Les Éclats de la fratrie Aupic
Par Mélissa Restous
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À propos de ce livre électronique
1915. Marie Aupic n’est plus et a emporté avec elle tout l’espoir d’un avenir radieux. Dans un pays en proie à la guerre, la fratrie se disperse et les destinées se troublent. Alors que les chemins individuels se dessinent, Maximilien, Madeline et Marceau parviendront-ils à renouer les liens brisés et retrouver leur félicité d'antan ?
Entre déconstruction et métamorphose, découvrez l’histoire de la famille Aupic, ternie par la rancœur.
À PROPOS DE L'AUTRICE
Originaire du Val d’Oise, Mélissa emprunte la voie des lettres pendant ses études supérieures. Après un Master en recherche littéraire, elle est aujourd’hui professeure de Lettres dans un collège.
L’affection que Mélissa porte aux livres remonte à son enfance. Elle a grandi entourée de bibliothèques garnies de titres divers et variés, de la saga "Harry Potter" aux romans historiques d’Annie Hay. Si elle a toujours aimé lire, ce n’est qu’à l’université qu’elle développe une véritable passion pour la littérature, avec une « obsession » pour Oscar Wilde, Jane Austen et Théophile
Gautier, à qui elle dédie son mémoire.
L’écriture est une grande part de sa vie, même si son métier ne lui permet pas d’écrire à sa guise. Il lui aura fallu plusieurs mois pour écrire "Les Éclats de la fratrie Aupic", entrecoupés de périodes de documentation intenses, en particulier sur la Grande Guerre.
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Avis sur Les Éclats de la fratrie Aupic
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Aperçu du livre
Les Éclats de la fratrie Aupic - Mélissa Restous
Les avis des Voix d’Hurlevent
« C’est l’histoire d’une fratrie éclatée par un foyer étouffant et toxique, sans amour, dans lequel les codes de la bonne société priment sur les passions et où s’en éloigner est assez risqué.
L’aspect psychologique du récit est passionnant, tout comme le contexte historique. L’Europe est en pleine ébullition, les tensions sont fortes. C’est un texte fascinant, aux personnages nuancés et tragiquement abîmés. »
Laura (@laurasreadings)
« Mélissa Restous aborde des sujets importants tels que l’homosexualité, l’émancipation de la femme et les répercussions de la guerre sur la société patriarcale. Lu en un temps record, ce fut un moment de lecture intense, inoubliable et extrêmement touchant. Amour, amitié, trahison et liens filiaux se mêlent pour offrir au lecteur une fresque familiale à la hauteur de ses attentes. »
Virginie (@viedelivres)
« Laissez-vous emporter par l’histoire poignante d’une fratrie avec ses joies et ses peines à une époque à l’avenir bien incertain. Véritable hymne à l’espoir de jours meilleurs et très beau témoignage d’affection fraternelle, ce roman vous fera passer par un panel d’émotions diverses. Je pense encore à la famille Aupic des jours après avoir terminé ma lecture ! »
Cécilia (@cecilia_cherieblossom)
« Une plume singulière, touchante et originale qui promet d’être une jolie lecture en toutes saisons. Pour les amateurs de secrets de famille, de coups de théâtre, avec des personnages dotés d’une grande sensibilité, ce roman ne pourra que vous plaire. »
Éline (@meslivresdepoche)
« Nous sommes plongés auprès de deux frères et une sœur, une fratrie meurtrie par la mort de la mère et la brutalité du père. Et c’est leur vie, leurs questionnements et surtout leurs relations que nous allons découvrir ici.
Un roman engagé, étonnant, captivant et bouleversant. »
Louise (@livresse_delire_delivre)
« Ne pas se plier au carcan familial, affirmer nos envies, nos folies, nos fantaisies. Ne plus briller dans le regard d’un parent pour vivre pleinement.
Maximilien, Madeline et Marceau affronteront chacun à leur manière cette pression sociétale, prenant chacun un chemin différent. Certains plieront tel un roseau, et d’autres vont se déraciner tel un chêne. Ce roman c’est une quête de soi ! Celle que l’on assume, que l’on porte en soi, celle qui brise et celle qui est moins évidente. »
Angye (@mme_chacha_lit)
« De la frénésie du début du XXe siècle nous passons aux affres de la Première Guerre mondiale. Légèreté et profondeur se côtoient donc dans ce récit qui se veut avant tout réfléchi. Car les passions qui guident nos trois protagonistes ne servent qu’à mieux mettre en valeur des sujets forts : que ce soit la question de la soumission à un tiers, le poids de l’obéissance, la transidentité et la cause LGBTQIA+, ou encore le féminisme… cette histoire s’apparente bientôt à un récit d’acceptation de soi-même et des autres. »
Suzy (@bessiesbazaar)
« Dans le milieu parisien et bourgeois du début du XXe siècle, deux frères et leur sœur tentent de tracer leur propre voie en dépit des carcans sociaux et du despotisme paternel. Tous les trois, touchants d’authenticité et de réalisme, connaîtront les désillusions, les épreuves et la guerre. À travers l’histoire émouvante de la fratrie Aupic, ce roman nous rappelle des thématiques toujours d’actualité telles que les droits des femmes, les questions du genre, la liberté de choisir son chemin. »
Anna (@autumnalys)
« Le roman de Mélissa Restous est dur. Il est violent. Il donne à voir l’aversion humaine dans ce qu’elle a de plus cruel et d’intolérant. Au front comme dans la rue, ses personnages combattent l’autre, tentant de faire s’écrouler ce mur de différence et d’indifférence. Alors s’écrit avec douceur, page après page, année après année, un chemin plus clairvoyant où la compréhension et la bienveillance finissent par rassembler. »
Laura (@_lesmotsdesautres_)
Playlist de lecture
Afin de vous immerger pleinement dans votre lecture, l’autrice vous propose, chapitre par chapitre, une bande-son choisie avec soin. En scannant le QR code ci-après via l’application Spotify, vous pourrez découvrir la playlist en question.
Bonne lecture !
Prologue : Peer Gynt Suite No. 1, Op. 46 : I. Morning Mood – Edvard Grieg, Berliner Philharmoniker, Herbert von Karajan
Première partie
Chapitre 1 : Piano Sonata No. 2 In B Flat Minor, Op. 35 : 3. Marche funèbre (Lento) – Frédéric Chopin, Maurizio Pollini
Chapitre 2 : Piano Sonata No. 17 In D Minor, Op. 31, No. 2 – « The Tempest » : 3. Allegretto – Ludwig van Beethoven, Daniel Barenboim
Chapitre 3 : Children’s Corner, L. 113 : 6. Golliwogg’s Cakewalk - Claude Debussy, Alexis Weissenberg
Chapitre 4 : D’un soir triste – Lili Boulanger, Yan Pascal Tortelier, BBC Philharmonic
Chapitre 5 : La Follia – Antonio Vivaldi, Baroque Fever
Chapitre 6 : Arrietty’s Song – PianoDeuss
Chapitre 7 : Le Papillon – Jacques Offenbach, English Chamber Orchestra, Richard Bonynge
Chapitre 8 : Orphée aux enfers : Galop infernal – Jacques Offenbach, Budapest Scoring Symphonic Orchestra, Daniel Somogyi-Toth
Chapitre 9 : Bach, JS : Cello Suite No. 1 In G Major – Johann Sebastian Bach, Mstislav Rostropovich
Chapitre 10 : Happiness Does Not Wait – Ólafur Arnalds
Chapitre 11 : 12 Études, Op. 10 : No. 3 in E Major « Tristesse » – Frédéric Chopin, Maurizio Pollini
Chapitre 12 : Lux Æterna – Clint Mansell, Kronos Quartet
Chapitre 13 : Liebestraum No. 3 in A-Flat Major, S. 541– Franz Liszt, Daniel Barenboim
Chapitre 14 : Jackseye’s Tale – Daniel Pemberton
Chapitre 15 : Sonatine : I. Modere – Maurice Ravel
Chapitre 16 : J.S. Bach : Bouree in E Minor, BWV 996 – David Jaedyn Conley
Chapitre 17 : Le Bourgeois Gentilhomme – Comédie-Ballet, LWV 43 – Jean-Baptiste Lully, Gustav Leonhardt, La Petite Bande
Chapitre 18 : I Love You – Riopy
Chapitre 19 : Merry Christmas Mr. Lawrence – Ryuichi Sakamoto, Jaques Morelenbaum, Everton Nelson
Chapitre 20 : Les quatre saisons : L’été – Antonio Vivaldi, Orchestre de chambre de Paris, Jean-Pierre Wallez
Chapitre 21 : Valse sentimentale, Op. 51, No. 6 – Pyotr Ilyich Tchaikovsky, Josef Sakonov, London Festival Orchestra
Chapitre 22 : Suite bergamesque, L. 75 : III. Clair de lune – Claude Debussy, Alexis Weissenberg
Chapitre 23 : Danse Hongroise N° 4 en Si Mineur – Johannes Brahms, Laurent Korcia
SECONDE PARTIE
Chapitre 1 : Hysteria – 2CELLOS
Chapitre 2 : Vivaldi : La stravaganza, Violin Concerto in E Minor, Op. 4 No. 2, RV 279 : I. Allegro – Vivaldi, Europa Galante, Fabio Biondi
Chapitre 3 : Danse macabre – Camille Saint-Saëns, Slovak Radio Symphony Orchestra, Keith Clark
Chapitre 4 : Main Titles from the HBO Miniseries Band of Brothers – London Metropolitan Orchestra, Michael Kamen
Chapitre 5 : Pavane pour une infante défunte, M. 19 – Maurice Ravel, Berliner Philharmoniker, Herbert von Karajan
Chapitre 6 : Symphonie fantastique, Op. 14 : Marche au supplice (Allegro non troppo) – Hector Berlioz, Swedish Radio Symphony Orchestra, Daniel Harding
Chapitre 7 : Prokofiev : Romeo and Juliet, Op. 64, Act 1, Scene 2 : Dance of the Knights – Sergei Prokofiev, André Previn, London Symphony Orchestra
Chapitre 8 : Symphony No. 7 In A, Op. 92 : 2. Allegretto – Ludwig van Beethoven, Berliner Philharmoniker, Herbert von Karajan
Chapitre 9 : Tango De Roxanne (Instrumental Version) – The Hit Crew
Chapitre 10 : Le Carnaval des Animaux : Aquarium – Camille Saint-Saëns, Irena Grafenauer et al.
Chapitre 11 : Quatuor No. 14 en Ré mineur, Op. posthume, D.810 : Allegro – Franz Schubert, Quatuor Enesco
Chapitre 12 : The Lady in the Lake – Daniel Pemberton
Chapitre 13 : Spirited Away : III. The Sixth Station - Joe Hisaishi, New Japan Philharmonic Orchestra, Kim Hong-Je
Chapitre 14 : Gymnopédie No. 1 – Erik Satie, Philippe Entremont
Chapitre 15 : Arrival of the Birds – The Cinematic Orchestra, London Metropolitan Orchestra
Chapitre 16 : Up the Down Trench – Thomas Newman
Chapitre 17 : Promentory – Trevor Jones
Chapitre 18 : Andante con moto - Franz Schubert, Arthur Rubinstein
Chapitre 19 : Love Story – 2CELLOS
Chapitre 20 : Liberty – Moxie
Chapitre 21 : Near Light – Ólafur Arnalds
Chapitre 22 : Your Hands Are Cold - From «Pride & Prejudice » Soundtrack – Dario Marianelli, Jean-Yves Thibaudet
Une image contenant Police, Graphique, graphisme, conception Le contenu généré par l’IA peut être incorrect.Cet ouvrage a été publié sous la direction de Sarah Abel.
Avertissements : violence, sang.
© Éditions Hurlevent, 2023
Conception graphique, élément graphique de la couverture : Julie Gaudillat
ISBN papier : 978-2-494109-08-7
ISBN numérique : 978-2-494109-30-8
Prologue
1897
Un silence inhabituel, seulement brisé par l’écho de cris déchirants, planait sur la maison Aupic. À chaque fois qu’il entendait la voix écorchée de sa mère, Maximilien tressaillait. Il jeta un coup d’œil à Madeline, sa sœur cadette. Assise à même le sol, elle faisait mine de prendre le thé en compagnie de son jouet préféré, une poupée de porcelaine à laquelle elle ressemblait étrangement, avec ses boucles blondes et ses grands yeux bleus.
Ce matin-là, le branle-bas de combat avait débuté peu après le petit déjeuner. Une bonne avait surgi de la chambre de Marie, leur mère, et avait dévalé les escaliers en s’exclamant que le travail avait commencé. Maximilien et Madeline, qui s’occupaient alors sagement dans la salle à manger, avaient observé les domestiques courir en tous sens à la recherche d’eau chaude et de draps. Leur père s’était précipité hors de son bureau et ils l’avaient entendu réclamer d’une voix tremblante le docteur Lefebvre. Un temps, les deux enfants avaient été oubliés. Ce ne fut qu’à l’arrivée du médecin, lourdement chargé d’une sacoche de cuir noir, qu’une gouvernante les conduisit à la nurserie, au dernier étage de la villa.
Sentant que Maximilien l’observait, Madeline leva la tête. Son visage poupon affichait un air grave lorsqu’elle lui demanda :
« Maman va mourir ?
— Bien sûr que non. »
Du haut de ses sept ans, le petit garçon devait rassurer sa sœur, même s’il ne comprenait pas plus qu’elle ce qui torturait ainsi leur mère. Tous deux savaient que son ventre rond annonçait l’arrivée d’un enfant et la perspective d’agrandir leur fratrie les réjouissait. Personne ne leur avait parlé des hurlements qui résonnaient dans les couloirs et les terrifiaient. Maximilien tendit alors la main à Madeline.
« Viens avec moi. »
La poupée sous le bras, elle s’accrocha à lui et ils se mirent en quête de leur père. Ce dernier se trouvait dans le boudoir qui jouxtait la chambre de Marie, à l’étage inférieur. Il faisait les cent pas en triturant sa barbe noire, suspendant son geste à chaque fois qu’un râle de douleur s’élevait. Madeline et Maximilien restèrent sur le seuil de la pièce, doigts entrecroisés, gagnés par la nervosité que l’homme dégageait. Au bout d’un moment, il remarqua leur présence et faillit les renvoyer sur le champ à l’étage, mais il se ravisa en voyant leur visage chiffonné par l’inquiétude. D’un geste, il les invita à le rejoindre pour les serrer contre lui. Ils entourèrent ses jambes de leurs petits bras et il caressa gentiment les chevelures brune de l’aîné et blonde de la cadette. Grâce à cette étreinte, ils s’apaisèrent mutuellement. Ce charmant tableau accueillit le médecin qui surgit en s’exclamant :
« C’est un garçon ! »
M. Aupic sourit et pressa les épaules de ses deux premiers-nés.
« Vous avez entendu, les enfants ?
— Un petit frère ! » s’émerveilla Maximilien, déjà projeté quelques années plus tard en imaginant tous les jeux qu’il pourrait inventer avec ce nouvel arrivant.
Madeline esquissa une moue légèrement déçue, elle qui aurait préféré jouer à la poupée avec une sœur.
Des vagissements les interrompirent, clairs et puissants.
« Écoutez comme il est déjà vigoureux ! » se réjouit leur père avant de se précipiter auprès de sa femme épuisée et de son nouveau-né.
Maximilien et Madeline durent patienter encore un peu. Quand ils entrèrent dans la chambre, leur mère souriait à un paquet de linge qu’elle tenait dans ses bras. En approchant, ils virent qu’il s’agissait en réalité d’un minuscule bonhomme aux joues rebondies, emmailloté dans des langes blancs.
« Dites bonjour à Marceau », leur suggéra Marie à voix basse.
*
Au début de leur mariage, Charles et Marie Aupic vivaient au cœur de Paris, dans un bel appartement situé avenue de l’Opéra. Dès que les beaux jours s’invitaient, ils fuyaient la capitale étouffant sous la chaleur et fréquentaient assidûment les guinguettes des bords de Seine, notamment celles de l’île de la Jatte, coincée entre Neuilly et Levallois-Perret. Marie Aupic s’était vite éprise des lieux pour leur atmosphère à la fois champêtre et festive, tout comme l’avait fait Georges Seurat, trente ans plus tôt. Les toiles du peintre saisissaient admirablement cet univers des dimanches après-midi passés à flâner au bord de l’eau.
Peu de temps avant la naissance de Maximilien, les Aupic avaient donc quitté la capitale pour s’installer dans une élégante villa construite vers la fin du xixe siècle. Ils avaient jeté leur dévolu sur cette belle bâtisse de briques rouges, dont la façade était percée de hautes fenêtres à croisée, pour offrir à leurs futurs enfants l’écrin verdoyant propice à une vie de famille idéale. La main experte de Marie avait transformé l’espace en un véritable bijou où s’entremêlaient les couleurs éclatantes des fleurs au printemps, surtout celles des tulipes et des roses, ses favorites. Une large pelouse, moelleuse et vibrante, ouvrait ses bras aux jeux des enfants. Quand elle recevait des invités, Marie y faisait installer un salon de jardin avec chaises et table en fer forgé, mais dans l’intimité familiale, elle préférait proposer des pique-niques improvisés en étalant une simple couverture sur l’herbe fraîche.
Cet après-midi-là, le soleil dardait des rayons annonçant les premières chaleurs de l’été. Installée à l’ombre d’un cerisier pour protéger sa peau, Marie observait les oiseaux se disputer les fruits mûrissant dans l’épais feuillage. Charles fumait son cigare digestif, appuyé nonchalamment contre le tronc de l’arbre. Il avait abandonné sa veste qui lui tenait trop chaud et se trouvait en manches de chemise, roulées au niveau du coude.
Les vestiges du repas émaillaient la couverture, attirant une colonne de fourmis que Maximilien étudiait, la langue coincée entre les lèvres. Accroupi, son carnet à la main, il semblait dessiner ou prendre des notes de son écriture maladroite. Sa fidèle poupée serrée contre la poitrine, Madeline gambadait à quelques mètres de là, valsant au rythme d’une musique audible d’elle seule. Quand elle se lassa de sa propre compagnie, elle s’approcha de Maximilien pour jeter un coup d’œil par-dessus son épaule.
« Qu’est-ce que tu fais ?
— Cela ne te regarde pas », répondit-il.
Ils commencèrent à se chamailler sous le regard indulgent de leurs parents. Un gazouillis s’éleva du couffin d’osier posé à côté de Marie qui s’inclina vers son nourrisson. Le bras levé, Marceau serrait un minuscule poing revendicateur, puis il bâilla et ses yeux papillotèrent. Sa mère caressa le duvet qui couvrait le sommet de son crâne, rajusta son béguin blanc. Charles s’approcha d’elle pour l’enlacer, et ensemble, ils attendirent que l’enfant plongeât dans le sommeil, bercé par les voix enjouées de Maximilien et Madeline. Ces deux-là avaient fini par s’entendre et tentaient de s’amuser avec un jeu de raquettes. Maximilien tapait la balle toujours trop fort tandis que Madeline ne parvenait pas à coordonner ses gestes pour la renvoyer et passait plus de temps à courir derrière.
Le soleil mordait les joues des enfants qui commençaient à rougir. Marie les rappela auprès d’elle et ils s’empressèrent de rejoindre leurs parents, tout sourires. Madeline se rua sur un verre d’eau qu’elle vida en deux gorgées. Les cheveux bruns de Maximilien collaient à ses tempes, de la terre couvrait ses genoux. Pendant que Marie rajustait sa chemise, dont les pans dépassaient de sa culotte courte, il posa les yeux sur Marceau, profondément endormi, la main recroquevillée sous le menton, tel un petit penseur. Maximilien trouvait curieux de toujours le voir vêtu d’une robe claire, identique à celles que portait sa sœur dans ses lointains souvenirs.
« On dirait une fille, constata-t-il.
— Ne dis pas de sottises, fit son père. C’est un vrai petit gars, comme toi. Et vous deviendrez grands et forts, comme moi. »
Pour illustrer ses paroles, il bomba le torse, les mains sur les hanches, déclenchant ainsi l’hilarité de sa femme et de son fils.
« Et moi, je serai belle comme maman », ajouta fièrement Madeline.
De ses longs doigts de pianiste, Marie joua avec les boucles blondes de sa fille, qu’elle glissa ensuite derrière son oreille.
« Bien sûr, ma chérie. »
Une brise tiède se coulait entre les murs du jardin, se parant du parfum capiteux des rosiers de Damas, plantés le long du mur d’enceinte. Blottie contre Charles, Marie ferma les yeux pour écouter le pépiement des oiseaux qui se mêlait au babillage de Maximilien et Madeline.
Les pleurs de Marceau la tirèrent soudain de son demi-sommeil et elle se redressa vivement, prête à le consoler.
« Regarde-les », lui chuchota Charles en la retenant.
D’un côté du couffin, Maximilien multipliait les grimaces dans l’espoir de faire rire son frère. De l’autre, Madeline frottait le plus délicatement possible le ventre du bébé, imitant à la perfection sa mère. Les sanglots finirent par s’évanouir. Marceau, les yeux grand ouverts, fixait les deux têtes penchées au-dessus de lui, apparemment intrigué.
Marie serra la main de son mari et la porta contre son cœur gonflé d’amour pour ses enfants. Ils échangèrent un regard débordant de tendresse à l’égard de ce qu’ils avaient construit. Cette maison, ce jardin, et surtout ces bambins…
« Ils ont l’air si heureux, tous les trois, confia-t-elle à Charles. Quand ils grandiront, ils veilleront les uns sur les autres, cela ne fait aucun doute. »
Il l’embrassait sur la joue tandis qu’elle soufflait :
« Rien ni personne ne pourra les séparer. »
PREMIÈRE PARTIE
1
Maximilien
1906
Les rayons du soleil tombaient entre les branches et dessinaient des ombres en pointillés sur le sol. Leur chaleur enveloppait Maximilien, mais il ne pouvait s’empêcher de frissonner, saisi par un froid inexplicable. Il se sentait mal, pris de vertiges et d’une sensation d’étouffement accentuée par son col amidonné et son nœud de cravate qui l’étranglaient à moitié.
Dans sa main gauche, il serrait les doigts de Marceau. Ou plutôt, Marceau lui broyait les phalanges. Qui aurait pu croire qu’un gamin de neuf ans eût autant de force ? À ses côtés, Madeline tentait de faire bonne figure, le dos droit, les yeux baissés sur la fosse fraîchement creusée, mais ses joues luisaient des larmes qu’elle ne parvenait pas à retenir. Quant à leur père, il ressemblait à une statue de sel et son visage, durci par le chagrin, n’exprimait plus rien depuis qu’il avait vu le cercueil être mis en terre.
Marceau, qui avait péniblement reniflé pendant toute la cérémonie, éclata soudain en sanglots. Ses pleurs résonnèrent dans le cimetière et Maximilien sentit sa gorge se serrer en l’entendant hoqueter douloureusement et lutter pour reprendre son souffle.
« Faites-le taire, bon sang », s’agaça Charles.
Son regard noir tomba sur le garçonnet au visage défait, perdu dans des habits de deuil trop grands pour lui. Dans l’urgence, on l’avait habillé n’importe comment, avec une ancienne culotte et une veste de Maximilien. Madeline, digne dans sa robe teinte en noir, les yeux toujours humides, se pencha vers Marceau, lui glissa des mots doux et sortit un mouchoir de sa poche pour le rendre plus présentable. Rien n’y fit, Marceau ne se calma pas, comme s’il était dominé par son chagrin et ballotté par la tempête qui le saisissait.
« Tu n’es pas une fillette, n’est-ce pas ? lui demanda son père, d’une voix froide. Regarde ton frère. C’est un homme, il ne pleure pas… »
Mais à quel prix, songea Maximilien, le cœur lourd. Conscient de son statut d’aîné, il voulait paraître inébranlable, pourtant ses mains ne cessaient de trembler et une boule grossissait au fond de sa gorge, de plus en plus lancinante. Sa peine demeurait ancrée dans ses entrailles ; l’empêcher d’éclater s’avérait une lutte constante. Il refusait de laisser éclore sa colère naissante face à l’insensibilité de son père, ce père qui refusait à un enfant de pleurer sa mère. Lui-même ne parvenait pas à réaliser qu’elle était morte, emportée en quelques jours par une mauvaise grippe qui s’était aggravée en pneumonie aiguë. Il avait fallu si peu de temps pour que la femme enjouée et toujours souriante s’effaçât, transformée en une créature méconnaissable, à la maigreur inquiétante et au teint cireux. Elle s’était couchée, pensant être victime d’un mauvais rhume ; trois semaines plus tard, elle reposait éternellement six pieds sous terre.
Beaucoup de monde s’était rendu à l’enterrement ; les faces désolées avaient souligné l’affection que ces gens éprouvaient pour Marie Aupic. Puis, une fois la dernière prière déclamée, les dernières condoléances murmurées, tous s’étaient retirés, comme la marée descendante qui laisse place au vide. Il ne restait que Charles Aupic et ses enfants face à la béance qu’un fossoyeur comblerait bientôt.
Si seulement on pouvait faire de même avec les plaies du cœur, pensa Maximilien.
Bientôt, il y aurait là une simple dalle de marbre rose, ornée d’une sobre inscription dorée. Jusqu’alors, Maximilien n’avait jamais songé à la jeunesse de sa mère, née en pleine guerre de 1870 et morte avant d’avoir fêté ses quarante ans.
« Rentrons », murmura Charles avant de tourner les talons.
Toute la volonté de Maximilien fut nécessaire pour s’arracher au spectacle lugubre de la tombe. Il emboîta le pas à son père, suivi de Madeline qui tirait Marceau dans leur sillage. Tandis qu’ils traversaient les allées du cimetière de Montmartre, Maximilien promena son regard sur les stèles tordues, les mausolées aux pierres noircies et les monuments à la gloire d’hommes plus ou moins connus. De grands arbres ombrageaient les tombes et les couvraient de feuilles quand venait l’automne. Ce n’était pas leur jardin, mais l’idée qu’un pan de nature enveloppât la dernière demeure de sa mère le consola.
Une voiture les attendait devant le portail de l’entrée. Ils s’y entassèrent, le père sur une banquette, les trois enfants face à lui. Personne n’avait osé prendre place à ses côtés.
Marceau, coincé entre son frère et sa sœur, tentait de contenir ses larmes, mais il ne parvenait qu’à geindre, ce qui était pire que de l’entendre pleurer. Dans l’espace confiné, l’agacement de Charles devenait presque palpable ; ainsi Maximilien devina qu’il fallait vite calmer l’enfant avant que son père ne se fâchât pour de bon. Et cette fois, leur mère ne serait pas présente pour apaiser sa colère. Désemparé, il échangea un regard avec Madeline, visiblement aussi perdue que lui. Du haut de ses treize ans, elle était encore une enfant.
Le boulevard des Batignolles défilait à la fenêtre. Bientôt, ils déboucheraient sur celui de Courcelles et longeraient le parc Monceau où ils s’étaient souvent promenés en compagnie de leur mère. La rivière, le pont, la cascade et les grottes servaient leurs jeux quand ils s’imaginaient être de grands explorateurs. Maximilien se souvint que plus jeune, il adorait inventer des histoires qu’il narrait à Marceau pour l’endormir. Ils se serraient dans le même lit et modelaient les aventures improbables d’un chevalier ou d’un pirate. En entrant dans l’adolescence, Maximilien s’était éloigné de cet univers qu’il jugeait trop puéril. C’était peut-être le bon moment pour renouer avec sa prime jeunesse. Il se pencha vers l’oreille de Marceau et lui chuchota un récit rocambolesque. Madeline inclina la tête vers eux pour ne pas en perdre une miette. Réunis par les murmures fraternels, ils ressemblaient à d’étranges conspirateurs. Face à eux, Charles demeurait impassible, bras croisés sur la poitrine, emmuré dans sa nouvelle solitude.
La voiture franchit enfin le portail ouvragé de la villa Aupic et s’arrêta devant le perron où les attendait le majordome. Il arborait un brassard noir sur son uniforme, tout comme les autres domestiques. Le deuil éclatait partout à la figure de Maximilien qui aurait voulu courir s’enfermer dans sa chambre pour ne plus en sortir. Seulement, il fallait s’occuper de Marceau et de Madeline, d’autant plus que leur père paraissait évoluer dans un tout autre monde, un monde dans lequel ses enfants existaient à peine depuis la mort de sa femme.
Un à un, ils quittèrent la banquette sur laquelle ils s’étaient serrés et s’éparpillèrent dans la maison. Maximilien marqua un temps d’arrêt dans le vestibule. D’ordinaire, de gigantesques compositions florales posées sur des sellettes accueillaient les visiteurs par des explosions colorées. Au gré des saisons, dans toutes les pièces se déployaient des régiments de lilas, d’œillets ou d’iris. Quand le jardin se montrait généreux, les roses garnissaient la table de la salle à manger et les chambres de chacun. Les vases de l’entrée ne contenaient dorénavant plus rien. Pas plus que ceux du salon de réception où le jeune homme pénétra à pas lents, comme s’il découvrait cet intérieur. Sa mère ne jurait que par la simplicité élégante du Petit Trianon de Versailles, dont elle ne cessait de vanter le bon goût. Elle y avait puisé sans vergogne ses idées pour décorer l’intérieur de la villa. Des lambris blancs délicatement ornementés couvraient les murs, offrant un bel écrin au mobilier ancien soigneusement sélectionné chez les meilleurs antiquaires de Paris. Dans le salon, un rouge profond dominait grâce aux lourds rideaux et aux soieries des bergères et du canapé de style Louis xv – ou Louis xvi, Maximilien ne savait plus. En revanche, il se souvenait du nom donné à la couleur. Sang de bœuf. Il en eut la nausée et quitta la pièce. Sans les fleurs, les lieux semblaient avoir perdu leur âme. Rien n’avait vraiment changé. Les meubles, les tableaux, les bibelots étaient les mêmes, et pourtant, tout lui paraissait terne, comme si un voile de fumée lui couvrait les yeux.
Dans la salle à manger, les domestiques accomplissaient leurs tâches quotidiennes sans broncher. Le malheur ne pouvait pas interférer avec leur travail. Il fallait préparer le souper, dresser la table, faire le service. Maximilien ferma les yeux et prit une longue inspiration pour se donner le courage d’affronter la fin de cette horrible journée. Tout ce qu’il désirait, c’était se jeter sur son lit, plonger le nez dans un oreiller et hurler de toutes ses forces. Mais pour son père, son frère et sa sœur, il faisait bonne figure. Il faillit fondre en larmes en découvrant les quatre assiettes sur la nappe immaculée et la place de leur mère, à présent vide.
Derrière lui, le pas lourd de Marceau l’obligea à se ressaisir. Il se racla la gorge, envoya le garçonnet se laver les mains, puis attendit que toute la famille se rassemblât. Madeline le rejoignit, les yeux bouffis et le teint froissé. Charles les surprit en apparaissant passablement débraillé. Il ne portait pas de veste ni de cravate, seulement son gilet déboutonné ; ses cheveux pendaient sur son front. Sans son maintien sévère habituel, Maximilien l’aurait cru complètement saoul. Et de fait, des effluves d’alcool émanaient de lui, comme s’il avait voulu se noyer dans l’ivresse.
Dès que leur père se fut assis, Maximilien, Madeline et Marceau l’imitèrent. On leur servit aussitôt un potage. Les talents culinaires de la cuisinière échouèrent à égayer cette morne assemblée. Tout avait un goût de cendre dans la bouche de Maximilien, mais il se forçait à avaler chaque cuillérée pour montrer l’exemple à Marceau. Celui-ci touillait sa soupe sans manger, l’esprit visiblement absent. Maximilien tourna les yeux vers son père, redoutant sa réaction. Charles avait beau être un homme aimant, il se montrait parfois très strict avec ses enfants. L’adolescent se demanda ce que deviendrait leur éducation sans les tendres médiations de leur mère. Charles ne dit rien. D’ailleurs, personne ne parlait, pas même Madeline. C’était la première fois que Maximilien faisait l’expérience d’un tel silence. Un silence presque palpable. Un silence dense, étouffant, une sorte de créature lugubre bien décidée à prendre possession des lieux.
2
Madeline
1910
Lorsque Émilie, la femme de chambre, signala sa présence d’un léger coup donné à sa porte, Madeline venait de se lever et s’apprêtait à choisir une tenue pour la journée. Sous l’impulsion d’une amie du pensionnat, elle était devenue une fervente lectrice de La Mode illustrée, une revue riche d’enseignements sur l’élégance et le bon goût. Madeline s’y fiait aveuglément pour se constituer une nouvelle garde-robe, plus en accord avec la femme qu’elle se sentait devenir du haut de ses dix-sept ans. Adieu les robes courtes et enfantines à la ceinture flottante, garnies de rubans et confectionnées dans des tissus sans éclat ! Désormais, elle portait des coupes plus avantageuses pour sa silhouette, avec la taille bien prise et des
