aperçu du livre
La Servante de Lord Blackwood - Junie Bleuet
Dédicace
À mes parents, Max et Marie,
À ma meilleure amie Nolwenn,
À mon époux Michael,
Merci pour votre soutien.
Barbara, La Vie d’artiste
On s'est rencontrés par hasard, ici, ailleurs ou autre part
Il se peut que tu t'en souviennes
Sans se connaître, on s'est aimés
Et même si ce n'est pas vrai
Il faut croire à l'histoire ancienne
Je t'ai donné ce que j'avais, de quoi rêver, de quoi chanter
Et tu croyais en ma bohême
Mais si tu pensais à 20 ans qu'on peut vivre de l'air du temps
Ton point de vue n'est plus le même
Cette fameuse fin du mois, qui depuis qu'on est toi et moi
Nous revient sept fois par semaine
Et nos soirées sans cinéma
Et mon succès qui ne vient pas
Et notre pitance incertaine
Tu vois, je n'ai rien oublié de ce bilan triste à pleurer
Qui constate notre faillite
Il te reste encore de beaux jours, oh, profites-en, mon amour
Les belles années passent vite
Et maintenant, tu vas partir, tous les deux, nous allons vieillir
Chacun pour soi, comme c'est triste
Tu pourras emporter le phono', moi, je conserve le piano
Je continue ma vie d'artiste
Un jour, on ne sait trop pourquoi, un étranger maladroit
Lisant mon nom sur une affiche
Te parlera de mes succès
Mais, un peu triste, toi, qui sait
Tu lui diras que je m'en fiche
Barbara, La Vie d’artiste, 1970
Reprise de Léo Ferré, 1950
Image01.pngChapitre 1
Un bien étrange voyageur
— Vous appelez ça du vin ? rugit une voix rauque, émergeant comme un coup de tonnerre au milieu du brouhaha de l’auberge de North Valley. On dirait de la piquette pour cochons, pas mieux !
L’homme qui venait de parler, lourdement accoudé au comptoir, le visage cramoisi par une soirée trop arrosée, était un client régulier de la taverne. Faith baissa les yeux, ses longs cils blonds voilant un regard mélancolique. Ses mains tremblantes sur lesquelles des veines bleues serpentaient s’étaient refermées sur un plateau cabossé et trahissaient l’épuisement d’une journée harassante. Quelques mèches blondes, échappant à la coiffe nouée à la hâte, encadraient un visage encore jeune où la fatigue avait creusé de légers sillons. Pourtant, malgré sa silhouette frêle et ses épaules légèrement voûtées par l’effort, il émanait d’elle une certaine grâce qui ne laissait pas indifférent. Son patron, Greenleaf, un homme massif au regard dur, se tourna vers elle avec un rictus mauvais.
— Qu’attends-tu, idiote ? Sers-le avant qu’il ne détruise mes meubles !
La pauvresse s’exécuta. Ses gestes trahissant une habitude née de la crainte plus que du professionnalisme. Bien sûr, si l’homme détruisait le mobilier, c’était de sa faute à elle, pas celle de l’ivrogne. Elle soupira. Le tintement des verres, la rumeur des conversations étouffées, et le martèlement de la pluie contre les fenêtres formaient une cacophonie monotone. Tous les jours c’était la même rengaine. Tous les jours les soûlards et les remontrances de Greenleaf. La fumée de tabac lui piquait les yeux et les grivoiseries des ivrognes lui donnaient la nausée. Pourquoi avait-il fallu que ses parents l’abandonnent ici ? Pourquoi n’avait-elle pas eu la chance de naître dans une famille aisée ?
Alors qu’elle songeait à ses rêves brisés et à ses vains espoirs de quitter un jour l’auberge de North Valley, les larmes lui montèrent aux yeux. Elle contempla sa longue robe de coton tachée et crasseuse avec laquelle elle avait fait les chambres le matin, le ménage l’après-midi, et maintenant le service du soir. En son for intérieur elle savait qu’elle méritait mieux, qu’elle valait mieux.
Et pourtant, voilà où elle en était. Elle serra ses poings fluets autour du plateau qui contenait les bocks et les déposa sur la table. En elle, une bataille entre la colère et la résignation faisait rage. Ce fut cette dernière qui l’emporta. Elle servit l’homme qui l’avait rabrouée un peu plus tôt, espérant cette fois que la vinasse soit à la hauteur de ses espérances, ce qui ne risquait pas d’être le cas tant Greenleaf coupait le vin avec l’eau. Faith soupira, encore.
Soudain, la porte de l’auberge s’ouvrit avec fracas. La jeune femme fut tirée de ses rêveries autant que de son désespoir. Un homme entra, enveloppé dans une longue cape sombre luisante de pluie. Son port altier, le visage dur mais harmonieux éclairé fugacement par la lueur des chandelles et des lanternes, imposèrent un silence solennel. Les clients, habitués aux voyageurs ordinaires, se figèrent devant ce mystérieux personnage.
Faith leva brièvement les yeux, assez pour capter l’éclat sombre du regard de l’homme qui venait de s’imposer. Il balaya la pièce des yeux avant de déclarer d’une voix basse mais parfaitement audible : « Une chambre pour la nuit, un repas chaud et du foin pour mon cheval. » Son ton ne souffrait aucune réplique. Le patron s’empressa de répondre, d’un ton servile qui contrastait fortement avec la rudesse habituelle dont il faisait preuve envers Faith.
— Bien sûr, Milord. Nous avons la meilleure chambre à votre disposition.
L’homme s’avança vers le feu qui rougeoyait dans l’âtre, déboutonnant sa cape pour révéler des vêtements impeccablement taillés. Faith, troublée par ce tableau, n’entendit pas les injonctions de son patron. Elle n’avait jamais vu un homme aussi puissant de présence. La tension qui émanait de lui, lui coupa le souffle. Elle semblait fascinée par son autorité naturelle.
— Faith ! hurla-t-il, apporte du vin pour Milord, et que ce soit le meilleur !
La servante s’empressa d’obéir, les joues empourprées par l’embarras. Greenleaf avait revêtu son imperméable pour se rendre aux écuries nourrir la monture du voyageur. Lorsqu’elle tendit une coupe de vin à cet étrange inconnu, leurs regards se croisèrent brièvement. Une étincelle d’intérêt passa dans les yeux de l’étranger, bien que son visage restât impassible.
— Merci, dit-il d’une voix grave, avant de tourner son attention vers le foyer où il tendit ses mains gantées pour en chasser le froid et l’humidité.
— Permettez-moi de vous débarrasser de vos affaires de voyages, je mettrai dans l’écurie ce qui est nécessaire pour votre cheval et je monterai vos bagages dans votre chambre.
— Vous ? s’amusa-t-il, avec vos quinze livres toute mouillée, vous croyez que vous allez pouvoir monter les lourds bagages d’un militaire rentrant de deux ans de campagne ? J’aimerais bien voir ça !
— Je… balbutia-t-elle, c’est que c’est mon travail. Greenleaf va me houspiller si je ne le fais pas…
— C’est vrai qu’il a l’air d’être un cuistre celui-là, sourit-il, mais ne vous tracassez pas, je me charge de mes bagages. Votre patron n’aura pas son mot à dire.
— Laissez-moi au moins aller déposer vos affaires d’équitation à l’écurie, fit Faith en avançant pour attraper ce dont elle parlait.
À cet instant précis, l’homme aux cheveux sombres comme la nuit saisit le poignet de la servante, l’arrêtant dans son élan. Une grimace se dessina sur son visage. Aussitôt il desserra son emprise feignant de n’avoir pas remarqué lui avoir fait mal.
— On m’avait bien dit que les femmes du Kent étaient de drôles d’oiseaux bien déterminés, mais vous en êtes un sacré spécimen ! Je garde toujours ma cravache avec moi.
Elle crut percevoir, juste un instant, quelque chose de dangereux tapi sous ses manières polies, une violence contenue mais terrifiante lorsqu’on en devinait l’existence.
— Pardon Milord… dit-elle en baissant ses yeux bleus, honteuse d’avoir importuné un homme qui semblait aussi important et respectable.
Une fois de plus elle avait conscience de combien elle était peu de chose dans ce monde. Sa gorge se noua. L’homme entrouvrit les lèvres pour dire quelque chose lorsque Greenleaf reparut, visiblement de mauvaise humeur d’avoir été trempé par la pluie en se rendant aux écuries, surtout à une heure aussi tardive.
Faith retourna près du comptoir, mais ses gestes trahissaient une nervosité inhabituelle. Elle sentait encore le poids du regard de cet homme. Qui était-il, ce Lord dont l’aura imposait le respect sans qu’il n’ait à hausser le ton ? Et cette phrase : « Je garde toujours ma cravache avec moi. » C’était une phrase bien étrange à prononcer. Au moins, l’intrigue qu’avait créée ce nouvel arrivant l’avait définitivement tirée de ses pensées désespérées sur sa misérable vie. Qui était-il, cet homme qui lui confessait revenir de deux années de guerre ? Avait-il combattu en Espagne, sous le commandement de Wellington ? Ou peut-être dans les Balkans contre les Russes ?
En cette année 1812, Napoléon Bonaparte laissait derrière lui, à travers l'Europe, une longue trace de feu et de sang. Mais l’Empereur des Français semblait sur le déclin, à ce qu’espéraient les journaux anglais, et à ce que racontaient les quelques voyageurs du continent qui s’arrêtaient à North Valley pour un verre ou pour une nuit. Mais l’homme était Corse, le bougre était tenace. Son seul nom suffisait à glacer d’effroi toute l'Angleterre.
Les voyageurs racontaient que le Petit Caporal avait des cartes secrètes, prêtes à envahir les Cornouailles ou le Sussex. Pendant un temps, chaque village avait dressé son camp de miliciens bénévoles, prêt à repousser l’invasion, une invasion qui n'était jamais venue, mais dont la peur avait gravé son empreinte sur les terres et dans les esprits.
Alors que l’esprit de Faith divaguait à imaginer la paix en Europe, un œil se perdit pour observer l’homme qui avait fait irruption dans la taverne. Une barbe de quelques jours traînait sur son menton, visiblement, il avait quitté son régiment il y a un moment. Des cheveux noirs — ou brun foncé — elle n’arrivait pas vraiment à en distinguer la couleur aux reflets du feu dans la sombre pièce commune de l’auberge. Une carrure athlétique, des mains immenses. Elle les revit un instant se refermer sur son poignet quelques minutes auparavant alors qu’elles portaient toujours leurs gants de cuir, un frisson la parcourut. Sapristi… D’un coup, l’homme se tourna vers elle et la surprit en train de l’observer. Le cœur de la jeune femme s’emballa puis elle baissa immédiatement les yeux avant de s’enfuir en cuisine. Quelle sotte. Quelle maladroite. Quel manque de discrétion… et de courage. Elle aurait pu soutenir son regard. Elle aurait dû. Elle se flagellait intérieurement.
Collée derrière la porte de la cuisine, elle entendait les murmures qui commençaient à circuler parmi les clients, chacun y allant de sa conjecture sur l’identité de cet étranger.
— Un noble en fuite, chuchota une femme âgée, penchée vers son voisin. Regardez ses bottes, elles sont couvertes de boue. Pas un signe de quelqu’un qui voyage par pur agrément.
— Non, répliqua l’autre en secouant la tête. C’est un espion, ça se voit à son air méfiant.
— Ou un déserteur ! je l’ai entendu parler de l’armée à la petite servante !
La soirée s’éternisait. Les clients, rassasiés de vin, d’histoires et de ragots, commencèrent à quitter les lieux. L’étranger quant à lui, ne bougea pas. Il observait, depuis le grand fauteuil au cuir défraîchi, les flammes dans la cheminée remonter sur le lourd chaudron de fonte qui y était suspendu et dont un savoureux effluve de potage se dégageait. Cet homme la terrifiait par son allure et son ton impérieux, mais l’attirait de par le mystère qui l’entourait. Elle était réellement fascinée. Aussi, dans un rare moment de courage, Faith s’approcha pour raviver les braises. Tandis qu’elle s’agenouillait, elle sentit son regard peser sur elle. Elle se trouvait toute petite, toute chétive en comparaison.
— Vous semblez fatiguée, dit-il avec une douceur qui contrastait avec la manière dont il lui avait parlé une heure auparavant. Ce n’est pas un travail facile que celui de servante.
Elle releva la tête, surprise par le ton car elle n’y perçut ni condescendance, ni moquerie, seulement une curiosité sincère et un zeste de pitié légèrement agaçant.
— Je fais ce que je peux, Milord, répondit-elle en le regardant enfin dans yeux.
Il resta silencieux un moment avant de reprendre.
— Combien d’années avez-vous passées à servir cet homme ?
Elle hésita, surprise et par la question, et par l’intérêt soudain que l’homme manifestait à son égard.
— Depuis que j’ai quinze ans. Mes parents étaient endettés, et… je n’avais pas le choix.
L’homme hocha lentement la tête. Ses traits restaient indéchiffrables, mais une étincelle d’émotion passa dans ses yeux. Faith vit se dessiner quelques rides qu’elle n’avait pas perçues auparavant. Il était un peu plus vieux que ce qu’elle avait cru, certainement la trentaine bien tassée.
— Un destin immérité à cause des erreurs de vos parents, murmura-t-il, presque pour lui-même.
Greenleaf, qui était revenu pour compter ses pièces, les interrompit brusquement.
— Faith, cesse donc d’importuner Milord et monte nettoyer sa chambre ! Tout de suite.
La servante acquiesça et s’empressa de quitter la pièce, bien qu’elle sentît encore le regard de l’inconnu la suivre. Dans l’escalier sombre, elle se surprit à penser à cet homme étrange. Sa présence la troublait, mais pas de la manière dont elle s’y serait attendue. Il y en avait peu, des messieurs importants, des Lords comme lui, qui s’arrêtaient dans le bouge de North Valley. Dans la salle principale, l’homme se leva finalement et déclara :
— Faites-en sorte qu’elle m’apporte le repas dans ma chambre.
Le patron opina du chef.
— Bien sûr, Milord. Tout sera prêt.
Peu après la servante se rendit en cuisine afin de récupérer le repas du Lord. C’était un demi-poulet accompagné de haricots, avec un bol de cette soupe qui mijotait dans le chaudron depuis des heures et qui embaumait la pièce. L’odeur faisait terriblement envie à Faith qui savait qu’elle devrait se contenter des restes. Enfin, les restes, c’est toujours mieux que rien.
La jeune femme monta les escaliers de l’auberge avec le plateau surchargé entre le poulet, le vin, la soupe, le pain et la part de cake. Les bruits de ses vieux sabots de bois résonnèrent dans le silence étouffé du tapis du siècle dernier qui s’étendait dans le couloir. La porte de la chambre de l’inconnu se dessinait, imposante et silencieuse.
Elle s’arrêta un instant devant la porte, inspirant profondément. Le cœur battant, elle se demanda si elle était prête à affronter à nouveau ce regard perçant, cette aura qu’il dégageait et cette étrange sensation de malaise qui l’avait envahie lorsqu’il l’avait touchée plus tôt dans la soirée. Ce n’était pas sa nervosité habituelle, ce n’était pas juste un client difficile ou un maître exigeant. Non. Les clients de son statut n’étaient pas légion, et lorsqu’il en arrivait un, jamais l’un d’entre eux ne daignait adresser la parole à la bonne à tout faire. Jamais. Il y avait quelque chose dans cette rencontre, quelque chose qu’elle n’arrivait pas encore à définir. Elle frappa à la porte, d’un coup faible, hésitant. La réponse ne tarda pas. « Entrez. »
Faith inspira encore une fois et tourna la poignée.
La chambre du Lord était, certes, rustique mais confortable. Un grand lit à baldaquin ornait le centre de la pièce, ses rideaux en velours noir, tirés, laissaient l’ombre créée par le candélabre aux quatre bougies envahir l’espace. Les meubles étaient en bois massif, mais il n’y avait aucune ostentation. Les murs décorés de tapisseries représentant des paysages brumeux et lointains, n’étaient pas sans rappeler les tentures de la Haute Époque et du style médiéval des vieux châteaux écossais. Un bureau se trouvait près de la fenêtre, sur lequel était posé un livre dont la couverture ne lui disait rien. Visiblement le curieux visiteur avait déjà pris ses aises. L’odeur du bois et du cuir se mêlait au bruit de la pluie qui ruisselait contre les carreaux. Voilà trois jours que le ciel se déversait en torrents sur North Valley sans discontinuer.
Faith entra dans la pièce et déposa le plateau sur la petite table en bois. Quelle ne fut pas sa surprise d’y apercevoir la cravache qui avait été l’objet de son trouble un peu plus tôt. Elle déglutit, l’homme était déjà attablé, elle sentit sa respiration sur sa nuque alors qu’elle s’était abaissée pour déposer le plateau. Il ne dit mot, elle non plus. Elle sentait qu’il l’observait. Cherchait-il la moindre erreur dans ses mouvements afin de pouvoir la réprimander ? Quelque chose de malsain se dégageait de l’atmosphère. Elle voulait s’extraire de cette pièce. Au plus vite.
Alors qu’elle tournait les talons pour se retirer, elle aperçut son reflet dans le bout du miroir de la chambre. Si sa première idée fut de se demander pourquoi ledit miroir avait été déplacé, sa seconde pensée fut pour elle-même : qu’elle était vilaine. Ses mèches blondes ébouriffées sortant de sa coiffe de lin blanche à moitié dévorée par les mites, sa robe de coton nouée sous la poitrine qui avait naguère été bleue et qui aujourd’hui se teintait d’un gris uniforme, sauf le bas, bruni par la terre avec encore un peu de paille dépassant des plis de son jupon. Elle comprit pourquoi aucun des voyageurs importants ne lui adressait jamais la parole. Sa gorge se noua et les larmes commencèrent à lui monter aux yeux. Il fallait partir avant qu’elle ne cède totalement à cette tristesse.
— C’est vrai que vos vêtements mériteraient d’être rafraîchis, lança soudain l’inconnu comme s’il avait lu dans les pensées de la servante.
— Ils mériteraient d’être jetés au feu, oui ! rétorqua Faith avant de rougir de l’insolence de son ton et de se demander si les constatations qu’elle avait faites sur elle-même avaient été faites à voix haute. Heureusement, l’homme s’en amusa et acquiesça.
— Oh oui, je suis bien d’accord. Voulez-vous le faire de suite ?
Les yeux habituellement baissés de la servante s’écarquillèrent et se relevèrent pour scruter l’étranger qui avait osé prononcer de telles paroles. Il sous-entendait qu’il voulait la voir nue ? Mais quel… Avant que la jeune femme ne puisse dire quoi que ce soit, conscient qu’il était allé un peu loin devant une petite oie blanche — ou grise en l’occurrence — il se reprit aussitôt : « Vous pouvez rester, si vous le souhaitez. Il y a à manger pour plus d’un homme sur ce plateau. Vous avez l’air affamée. »
Elle se tourna lentement pour le regarder. L’homme était assis près du feu. Il avait retiré sa cape, mais ses vêtements étaient toujours d’une élégance parfaite, même après le long voyage qu’il venait de parcourir. Bon sang, qui était-il ? D’où venait-il ? Faith ne sut que dire, trop émue et décontenancée par tout ce qui venait de se produire pour répondre immédiatement. « Je… je ne veux pas vous déranger, Milord. » se contenta-t-elle de formuler. Il la fixa longuement de ses yeux perçants. Elle se sentit soudainement vulnérable sous son regard.
— Vous n’êtes pas un dérangement. Détendez-vous, fit-il en montrant du doigt la chaise de merisier qui se trouvait dans l’alcôve de la chambre l’invitant à prendre place à la table où elle venait de le servir.
La jolie blonde s’assit maladroitement sur la chaise près du feu, les mains repliées sur ses genoux. Elle n’osait pas le dévisager mais elle sentait son regard sur elle, chaud et intransigeant, la pénétrant comme un rayon de lumière dans une chambre au petit matin. Volontairement, il ne dit rien. Il l’observait avec un imperceptible sourire malicieux en coin.
Enfin, il rompit le silence.
— Comment vous appelez-vous ?
— Je m’appelle Faith.
Elle n’osa pas demander son nom à l’étranger.
— Moi, je suis Lord Blackwood, répondit-il en entamant son souper.
Cette réponse amusa beaucoup celui qui n’était plus un étranger désormais. « Faith » voilà qui était si peu commun dans son monde. Les dames qu’il rencontrait au bal ou à la comédie s’appelaient toutes Lady quelque chose. On connaissait le nom de famille des uns et des autres bien avant d’avoir l’honneur de découvrir leur prénom après des semaines à fréquenter les mêmes cercles. « Faith ». Cette simplicité naturelle l’avait joliment déconcerté, mais le charmait quelque part. Peut-être même n’avait-elle pas de nom de famille ?
La jeune femme promenait son regard aux quatre coins de la pièce, découvrant les affaires que transportait le Lord dans son voyage. Elle aperçut sur la table, un petit objet insolite : une miniature peinte sur ivoire. Une femme souriante, aux traits doux, dans un médaillon d’argent oxydé. Le portrait l’intrigua. Une fiancée qu’il allait retrouver après la guerre ? Quelqu’un qu’il avait aimé ? Perdu ? Lord Blackwood, surpris par le regard furtif de la servante, saisit la miniature qu’il glissa aussitôt dans sa poche sans dire un mot. Son visage avait brièvement changé, l’espace d’un battement de cœur — un voile de douleur avait assombri son visage, avant que le masque d’indifférence ne le tapisse de nouveau.
Il interrompit ce curieux moment, se rendant compte que Faith avait l’air mal à l’aise face aux denrées disposées devant elle. Il lui dit qu’il ne toucherait ni au pain, ni au cake et qu’elle pouvait les manger. La faim eut raison de la bienséance qu’elle s’était imposée depuis le début de cet étrange entretien et elle dévora ces mets comme une ogresse. Lord Blackwood leva le sourcil et s’en amusa. La pauvre, elle était plus affamée que je ne le pensais. Enfin, à sa grande surprise, ce fut elle qui entama la causerie.
— Alors… vous êtes ici pour affaires ? demanda-t-elle enfin, brisant le silence qui s’était installé entre eux. Lord Blackwood leva un sourcil, le sourire amusé :
— Vous me voyez en homme d’affaires ? Je ne suis pas venu ici pour faire des transactions commerciales, si c’est ce que vous voulez savoir.
Faith rougit, embarrassée, et se maudit intérieurement. Bien sûr qu’il n’était pas ici pour des affaires, il rentrait de la guerre. Il le lui avait dit. Elle n’avait jamais été aussi stupide.
— Je suis désolée. Je ne voulais pas paraître curieuse. — Ou sotte, songea-t-elle.
Il se leva lentement, s’approchant du feu avec une aisance qui témoignait d’une grande maîtrise de soi. La jeune femme était heureuse qu’il ne fît aucune remarque indélicate sur l’empressement qu’elle avait eu à engloutir en quelques bouchées la moitié de son souper. Puis, sans se retourner, il poursuivit d’une voix calme.
— Curieuse, vous dites… La plupart des gens ne me posent pas de questions. Ils se contentent de rester à leur place.
L’homme marqua une pause perçant du regard la jeune serveuse qui dévorait une bouchée de cake.
— Mais vous, vous avez osé me poser une question. J’en suis… — il chercha le mot adéquat — J’en suis impressionné. Oserais-je dire ému ?
Il y avait un soupçon de moquerie dans sa voix qui déplut à Faith. Elle sentit une pression dans sa poitrine. Elle n’avait jamais été aussi consciente de sa propre insignifiance que face à cet homme. Pourquoi lui parlait-il ainsi ? Pourquoi avait-il l’impression de la cerner si bien, comme s’il savait exactement qui elle était, ce qu’elle pensait ?
— Vous me regardez d’une manière étrange, Milord, murmura-t-elle finalement, le souffle court.
Il tourna la tête vers elle, son regard se faisant plus intense. Il n’avait pas l’air de vouloir répondre immédiatement. Chaque seconde de silence était une torture pour la servante. Il n’avait pas l’air de lui vouloir du mal mais quelque chose la dérangeait profondément, intensément.
— C’est peut-être parce que vous n’êtes pas ce que vous semblez être, Faith. Vous cachez quelque chose, je peux le sentir. Peut-être même que vous ne le savez pas vous-même.
Elle déglutit difficilement. Quoi ?
— Je ne comprends pas ce que vous voulez dire, Milord, conclut-elle en osant affronter son regard. Je ne comprends pas vos paroles ni pourquoi vous m’invitez à votre table. D’ailleurs heureusement que Greenleaf est parti dormir sinon je me ferais disputer.
Il s’avança vers elle, le pas silencieux sur l’épais tapis de laine. Lorsqu’il se tint près d’elle, il ne lui sembla plus tellement étranger. Il la regarda longuement, ses yeux sombres semblaient scruter son âme. « Vous comprendrez peut-être un jour, Faith. Mais ce jour n’est pas encore venu visiblement. » dit-il en souriant.
La jolie blonde sentit une chaleur envahir ses joues. Ses pensées tournaient en rond et elle ne savait plus si elle voulait fuir ou rester. Tout était si confus, si nouveau. Qu’est-ce qu’il voulait dire ? Visiblement, lui se comprenait très bien. Elle, elle ne voyait pas du tout où il voulait en venir. Peut-être que c’est la manière de parler des personnes riches, j’imagine qu’elles se comprennent entre elles…
Il s’assit alors en face d’elle, ses yeux sombres
