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Face au doute : une vérité qui libère
Face au doute : une vérité qui libère
Face au doute : une vérité qui libère
Livre électronique614 pages8 heuresFace au doute : une vérité qui libère

Face au doute : une vérité qui libère

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À propos de ce livre électronique

Pour actualiser les raisons de croire et la façon de témoigner de la Bonne Nouvelle, l’auteur choisit d’étudier les Écritures : que disentelles de Dieu? De quoi l’humanité seraitelle sauvée? Il met l’accent sur la continuité entre les deux Testaments.
Après avoir interrogé le concept de vérité révélée, ce premier tome explore l’histoire d’Israël et dégage l’essentiel de la foi juive dont Jésus est l’héritier. Il dresse le portrait de l’homme de Nazareth et présente son message. Il montre ensuite comment ses disciples, après sa mort, sont passés de l’anéantissement à la foi, et ont initié un courant au sein du judaïsme, qui est devenu plus tard le christianisme. Cette première étape prend fin avec la destruction du Temple de Jérusalem en l’an 70.
L’auteur s’intéresse aux origines de cette foi nouvelle : quels textes du Premier Testament ont permis de saisir la vie et la mort de Jésus? Que disent les premiers écrits chrétiens, ceux de Paul et ceux qui l’ont précédé?

À PROPOS DE L'AUTRICE 

Au terme de sa carrière d'ingénieur, Claude Laval a étudié la théologie. Il a été le président du Centre Théologique de Meylan (Isère) et a tiré parti de la bibliothèque de ce lieu pour nourrir amplement sa réflexion. Chrétien engagé et préoccupé par la vérité de la foi, il témoigne de sa quête à la lumière des Ecritures et invite le lecteur à faire de même.
LangueFrançais
ÉditeurSaint-Léger Editions
Date de sortie5 nov. 2025
ISBN9782385225100
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    Aperçu du livre

    Face au doute - Claude Laval

    Page de titre

    Claude Laval

    Face au doute :

    une vérité qui libère

    Tome 1

    Tradition juive

    et naissance du christianisme

    Avertissement aux lecteurs

    AVERTISSEMENT AUX LECTEURS

    Plutôt qu’un ouvrage de théologie, ce livre est le témoignage d’un chrétien en quête de vérité qui lit les Écritures de façon originale, personnelle. Son chemin de foi, marqué par Taizé et la Communauté du Chemin Neuf, l’a ouvert à la pensée de chrétiens d’autres traditions. Ses études théologiques lui ont fait découvrir le lien vital entre judaïsme et christianisme dans l’esprit de l’encyclique Nostra Aetate. En s’appuyant sur les écrits de nombreux auteurs reconnus – historiens et théologiens catholiques, protestants et juifs –, il propose des réflexions parfois déroutantes pour certains catholiques attachés à la Tradition. Il conclut son ouvrage par un épilogue dans lequel, en tant que catholique engagé, il ose une critique de certains aspects du fonctionnement de l’Église, portée par le désir qu’elle puisse mieux rejoindre celles et ceux qui n’y trouvent plus leur place. Une démarche parfois déconcertante, à accueillir avec discernement.

    Dédicace et remerciements

    En hommage à mes parents

    qui m’ont enseigné l’importance de lire pour s’élever.

    Pour tous ceux que j’aime.

    Je pense en particulier à mes trois enfants

    et sept petits-enfants.

    Je tiens à remercier chaleureusement

    les nombreux amis qui m’ont encouragé

    et plus encore ceux qui m’ont épaulé

    en relisant tout ou partie de mon texte

    et en me partageant leurs réactions.

    Je pense notamment à Blandine et Francis,

    et aussi à Anne-Cécile, Antoine, Claude, Bertrand,

    Bruno, Dominique, Élisabeth, Françoise,

    Fred, Guy, Lisa, Myriam, Paule,

    à trois Philippe et à Roselyne.

    Citations

    « Qu’est-ce que la vérité ? »

    (Jean 18,38)

    « Vous me chercherez du fond de vous-mêmes et je me laisserai trouver par vous – oracle du Seigneur. »

    (Jérémie 29,13)

    « Ainsi la sagesse pénétrera ton cœur

    Et la connaissance fera tes délices. »

    (Proverbes 2,10)

    Introduction

    « Dans le cœur de l’homme, habite un souci constant de la vérité, dans la recherche du sens qui corresponde à la raison et qui soutienne l’existence sur la terre » (François Delarue)¹. Pour ma part, je reconnais avoir hérité de mon éducation un sens aigu de la vérité dans sa dimension morale, mais c’est grâce à la philosophie que j’ai pu appréhender toute la richesse de ce concept.

    Quelques rudiments de théologie ont suffi pour ébranler mes certitudes, en dévoilant la fragilité d’un certain discours chrétien dans lequel l’apologie domine. Je suis bien conscient que ce doute n’a rien d’original. Pour autant, je n’ai pas envie de quitter la barque de l’Église car, par expérience, au plus profond de moi, j’ai la conviction qu’il y a là un trésor à protéger. Je reconnais volontiers que la foi est d’abord de l’ordre de la confiance, mais l’honnêteté intellectuelle et la rigueur rationnelle qui m’habitent ne me permettent plus d’en rester à des affirmations approximatives ou infondées, et encore moins d’accepter des incohérences. Cela m’a incité à me lancer dans une quête personnelle de vérité.

    J’ai pleinement conscience que la foi ne découle pas fondamentalement d’une approche rationnelle. Je crois que « Dieu est ! » : les merveilles insondables de sa création en témoignent (Ps 19,2) et bien que cela ne prouve rien, cela me suffit. Plus important, « Dieu est » signifie que si quelque chose a évolué au fil du temps, c’est la perception et la compréhension que les humains s’en font, mais pas Dieu lui-même. En d’autres termes, le Dieu de Jésus, c’est le Dieu d’Israël, ni plus ni moins : Il n’est pas devenu « trinitaire » ! Il s’est révélé à l’humanité par étapes ; dans ce processus de révélation, Jésus a joué un rôle central, mais ce processus a commencé avant lui et se poursuit encore aujourd’hui, sous l’action de l’Esprit.

    Les énoncés dogmatiques sont utiles pour expliciter la foi, mais ils ne peuvent la résumer entièrement ; en effet, la foi est avant tout relation avec le « Tout-Autre », qui se révèle à chacun de façon singulière. Plus que la force de persuasion du discours chrétien, je reconnais celle du témoignage de tant de vies données et de l’engagement de tant de chrétiens, au nom de Dieu. Cela fonde ma foi d’aujourd’hui. J’interprète ces témoignages à la lumière de ma propre expérience de rencontre avec Dieu, indicible, mais qui m’a donné depuis lors confiance en Lui.

    En outre, j’adhère volontiers à la logique de Gamaliel au sujet de la foi des disciples de Jésus, rapportée par Luc dans les Actes des Apôtres : « Si c’est des hommes en effet que vient leur résolution ou leur entreprise, elle disparaîtra d’elle-même ; si c’est de Dieu, vous ne pourrez pas les faire disparaître. N’allez pas risquer de vous trouver en guerre avec Dieu ! » (Ac 5,38-39).

    Pour toutes ces raisons, l’existence de Dieu est mon premier postulat. Le second concerne les Écritures : je crois que Dieu se révèle par sa parole, contenue dans les écrits bibliques qui reflètent le lent travail de rapprochement de Dieu avec l’humanité, et ce qu’il est convenu d’appeler « l’histoire du salut » – le déroulement dans le temps du dessein de Dieu². Je considère les Écritures comme un rempart contre la superstition qui est le risque d’une « foi du cœur » fondée trop exclusivement sur les émotions, les « mouvements de l’âme » ; et aussi, elles guident le travail de la raison et protègent le lecteur contre les excès de la spéculation et de l’imagination. De nouveau, cette conviction repose sur mon expérience personnelle du rapport aux Écritures. Les chapitres qui suivent offrent un florilège de citations bibliques pour donner au lecteur de goûter la richesse de cette parole.

    Pour autant, j’admets que les certitudes qui m’habitent, celle de l’existence de Dieu en particulier, sont en partie le fruit de mon éducation et de ma culture. Je reconnais que beaucoup aujourd’hui ne la partagent pas et je respecte leur position. Parce que ces postulats fondent la réflexion qui suit, je les invite à faire preuve d’une ouverture similaire pour les accepter le temps de la lecture de cet ouvrage afin de pouvoir en saisir le sens.

    Je ne remets donc pas en question le bien-fondé de la foi chrétienne, sa source et son cœur, mais j’interroge son expression, la construction intellectuelle, l’enveloppe qui masque et obscurcit son mystère, et d’une certaine façon en interdit l’accès.

    Ni écrivain, ni théologien, je ne prétends être qu’un « chercheur de Dieu » ordinaire, sans référence ni titre de noblesse. Cet écrit est davantage un recueil de réflexions et de notes de lectures qu’un ouvrage bien ficelé avec une thèse révolutionnaire ; son originalité réside dans la façon d’aborder les Écritures, celle d’un lecteur critique qui tente de les analyser en les rapprochant des informations trouvées dans les livres d’histoire et d’exégèse. En replaçant les écrits dans leur contexte historique, cette approche permet de saisir au mieux ce que leurs auteurs ont voulu dire.

    J’ai choisi de privilégier l’étude de ce qui constitue le cœur doctrinal de la foi chrétienne : que peut-on dire de Dieu, à part qu’il est le « Tout-Autre » ? Qui est ce Jésus de Nazareth ? Quelle est cette action de Dieu en faveur de l’humanité qu’on désigne par le terme de « salut » ? Grâce à ce choix restrictif, il est possible de creuser davantage, par exemple pour mettre en lumière les écarts sur un sujet donné entre différents écrits et les évolutions au fil du temps des positions exprimées à partir de ce que l’on connaît du message de Jésus. Pour cette raison, la dimension éthique de la foi chrétienne ne sera qu’effleurée et la dimension spirituelle et mystique sera laissée de côté, bien que ces dimensions soient des composantes indispensables de la vie chrétienne.

    Plutôt que de travailler à partir du catéchisme officiel de l’Église catholique, ce qui m’a passionné, c’est de rechercher, à la manière d’un archéologue, l’origine des affirmations initiales des tout premiers chrétiens – ce qui a fondé leur foi : les paroles de Jésus ou les passages des Écritures qui leur ont fourni les clés de compréhension de l’événement Jésus. Pourtant, je suis conscient que cette recherche, comme toute recherche historique, ne peut apporter de certitudes. Et surtout elle révèle ce qui caractérise la foi, à savoir l’absence de preuves et la fragilité des points d’appui qui ont permis à nos prédécesseurs dans la foi de progresser et de tenir.

    Il ne s’agit pas dans cet ouvrage de mener des débats qui présenteraient sur chaque sujet les points de vue autorisés, les compareraient et proposeraient une réponse consensuelle, et encore moins d’instruire un procès pour juger le plus rationnellement possible qui a raison et qui a tort. Non, mon intention se limite à l’exposé des idées, des convictions qui m’habitent, celles que j’ai retenues des quelques lectures que j’ai faites, conscient que je suis très loin d’avoir épuisé les sujets abordés et que donc il me reste de l’espace pour évoluer encore, après l’écriture de ce livre. Je ne cherche ni à tenir des propos originaux, ni à me justifier, ce qui m’obligerait à contredire d’autres façons de penser les choses. Je me contente de partager ce qui me tient à cœur, « ce que je crois » : derrière cette expression résolument à la première personne, il y a bien sûr ce qui est de l’ordre de la foi, de « ma » foi ; il y a aussi ce qui est de l’ordre de la connaissance, c’est-à-dire ce que je crois savoir.

    « Oui, si tu fais appel à l’intelligence, si tu invoques la raison, si tu la recherches comme l’argent, si tu creuses comme un chercheur de trésor, alors tu comprendras la crainte du Seigneur, tu découvriras la connaissance de Dieu. Car c’est le Seigneur qui donne la sagesse ; connaissance et raison sortent de sa bouche » (Pr 2,3-6).


    1Cité dans l’ouvrage de Michel SIGGEN et al., Qu’est-ce que la vérité ?, p. 96.

    2 Le schème du « dessein de Dieu » dit la gratuité du don et son antériorité sur toute action humaine ; il dit aussi la rationalité de l’action divine « de toute éternité », sa cohérence et son unicité, et le sens de l’histoire. Il s’oppose à l’idée de hasard ou de nécessité en Dieu (Louis PANIER, Écriture et Révélation, p. 59).

    Prologue

    Qu’est-ce que la vérité ?

    Cette première partie vise à établir le lien entre vérité au sens philosophique et vérité théologique, et conjointement à mettre en lumière ce qui les distingue. La philosophie, ici, est à prendre au sens aristotélicien : elle inclut la science. La théologie concerne tous les discours sur Dieu : nous nous intéresserons au concept général des croyances et des religions avant de converger sur le sens de ce terme dans le cas particulier du christianisme. Enfin, dans une troisième section, nous réfléchirons au lien entre liberté et vérité.

    A. VÉRITÉ PHILOSOPHIQUE

    ³

    De quelles vérités parle-t-on ici ?

    Dans la vie de tous les jours, la vérité intervient, lorsque nous voulons distinguer le vrai du faux : est vraie la parole conforme au réel. La vérité fonde la confiance nécessaire aux relations interpersonnelles. Au-delà des situations concrètes, triviales, du quotidien, les philosophes se sont intéressés à de multiples « objets » : la justice, la liberté, le bonheur, le désir, la volonté, l’égalité, la vie et la mort, etc. Bien sûr, le concept de vérité fait partie de cette longue liste.

    La philosophie d’Aristote couvrait tous les champs de la connaissance ; elle incluait ce qu’on désigne aujourd’hui par les sciences, les mathématiques, la géométrie et la physique et s’ouvrait à ce qui est au-delà de la physique, du réel et que ses successeurs ont appelé la métaphysique. Aujourd’hui, on peut classer les vérités philosophiques en trois grandes catégories :

    – Les « vérités logiques », construites sur des raisonnements abstraits : c’est le domaine privilégié, par exemple, des mathématiques et de la philosophie systémique.

    – Les « vérités scientifiques ou expérimentales » qui concernent le monde concret et sont le produit de démarches scientifiques objectives : la physique et les sciences sociales en sont de bons exemples.

    – Les « vérités révélées », liées aux religions : elles reposent sur des intuitions ou des convictions personnelles. Elles partagent certaines caractéristiques des deux catégories précédentes, mais présentent des particularités que nous traiterons dans la section suivante sur la vérité théologique.

    La vérité comme objet de recherche

    Selon Aristote, la philosophie est l’amour et la recherche de la vérité. L’intérêt des philosophes pour le concept de vérité tient justement au fait que celui-ci est difficile à cerner, presque insaisissable. Si l’on savait ce qu’est la vérité, on n’aurait pas besoin de la rechercher : c’est ce que nous dit Platon dans le Ménon. En effet, pour ce philosophe grec, le vrai n’est pas du tout un donné ; le vrai est l’objet d’une quête constante⁴. Descartes encourage chacun à appréhender la vérité dans ce qu’elle a de difficile, à cause de nos opinions, nos croyances, dont il faut se débarrasser⁵.

    « S’il n’y avait pas de vérité, il ne serait pas vrai qu’il n’y a pas de vérité » (Lu sur un mur)⁶.

    Au-delà de cette formule qui fait sourire, il y a l’affirmation que la vérité existe. Pourtant, la vérité est plus un objet de recherche qu’une connaissance immédiatement accessible. Il y a même des domaines où nous ne serons jamais certains de l’atteindre, et des situations pour lesquelles il n’existe pas une seule vérité.

    « Il est difficile de dire la vérité, car il n’y en a qu’une, mais elle est vivante, et a par conséquent un visage changeant » (Franz Kafka)⁷.

    Retenons de ce propos liminaire que l’accès à la vérité requiert souvent un véritable effort et postulons que la vérité philosophique est surtout un chemin de progrès, une éthique de vie qui implique aussi de savoir douter, de savoir se remettre en question.

    « Croyez ceux qui cherchent la vérité, doutez de ceux qui la trouvent. » (André Gide)

    Et ajoutons que cette recherche est motivée par le plaisir d’étudier et de connaître le « vrai » tel qu’il est : c’est ce qu’écrit Platon dans la République ⁸. Les plaisirs intellectuels sont supérieurs à tous les autres plaisirs, parce qu’ils sont plus stables et plus purs, plus durables et sans risque d’être mêlés à la douleur qui accompagne les faux-plaisirs qui ne sont qu’illusion⁹. Aristote parle de « la joie violente » ressentie par l’individu dans la connaissance du fonctionnement du monde.

    La vérité, conformité du discours au réel

    Aristote a défini la vérité comme l’adéquation entre le discours et la réalité : il s’agit de dire ce qui est. Les philosophes veulent appréhender l’essence des choses.

    Michel Siggen explique que, dans la science moderne, deux critères sont pris en compte pour déterminer ce qui est vrai : « la cohérence logique et la testabilité par l’expérience »¹⁰ : en termes plus simples, la vérité scientifique est établie par la démonstration ou l’observation.

    En dehors du champ de la science, il est parfois difficile de voir les choses telles qu’elles sont ou d’appréhender la complexité de la réalité. Et il n’est pas toujours possible d’observer le réel pour vérifier le discours ; il ne reste alors que la qualité du discours pour attester de sa véracité, par exemple sa cohérence – en particulier l’absence de contradiction – et sa clarté, ou la solidité de son argumentation.

    La confiance comme fondement

    de la vérité

    La vérité passe par le discours d’un individu qui le tient : elle dépend de sa sincérité qui caractérise l’intention de son discours et de sa lucidité qui détermine la conformité au réel. Par ailleurs, elle repose sur la confiance qu’accorde celui qui reçoit ce discours dans celui qui parle : le soupçon en sape la crédibilité et le transforme en l’expression d’une opinion ou pire d’un mensonge.

    La dimension relationnelle est fondamentale pour établir la confiance indispensable à l’expression de la vérité ; à l’inverse, le mensonge détruit la confiance indispensable à la vie relationnelle et sociale. C’est ce que décrit le récit du troisième chapitre du Livre de la Genèse, dans lequel le serpent séduit Ève et Adam et parvient à leur faire manger le fruit défendu : le serpent symbolise le mal qui passe par le mensonge, à la fois manipulation et dissimulation.

    Jean-Paul Guitton affirme qu’un mensonge, s’il est prononcé plus de cinquante fois, n’est plus un mensonge. De nos jours, prononcé cinquante mille fois, il est plus qu’une vérité, il devient une loi. En fait, la répétition ne fonde en rien la vérité. Les menteurs invétérés sont habiles : le mensonge le plus efficace est celui qui est distillé à petites doses dans un substrat de vérités communément admises ! Les effets ravageurs du mensonge ne concernent pas que ceux qui les reçoivent ; il détruit également celui qui les profère : l’individu, à force de mentir, en vient à se tromper lui-même.

    « Le mélange de vrai et de faux est énormément plus toxique que le faux pur. » (Paul Valéry)

    De façon plus subtile, le discours peut être utilisé pour convaincre en manipulant son interlocuteur : la rhétorique en l’étourdissant, la polémique en le niant, mais aussi l’apologie en lui présentant une vue biaisée des choses qui fait la part belle à une position et refuse de considérer les arguments qui lui seraient défavorables. À l’extrême, il y a la propagande qui cherche à imposer une vérité parallèle.

    La rhétorique est une arme qui peut servir le bien – la vérité – et le mal : elle est utilisée pour la polémique et aussi pour l’apologie. Dans le film Ridicule de Patrick Leconte (1996), l’Abbé de Villecourt démontre brillamment l’existence de Dieu pour mieux signaler, à la fin, qu’il pourrait démontrer l’inverse : cet exemple caricatural illustre le caractère ambigu de la rhétorique, qui peut se réduire à l’art de débattre de quelque chose qui n’est au service de rien¹¹.

    Albert Camus, en avril 1955, à l’occasion d’une conférence à Athènes sur l’avenir de la civilisation européenne, met en avant le « courage de la nuance » et dénonce le recours à la polémique : « Quel est le mécanisme de la polémique ? Elle consiste à considérer l’adversaire en ennemi, à le simplifier par conséquent et à refuser de le voir ». Ce n’est pas le cas dans la disputatio – le débat d’arguments entre deux ou plusieurs interlocuteurs devant un auditoire, car alors, il y a un « adversaire » : vous avez un point de vue adverse, et donc vous reconnaissez l’autre.

    Quant à l’apologie, son caractère orienté, la certitude d’avoir raison et la volonté de convaincre à tout prix, en dépit des meilleures intentions, ne garantissent pas la vérité, ni le respect de la liberté du ou des interlocuteurs.

    Encore plus subtil, le malentendu est la forme minimaliste du mensonge : l’intention première n’est pas de tromper, mais si le malentendu n’est pas dissipé quand il est perçu, alors il y a mensonge¹².

    Si la sincérité est indispensable dans la manifestation de la vérité, elle ne garantit pas l’accès à la vérité. En effet, l’individu sincère est celui qui dit la vérité, telle qu’il la saisit, complètement et sans la déformer, mais cette vérité a potentiellement une dimension subjective, au moins inconsciente. Cette observation ouvre la voie à l’idée que l’individu n’a pas toujours accès à « la » vérité, objective et complète : la vérité est au-delà de lui-même.

    De plus, plusieurs penseurs ont interrogé le rapport entre sincérité et vérité. Freud, dans son Introduction à la psychanalyse, a écrit qu’avec des mots, on peut tuer son semblable tout comme on peut le guérir. Il en conclut que la vérité est ce qui est vrai et juste dans un contexte et moment, pour une personne et dans un lieu donné. Vladimir Jankélévitch a souligné le paradoxe qu’on ne peut pas être sincère sans être un peu menteur. Pour lui, ce qui importe dans la sincérité, c’est le rapport à l’amour. Être sincère, c’est une manière d’aimer l’autre, d’être intégralement présent à l’autre. Être sincère ce n’est pas dire la vérité : dans une relation d’amour, on peut s’affranchir de l’exactitude, de la précision du langage. Et surtout, on ne dit pas la vérité à ceux qui ne le méritent pas, à ceux qui font un mauvais usage de la vérité¹³. Ce propos paradoxal semble occulter la dimension mortifère du mensonge : sans doute ne concerne-t-il que des situations extrêmes. Dans les relations courantes, il s’agit plutôt de déterminer quelle part de la vérité doit être partagée en fonction de l’interlocuteur et des circonstances.

    Il revient à celui qui reçoit le discours de l’accepter ou de le refuser en tant que vérité, donc de croire ou non à ce qui est énoncé. Ici, il ne faut pas limiter le sens du mot « croire » à celui, étroit et contraire à la notion d’esprit critique, de l’adhésion à une thèse ou une hypothèse indépendamment des faits, ou de l’absence de faits, pour la confirmer. La croyance est aussi l’assentiment à ce qui est démontré : ce type de croyance permet d’échapper au scepticisme qui est une impasse. Le mot « croyance » est polysémique : en fonction de la solidité du discours, le statut de la croyance peut aller du préjugé, voire de l’illusion, à celui de certitude, en passant par celui de conjecture et celui de conviction.

    Le risque de se tromper

    Pour autant, le soupçon attaché au terme de croyance trouve ses racines dans des expériences concrètes. Il faut bien reconnaître que la croyance n’est pas toujours associée à une vérité établie de manière rationnelle : d’ailleurs, elle n’a pas besoin de vérité pour se développer. Elle peut prendre l’apparence d’un savoir ! Daniel Kunth nous fournit deux exemples emblématiques de telles croyances profondément ancrées alors qu’une approche rationnelle en a démontré l’inexactitude¹⁴ : l’INRA a prouvé qu’il n’y avait aucune influence de la lune sur les plantations en dépit du fait que de nombreux jardiniers restent convaincus du contraire. Et aussi, la croyance que les femmes accouchent davantage les jours de pleine lune est contredite par les faits, ce que confirme l’INSERM.

    Dans le Discours de la Méthode, Descartes met en lumière tous les obstacles à la connaissance, toujours fragile et précaire. Il met en avant les risques d’erreur liés à nos sens : c’est le cas bien connu des illusions d’optique ou auditives ; plus généralement, notre perception de la réalité peut être biaisée. Il reprend la critique platonicienne de l’opinion, cette idée partagée par le plus grand nombre, même quand elle n’est pas fondée : il recommande de vérifier les informations reçues, de se méfier des rumeurs et des déclarations non justifiées.

    Les sciences humaines mettent en évidence les biais cognitifs qui entravent notre objectivité. Monique Canto-Sperber cite Platon pour affirmer que vérité et désir sont liés : le désir de la vérité est très puissant. Mais elle conseille de rester vigilant sur l’origine de ces désirs, car si la volonté de vérité exalte l’être humain, elle est pétrie de désirs à l’égard de soi, d’emprise sur l’autre¹⁵. Autre exemple emprunté à Étienne Klein : « la tendance à accorder davantage de crédit aux thèses qui nous plaisent qu’à celles qui nous déplaisent, avec le risque de prendre nos désirs pour des réalités et de mettre de côté les arguments qui viendraient à nous démentir ». Cet auteur dénonce également « la sensibilité aux arguments d’autorité, qui ne peuvent être discutés parce qu’ils viennent de tel ou tel maître ou gourou »¹⁶.

    Dans les Essais sur la théorie de la science, Max Weber avertit que la meilleure façon de contaminer le processus de connaissance, c’est de laisser son désir contaminer son croire. Il ne faut pas pour autant renoncer à tout élan d’objectivité. C’est ce que vise la méthode scientifique qui propose des modèles qui sont classés du point de vue de leur probabilité de vérité, sans jamais l’atteindre. Le plus grand risque est de prendre nos désirs pour des réalités, et donc de choisir uniquement les données qui vont dans le sens de nos attentes¹⁷.

    Ricoeur défend l’idée que la philosophie a toujours été une lutte pour la clarté, pour la clarification, pour la cohérence. Pourtant la vérité philosophique dépend largement du langage, qui n’est pas indemne d’ambiguïté et génère des pièges. D’autre part, des discours logiques que formulent les philosophes ne sont que des constructions basées sur des concepts et des idées abstraites : la cohérence apparente des raisonnements ne garantit pas que la théorie qui en découle corresponde bien à la réalité. Au cours de l’histoire, certaines théories retenues par les philosophes ont dû être abandonnées : ainsi, comme nous le verrons plus loin¹⁸, les célèbres démonstrations de l’existence de Dieu ont été réfutées par Kant.

    La vérité scientifique est provisoire

    On est tenté de considérer que la science est indemne des dérives de la philosophie moderne. Il n’en est rien ! Dans les deux domaines, des théories sont élaborées pour tenter d’expliquer une réalité qui dépasse notre compréhension, mais elles sont régulièrement remises en cause pour mieux prendre en compte l’état des connaissances qui ne cesse de progresser. La physique nous fournit deux exemples de ces évolutions : la structure de l’atome et l’espace-temps. Dans ces situations, la « vérité » scientifique est une construction provisoire et plausible, qui permet au mieux d’expliquer ce qui est connu, mais elle ne peut pas prétendre décrire la réalité dans sa totalité. Comme en philosophie, une vérité scientifique est échafaudée à partir de postulats et d’hypothèses qu’il n’est pas toujours possible de vérifier. Certaines « vérités de science » ont dû être abandonnées, ce qui montre qu’elles ne sont ni absolues ni définitives : Étienne Klein cite l’exemple de « la théorie du phlogistique, qui postulait au xviie siècle que la combustion d’un corps consistait en l’émission par ce corps d’un fluide, le phlogiston ; cette théorie a été invalidée par Lavoisier au xviiie siècle »¹⁹.

    À l’occasion de la Fête de la science, en octobre 2018, Jean-Claude Ameisen partageait sa conception de la vérité : « Dans les sciences, la vérité n’est jamais atteinte : la connaissance est datée et rend compte des derniers travaux pour approcher au mieux, à un moment donné, de la réalité dans un domaine. Ces résultats peuvent toujours être remis en cause… La recherche est toujours inaboutie, parce que l’on croit à la recherche de demain, à la possibilité de découvrir de nouvelles connaissances dans l’avenir »²⁰.

    Michel Siggen explique que Galilée concevait les lois de la physique mathématique moderne comme le reflet des lois de l’intelligence divine, celles que Dieu a imposées à la nature, dira Newton. Cette conception s’est effondrée avec le progrès scientifique. On ne dit plus qu’une théorie est « vraie », mais seulement qu’elle est « meilleure qu’une autre ». Le physicien doit reconnaître aujourd’hui que la méthode scientifique ne peut pas atteindre la vérité, car il ne connaît la réalité qu’indirectement. La réalité est tellement complexe qu’au mieux il parvient à s’en rapprocher, en élaborant des théories qui, par ce qu’il croit être la réalité, sont de plus en plus proches. Il s’en approche en tournant autour, en la cernant²¹. Cette démarche itérative, pas à pas, pour faire face à la complexité de l’objet étudié, a conduit Anne Duthilleul à suggérer le parallèle entre science et métaphysique : en effet, Thomas d’Aquin proposait d’approcher la réalité par des formulations contradictoires mais complémentaires²².

    Les théories scientifiques évoluent dans le temps, mais elles convergent vers la réalité qui garantit qu’elles ne se perdent pas dans des querelles stériles. Ces évolutions font progresser la connaissance de l’humanité, même si la prudence et l’humilité restent de mise devant la complexité de l’univers.

    Pourtant la science s’est parfois laissé égarer : il n’est pas toujours facile au chercheur de rester impartial et rigoureux, et de résister aux attentes des uns, aux intérêts des autres. Ce fut le cas, par exemple, après la crise du pétrole en 1973, de la découverte des « avions renifleurs » pour détecter des gisements, et encore, en 1988, de celle de la « mémoire de l’eau » pour attester l’efficacité de l’homéopathie²³. Ces situations marginales ne doivent pas être généralisées, mais elles sont emblématiques du risque pour l’esprit humain de se créer ses propres vérités ; cela vaut pour la science, comme pour les autres domaines de la philosophie.

    La démarche philosophique

    Le philosophe est en quête permanente de vérité. Pour cela, il s’appuie sur le raisonnement, la démonstration et la preuve, avec prudence, car il sait mieux que tout autre qu’il n’y a jamais de preuve absolue et définitive. Il fait l’effort de clarifier le vocabulaire qu’il utilise, de formuler les hypothèses qui sous-tendent son discours. Par l’analyse critique, il s’affranchit des pseudo-vérités qui le précèdent : c’est ce que nous dit Kant dans la Critique de la Raison Pure. Ce grand philosophe ajoute qu’avant de produire de la vérité, il faut interroger le chemin emprunté pour accéder à cette vérité : d’où parlons-nous ? à partir du sensible, de l’intellect… ?²⁴

    Le philosophe ne craint pas le débat ; au contraire, il le recherche parce que le débat provoque la pensée, force à expliciter les certitudes, à en creuser les fondements et ainsi les déplace, les enrichit et les fortifie. Un des moyens pour parvenir au vrai est, selon Platon, la réfutation, dans le dialogue²⁵.

    Le philosophe s’engage sur un chemin qui le mène en territoire inconnu : pour y découvrir la nouveauté, il accepte la solitude et prend le risque de penser par lui-même, à nouveaux frais. Cela l’oblige à mettre à plat toutes ses idées²⁶.

    La pire forme d’ignorance pour Socrate, c’est croire qu’on sait quand on ne sait pas²⁷. En philosophie, plus qu’ailleurs encore, il importe de reconnaître ce qu’on ne sait pas, ou ce dont on n’est pas certain.

    Pour éviter les erreurs et parvenir à la vérité, Descartes préconise de douter de tout jusqu’à ce qu’on puisse le vérifier, suspendre toutes nos croyances, nos opinions, le temps de reconstruire nos connaissances sur des bases solides. À cette fin, il a formulé quatre règles :

    * Règle de l’évidence : on exclut du vrai toute forme de probable ;

    une règle de vérité l’accompagne : est vrai ce qui est clair et distinct.

    * Règle de l’analyse : on décompose les difficultés en éléments plus simples.

    * Règle de l’ordre : on ordonne les pensées selon des chaînes argumentatives.

    * Règle de révision : on revient sur chaque maillon pour en vérifier la solidité.

    Le champ de réflexion du philosophe le conduit parfois à s’aventurer au-delà de la démarche rationnelle qui a besoin du réel, du sensible, comme point de départ à son analyse et comme référence pour en tester la justesse. Déjà, les philosophes grecs de l’Antiquité ont abordé les concepts abstraits, tels que le Bien, le Beau, le Vrai, par la pensée spéculative : l’objet de la réflexion est hypothétique, supposé vrai ; les conclusions dépendent des présupposés contenus dans l’hypothèse. Aurélien Fabre critique sévèrement la pensée spéculative : « L’esprit délesté du réel, malgré qu’il prétende observer les règles formelles du jugement et du raisonnement, n’étreint jamais que lui-même. Le jugement et le raisonnement, au lieu de tenir de leur contenu la nécessité de leur mouvement, résultent de courts-circuits permanents qui s’instituent entre les instincts, les besoins, les états affectifs, les intérêts ou les désirs, et les actes qu’ils sollicitent. De là, cette facilité de jeu de la pensée spéculative. De là aussi, cette prétention du sujet à régler ses rapports avec l’objet sans se croire obligé de rendre compte de ses décisions et en se mettant à l’abri de toute exigence de justification et hors de portée de la pensée rationnelle »²⁸.

    Les limites de la vérité philosophique

    Il découle de ce qui précède qu’il n’y a pas toujours consensus autour d’une vérité philosophique : rien ne permet de juger objectivement de la véracité d’un discours sur des concepts abstraits et, au mieux, peut-on faire référence à des expériences indirectes, toujours subjectives et culturellement marquées.

    Pour Platon, la vérité ne nous est pas immédiatement accessible : par nos sens, nous n’avons accès qu’à l’apparence des choses telles qu’elles nous apparaissent à un moment donné. C’est seulement avec l’intellect que nous pouvons connaître les choses et accéder au monde des Idées, éternelles et immuables. Dans La République, il illustre cette théorie avec la célèbre allégorie de la caverne : les individus y sont prisonniers et ne perçoivent que des ombres sur les parois de la caverne. L’un d’eux parvient à en sortir : il est ébloui par la lumière du soleil. Il découvre ainsi la réalité telle qu’elle est. Cette sortie symbolise l’ouverture à la vérité qui appartient au monde des Idées : le prisonnier a pris conscience de la différence entre le monde sensible et le monde intelligible. Le monde de la caverne, c’est le monde matériel, limité au sensible ; la réalité n’y est perçue que de manière partielle et subjective. Pour Platon, la vérité est unique, mais elle n’est accessible que dans le monde des Idées.

    Cet effort de l’intellect préconisé par Platon est une démarche individuelle, mais il n’assure pas à tous les individus de converger vers cette unique vérité.

    Les multiples facettes de l’unique vérité

    Ce titre pourrait ouvrir la voie au relativisme des interprétations personnelles. Platon, dans La République, dénonce la doxa – l’opinion – qu’il ne faut pas confondre avec l’epistémé – le savoir. Du côté de l’opinion, l’individu accepte pour vrai quelque chose qui a été dit, sans le passer au crible de son esprit critique et d’en vérifier la légitimité. Il subit l’emprise de l’opinion publique qui résulte de la convergence des appréciations du plus grand nombre pour former un sentiment commun.

    Nietzsche réfute l’idée d’une vérité absolue, considérant que la multitude des individus conduit à une infinité de perspectives. Pour lui, il n’y a pas une bonne et unique façon de penser, mais pour autant, toutes les interprétations ne se valent pas et il revient aux philosophes de les évaluer²⁹.

    Laurence Hansen-Love dénonce le relativisme et souligne l’importance vitale de la vérité : « La philosophie depuis son origine, ne cesse de combattre le relativisme – selon cette doctrine, toutes les opinions se valent, c’est-à-dire sont également vraies, ou également fausses, selon le point de vue de chacun. Même si la vérité est difficile à définir et à élaborer, il ne faut jamais abandonner l’exigence de vérité. Non seulement parce que la vérité est utile à la vie tandis que le mensonge est funeste et dangereux. Mais aussi parce que le choix de la vérité constitue une orientation éthique. La vérité, même partielle, même relative, même provisoire, est en effet un terrain d’entente entre les individus. Ce qui est vrai vaut pour tous, et c’est pourquoi les savants et les philosophes peuvent toujours dialoguer et tenter de s’entendre, par opposition aux fous et aux fanatiques qui estiment que leurs opinions ou leurs croyances relèvent d’un savoir absolu, c’est-à-dire non négociable ni compatible avec aucun autre »³⁰.

    Il en va des objets philosophiques complexes comme des sciences : la vérité est insaisissable et nous pouvons seulement nous en approcher au prix d’efforts répétés destinés à les cerner.

    « La vérité est un miroir qui s’est brisé en tombant de la main de Dieu, et dont chaque homme a ramassé un éclat en affirmant détenir ainsi toute la vérité. » (Rûmî).

    Faut-il parler de la vérité au singulier ou au pluriel ? Cette citation du poète mystique persan postule l’existence d’une vérité tout en expliquant que chacun en détient une parcelle. Pareillement, Leibnitz croit en une vérité absolue vers laquelle converge la multiplicité des points de vue³¹. Cette conception de la vérité, qui ne peut être appréhendée qu’au travers de multiples facettes, met l’accent sur l’enrichissement mutuel résultant de la complémentarité des compréhensions individuelles. Elle invite à accueillir le pluralisme et tourner le dos à toute forme de totalitarisme.

    La métaphore des facettes multiples ouvre au concept de continuité qui s’oppose au dualisme de certains raisonnements : si l’on multiplie le nombre de facettes, on parvient à une pseudo-continuité qui s’approche davantage de la réalité complexe – celle que l’on observe dans l’univers ou celle des systèmes philosophiques – qu’une description binaire, dans laquelle s’affrontent le vrai et le faux.

    L’étude physique de la lumière illustre ce concept. La lumière semble se définir par opposition à l’obscurité de façon binaire : le jour et la nuit ; mais elle peut être diffractée au moyen d’un prisme, et ainsi révéler sa composition, celle d’une multitude de bandes colorées allant du violet au rouge en passant par les bleus, les verts les jaunes, les oranges. Plutôt que des bandes, il y a une parfaite continuité du fait de la nature ondulatoire de la lumière, et celle-ci s’étend bien au-delà des limites du visible en-deçà du violet et au-delà du rouge. L’obscurité peut se définir par l’absence de lumière, mais de nouveau, cette définition simpliste ne dit rien de la capacité et des limites de l’œil ou de l’équipement de mesure physique qui distingue le visible de l’invisible.

    Sur les questions essentielles, pour aller au-delà de l’opinion, l’individu est appelé à découvrir, à creuser la parcelle de vérité qu’il détient, ou plutôt à laquelle il peut accéder. Cette recherche personnelle passe par l’étude de ce qui le précède et de ce qui l’entoure, de ce qu’on appelle l’état des connaissances : dans cette démarche patiente et laborieuse mais animée par le désir de ce qui remplit la vie et lui donne sa saveur, la liberté est déterminante. L’individu doit se prémunir de l’influence de ceux qui prétendent détenir la connaissance et veulent imposer leurs vues : Jean-Claude Ameisen dénonce cette prétention qui s’enracine dans une vision totalitaire³². Hannah Arendt a montré que le totalitarisme est une destruction de la pluralité entre les individus. Emmanuel Levinas partage ce point de vue et interpelle la philosophie quand elle a une prétention de totalité, c’est-à-dire d’inclure dans un tout la pluralité humaine, les individus dans leur singularité irréductible³³.

    Le pluralisme suppose la tolérance. Pour Ricoeur, la tolérance n’est pas une pratique facile, mais une ascension ardue dont il définit les étapes :³⁴

    – Au départ, l’individu, contraint et forcé, se résigne à admettre les différences ;

    – Le premier palier est une sorte de concession faite à l’autre : il accepte, avec regret, qu’il faille de tout pour faire un monde ;

    – Le niveau médian est celui de la reconnaissance mutuelle : la tolérance, comme respect de l’autre dans sa liberté à penser par lui-même, à adhérer à sa vérité. S’il n’était pas libre, je pourrais être justifié à lui imposer mon point de vue.

    – À l’étage supérieur, c’est la reconnaissance par l’individu du fait qu’une partie de la vérité lui échappe. Cela peut aller jusqu’à une bienveillance respectueuse, motivée par le désir d’apprendre de l’autre, sans forcément adhérer au point de vue de l’autre, mais au moins de le comprendre.

    – Et l’étape ultime, au-delà de la tolérance : l’individu s’ouvre à l’enthousiasme pour la différence, à la recherche des différences.

    Un exemple typique de vérité plurielle : le temps

    Cet exemple illustre l’importance de prendre en compte ou au moins d’accepter l’existence de points de vue différents.

    On associe généralement les cultures orientales – celle de la Chine en particulier – à une conception cyclique du temps, symbolisé par un cercle : en fait, il serait plus juste de parler d’une conception cyclique des événements, qui se répètent d’une façon perpétuelle ; c’est la loi des cycles : la lune réapparaît tous les 29 jours, le soleil tous les 365 jours au même endroit. Dans cette perspective, l’avenir est une simple recomposition des phénomènes révolus ; passé, présent et avenir se confondent dans les cycles de l’éternel recommencement, la vie se fonde dans l’éternel présent. Cette conception reconnaît les lois cosmiques immuables et met en avant le respect des rites et des traditions, l’observance de valeurs intemporelles. Dans cette vision, la mort n’est pas dramatique. Elle fait partie du cycle temporel et annonce une renaissance, tel le soleil qui réapparaît chaque matin à l’horizon.

    Le monde occidental, influencé par la grammaire des langues indo-européennes qui partagent les trois temps – passé, présent et futur  –, conçoit le temps comme linéaire, orienté et l’illustre par une flèche. Le futur est perçu comme un monde toujours nouveau, original et inédit. Le passé est révolu, désactivé. Le présent constitue le point de passage entre le passé et l’avenir : il n’a pas d’épaisseur, il introduit l’avenir. Cette conception nous invite à nous projeter sans cesse vers un avenir inconnu ; elle peut être porteuse d’une dynamique de progrès ou de déclin. Dans cette perspective, la mort est le plus souvent vue négativement, comme une fin définitive.

    Ces deux conceptions peuvent être combinées si on accepte à la fois l’existence de cycles qui nous permettent de mieux prendre en compte le passé, les valeurs intemporelles et le fait que ces cycles ne se répètent jamais à l’identique, que le monde évolue, se transforme. Cette nouvelle conception réconcilie continuité et créativité, stabilité et changement, passé et avenir : elle peut être symbolisée par une spirale, qui selon ses convictions, portera, ou non, la perspective d’une évolution positive ou négative.

    Ce qui est en jeu, c’est le sens de l’histoire, de son progrès éventuel. Les philosophies de l’histoire, mais aussi certaines religions ainsi que le marxisme, donnent généralement à l’histoire un sens prédéterminé ; c’est l’idée d’orientation téléologique de l’histoire.

    Raymond Aron n’est pas de cet avis puisqu’il pense l’histoire en réfutant tout prédéterminisme au nom de la liberté à laquelle il croit : si le sens de l’histoire était prédéterminé, alors l’individu n’aurait pas part à l’histoire³⁵. Or, celui-ci est guidé par l’envie de donner un sens à son existence, un sens qui dépasse sa propre durée temporelle. Aron considère l’histoire de l’humanité comme une grande aventure dans laquelle les individus peuvent agir sans influencer la direction : ainsi la société peut s’humaniser, à condition qu’elle fasse confiance à la raison pour engager un dialogue et agir dans le sens de la vérité. Cette idée d’un destin à construire est tout à fait d’actualité avec la problématique de la transition écologique : les choix de l’humanité vont elle la conduire à la catastrophe que certains prédisent ou au contraire, lui donner de retrouver une dynamique de progrès ?³⁶

    Mais Yves Burdelot affirme de son côté que l’idée selon laquelle le progrès humaniserait l’individu est devenue caduque : l’évolution naturelle de l’humanité ne le conduit pas naturellement vers le bonheur³⁷.

    Sans creuser davantage, nous retenons que la question du sens de l’histoire est culturelle et que des conceptions différentes cohabitent.

    En tout cas, cette réflexion sur le temps nous invite à corriger ou au moins nuancer deux thèses classiques.

    Tout d’abord, celle selon laquelle « la conception grecque du temps est cyclique et non rectiligne ». Pierre Vidal-Naquet a montré que cette théorie classique est une simplification de la pensée grecque. Son article inspire les lignes qui suivent³⁸ :

    • Dans la Théogonie d’Hésiode, le temps des dieux apparaît s’orienter le long d’une série linéaire ; avec Anaximandre, puis Héraclite, ce temps deviendra le temps cosmique. Mais déjà avec Hésiode, le temps humain est cyclique, marqué par la répétition monotone des travaux des champs. La condition humaine est liée au temps qui n’est pas autre chose que la succession saccadée des accidents de la vie.

    • Dans la pensée platonicienne, l’expérience temporelle est d’abord celle du temps rectiligne, d’un temps qui avance. Mais l’idée de cycle apparaît dans l’allégorie de la caverne : les prisonniers s’exercent à « discerner les objets qui passent », ... « à se rappeler

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