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Du côté de chez "Kémence"
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Du côté de chez "Kémence"
Livre électronique215 pages2 heures

Du côté de chez "Kémence"

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À propos de ce livre électronique

Marcel Proust n’est pas encore à Balbec, à l’ombre des jeunes filles en fleur, mais le Grand Hôtel de Cabourg-les-Bains ne va pas tarder à faire peau neuve. En ce début de Belle Époque, Clémence doit veiller sur son neveu Augustin qu’une colère sourde ronge, à en vouloir à la terre entière. Depuis qu’ils ont dû quitter la capitale, le jeune homme rumine ses amertumes, tout particulièrement à l’égard de cette société parisienne, riche et ampoulée, qui vient dépenser sans compter sur la Côte Fleurie. “Ils” sont responsables de tout ! Pour sa tante, qui bataille pour faire vivre une petite pension de famille, et lui, qui trime sur le port au milieu des caisses de poissons, cela ne pourra pas continuer ainsi bien longtemps. Bientôt, sa fierté tirera le garçon par la manche, le submergera jusqu’à commettre ces gestes dont on revient métamorphosé. En mieux… ou en pire ? Par ce roman qui emprunte au réalisme du XIXe siècle, l’auteur nous plonge dans l’univers d’une femme toute d’abnégation qui consacre son énergie à écouter les autres pour oublier l’horreur de son visage. Il a fait d’elle un être à part.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Depuis le rivage normand, découvert il y a plus de quarante ans, Francis LA CARBONA poursuit ses voyages en imaginaire. Fidèle au genre romantique, il propose des univers, des environnements et des personnages pour lesquels chaque mot posé est une liberté conquise. Elle n’a pas de prix et, lorsque arrive le point final, l’apnée de l’écriture cède le pas à la respiration du partage avec le lecteur ; une douce connivence pour une invitation au voyage au cœur de l’évasion de “l’écrivant”, ainsi qu’il se définit.
LangueFrançais
Éditeur5 sens éditions
Date de sortie5 août 2025
ISBN9782889498048
Du côté de chez "Kémence"

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    Aperçu du livre

    Du côté de chez "Kémence" - Francis La Carbona

    Couverture pour Du côté de chez Kémence réalisée par Francis La Carbona

    Francis LA CARBONA

    Du côté de « Chez Kémence »

    AVERTISSEMENT

    Quelque ressemblance que l’on puisse trouver avec des personnages, ou des évènements impliquant ceux-ci, ayant existé, serait purement fortuite.

    Tout n’est ici que roman.

    « À trop chercher le bonheur ailleurs, on finit par oublier celui que l’on a devant soi »

    Emile-Auguste Chartier dit Alain

    CHAPITRE 1

    Le fracas s’en va, avec lui le siècle tire sa révérence. Le soir va descendre, le vent furibond s’est essoufflé, il a cessé de gifler à toute volée les façades du front de mer. Mais, de gros nuages bas, aux noirs changeants, grouillent toujours. Ils menacent de s’éventrer au-dessus des maisons où l’on s’est barricadé, voilà près de trois heures. La ville ruisselle, fourbue d’avoir résisté aux bourrasques d’une pluie torrentielle. Demain, peut-être, quelques salissures laiteuses subsisteront dans le ciel. Çà et là, des goélands survolent encore le sable. Ils vont y glaner mollusques, crustacés et coquillages brassés par la houle écumante, ou prélever quelques algues brunes charriées par paquets par le ressac déchaîné. Épaisses de la tempête qui a griffé le rivage normand, les eaux de la Manche s’enténèbrent avec l’obscurité qui rampe. Rude journée.

    Un capuchon rabattu sur le visage, quelqu’un remonte la grève sens dessus dessous vers l’embouchure de la Dives en faisant voler la mousse à la pointe de ses bottes. Homme ? Femme ? Impossible d’attribuer un genre à ce spectre surréaliste. Il s’efface en s’éloignant.

    À une cinquantaine de mètres, il n’y a plus qu’Augustin Stolmant, emmitouflé dans son caban en laine bleu marine, casquette de même couleur vissée sur la tête. Cela fait une bonne heure qu’il s’est abandonné à cette beauté sauvage. Fasciné par la barbarie du coup de torchon qui a lessivé la Côte Fleurie, il s’est fondu dans l’interminable agonie de ce spectacle dantesque, attendant que le calme revienne ; traduction picturale de ce qu’est sa vie. Une colère qui n’éclate qu’à l’intérieur, dont il ne sait comment guérir.

    Derrière lui, les premiers scintillements aux fenêtres du casino. Petits chevaux, roulette, blackjack, baccarat, craps ; ce soir encore, on jouera, par goût, par habitude, par snobisme. Et, Jour de l’An oblige, les mises s’envoleront ; même pour quelques fauchés pour qui perdre une somme dérisoire dans ces salons dorés sera un moyen de faire croire, en ce 1er janvier 1900, que l’on a de l’argent, et, peut-être, devenir fréquentable. Du moins l’espèrent-ils. Cabourg-les-Bains s’éteint doucement. Tel un rideau tombant lentement sur une scène, l’encre nocturne enduit les alentours. Il est temps de rentrer, inutile d’inquiéter tante Clémence. Il l’a tant fait.

    *

    Août 1899, la belle saison battait son plein. Le soleil dardait de chauds rayons sur le Boulevard de l’Impératrice. Un chanteur de rue poussait la chansonnette en s’accompagnant, alternativement, d’un orgue de Barbarie ou d’un bandonéon. La mer était étale, quelques enfants barbotaient sur le bord dans un concert de piaillements. Il n’était pas loin de midi, mais la journée ne faisait que débuter pour les élégantes pimpantes et les messieurs, canne d’apparat en main et chapeautés de paille, qui cheminaient bras dessus bras dessous, au gré de leur oisiveté.

    La veille, bien des distractions nocturnes avaient égayé la station thermale. On s’était couché tard ; parfois, très tard. C’était donc l’heure où il était de bon ton de se montrer à nouveau, frais et dispos, avant d’aller s’attabler dans quelque établissement dont étaient friands nombre de villégiateurs parisiens très argentés. Ainsi se saluait-on, tout au long de cette procession apéritive, à l’aune de la pompe qu’exigeait l’étiquette ; petite inclinaison de la tête pour les dames, léger soulèvement du couvre-chef pour les hommes, et tout ce petit et beau monde se retrouverait, l’après-midi, sur le sable colonisé par une forêt de tentes de plage aux rayures vertes, bleues, rouges. On profiterait de cet air marin que louaient quantité de réclames dans la capitale, on jouerait en costume de bain au diabolo et, pour quelques-uns, on irait tâter de la tiédeur des flots. Après avoir pris un goûter sur le pouce, ou s’être délecté d’une pâtisserie crémeuse à la table d’un café du bord de mer, la soirée s’avancerait dans cette nonchalance très codifiée ; ensuite, après avoir changé de tenue, on se ferait noctambule du côté du Casino, ou dans une de ces réceptions qui animaient tel ou tel hôtel particulier.

    Et tout recommencerait, parce qu’il en était ainsi de ces étés normands que d’aucuns traversaient dans un art consommé de l’amusement.

    Au milieu du défilé mondain, un jeune dandy et sa nymphe – sans doute prochainement son épouse – soupiraient de ne pouvoir tromper leur ennui de riches. Existences molletonnées, il était impossible de prendre cette contrariété en patience, quoique leur opulence atavique leur interdît toute autre occupation.

    Alors, une fois n’étant pas coutume, ils avaient décidé d’encanailler leur suffisance jusqu’au port, au bout de la jetée où commençait le royaume des petits. Là, au moins, ils n’auraient plus à sacrifier à ces bouffonneries. Et, peut-être découvriraient-ils un de ces personnages pittoresques qu’ils pourraient, ensuite, railler à loisir dans un salon, à grands coups de ces bons mots dont raffolait une certaine engeance ? Après tout, l’abjection était très divertissante quand elle touchait ces « bêtes curieuses » qui, c’était certain, n’avaient pas une once de susceptibilité.

    Chaque pas parcouru vers cet endroit, habituellement plutôt familier de leurs domestiques, les immergeait dans les ahans de labeur des pêcheurs et le tintamarre des ateliers. On s’y hélait d’un baraquement à l’autre, parfois de chaque côté de la Dives. C’était dans ce domaine cuit par le sel que trimait Augustin.

    Solide gaillard de vingt-quatre ans, il s’activait entre des casiers de coques, de palourdes, de crevettes frétillantes et de poissons luisants, et d’énormes caisses dans lesquelles il les conditionnait pour la vente. Transpirant à grosses gouttes, sa marinière bleue auréolée de sueur et acre d’odeurs de varech, il s’était étonné de l’approche de ces tourtereaux. Ah ça, pourquoi venir traîner leurs belles nippes par ici ? Encore une excentricité de désœuvrés fortunés, avait-il maugréé pour lui-même.

    Il n’aimait pas du tout ce rassemblement estival annuel de nantis. Cela convoquait invariablement un lancinement tenace ; la mémoire de son enfance à Paris, creuset de ce monde impénétrable dont l’indifférence avait causé la désintégration de sa famille. Pour Augustin, ils étaient tous responsables de son exil sur la Côte Fleurie décrété, près de cinq ans auparavant, par Clémence.

    Alors, qu’un gringalet en col amidonné vînt se pavaner dans son univers besogneux l’irritait au plus haut point. Ses gestes en étaient trébuchants ; comme avant ces rixes dans lesquelles, parfois, il se jetait pour des riens, sans toutefois apurer son incurable déchirement. Mieux valait qu’il évacuât sa rumination latente. Du fin fond de sa nervosité, il s’était figuré le rituel du soir avec Clémence. Il entrerait par la porte à l’arrière de la maison, au cas où, déjà installé dans l’un des fauteuils Voltaire du salon, l’unique locataire du moment attendrait l’heure du dîner en lisant le journal.

    Comme d’habitude, la tante lui demanderait comment s’est passée sa journée ; comme d’habitude, il lui répondrait d’un « bof » dont elle se satisferait. Sans rien ajouter, il gravirait deux à deux les marches de l’escalier et, une fois dans sa chambre, se débarrasserait de sa vareuse et son pantalon diffusant dans son sillage une insupportable odeur de poisson. Un nettoyage méticuleux, puis il redescendrait à l’office. Là, dans une chorégraphie sans fausse note, Clémence et lui prépareraient le plateau avec lequel, à dix-neuf heures tapantes, elle irait servir son convive. Elle prêterait poliment l’oreille à la narration de ses « ah, Clémence, écoutez ça, ça n’arrive qu’à moi ! », puis se retirerait en lui souhaitant bon appétit.

    – À nous, maintenant, dirait-elle en revenant en cuisine.

    À leur tour, ils pourraient se restaurer. Doux ronronnement qui renverrait aux oubliettes la fadeur de ces instants.

    Mais la digression se terminait. Petit à petit, Augustin s’était senti happé par les fragments du dialogue entre les deux promeneurs qui s’avançaient. Il avait redoublé d’ardeur, continué de peser, remplir, soulever, transvaser. De plus en plus distinctes, les paroles s’étaient faites abrasives à sa fierté ; d’évidence, il était au centre de sarcasmes qu’échangeaient les deux jeunes outrecuidants. Hautains – leur seconde nature –, perchés au sommet de leur insouciance moqueuse, ils ne songeaient même pas à se faire plus discrets tandis qu’ils étaient à quelques mètres de lui. Joignant le geste méprisant à la parole de trop, ils s’étaient pincé le nez ; et la donzelle de s’esclaffer à l’estocade de son chevalier servant :

    – C’est à se demander qui empeste le plus, des marchandises ou de ces pauvres pouilleux !

    Parce que cette flèche s’était fichée là où se garde l’honneur, elle avait éperonné la colère d’Augustin. Elle ne pouvait plus être sourde. Brûlant de donner une leçon à ce triste sire, il avait feint de perdre l’équilibre dans une manutention pataude et était venu essuyer « malencontreusement » sa saleté nauséabonde au beau costume écru du freluquet :

    – Ah quel imbécile ! Tu ne peux pas faire attention ? ! N’as-tu donc pas un gramme de cervelle ? !

    Augustin avait vu rouge. On eut dit un monstre surgissant des abysses. Le panier qu’il tenait avait glissé de ses mains tremblantes, son contenu visqueux s’était répandu sur les mocassins du prétentieux. Hors de lui, rugissant son exaspération, il avait frappé de ses poings poisseux, lourds de hargne ; une avalanche de coups. Hémorragie nasale, pommettes boursoufflées, arcades ouvertes – le sang coulait, il étoilait le col de chemise –, la bouille poupine n’était plus que tuméfactions. Le fat maigrelet ne faisait pas le poids. Rossé, grièvement amoché, il n’avait dû son salut qu’à l’entremise d’un autre tâcheron du port, le père Mauvizal, dit le vieux, parangon de bonté jamais très loin du jeunot impulsif qu’il avait pris sous son aile.

    Jamais très loin, mais cette fois… Quelques minutes avant d’intervenir, quelques minuscules minutes de folie, et la vie de son poulain avait chaviré… Rameutés par les cris d’orfraie de la mijaurée, trois gardiens de la paix s’étaient assurés du loqueteux bagarreur. Le dénouement était déjà écrit.

    *

    Médusée en apprenant l’algarade entre son neveu et le damoiseau – elle ne les aime pas non plus –, Clémence a accusé le coup. Tout est allé très vite et, à son grand dam, elle n’a même pas pu être de l’audience devant les magistrats.

    Le bellâtre molesté ayant des relations au sein de l’appareil judiciaire – il était fils de vicomte –, les faits de coups et blessures volontaires ont été rondement jugés, sans complaisance ; ils ne pouvaient l’être, le couperet est tombé. Augustin a écopé de trois mois en maison d’arrêt.

    Début septembre, devant le fourgon hippomobile qui l’y emportait, il n’a su quoi dire à sa tante.

    Elle, atterrée, n’a pas promis de lui pardonner. Inutile. Elle l’aime et, cela, ses yeux ont su le lui rappeler.

    – Ce n’est pas juste, a-t-elle simplement marmonné.

    Depuis le décès tragique du père – Augustin avait dix-neuf ans –, elle sait l’adolescent impétueux et rigide. Il veut en découdre avec un ennemi insaisissable, fauteur de son immense trouble : le destin.

    Épuisante chimère.

    Dans l’incapacité de ne jamais pouvoir foudroyer ses démons, il prend souvent prétexte à des vétilles pour éructer son acrimonie. Elle touche à son paroxysme lorsqu’un camouflet, avéré ou supposé, lui renvoie, d’une façon ou d’une autre, l’indigence qui le guette, lui, pauvre bougre aux ressources friables, vivant aux crochets de sa tante.

    Son amour-propre, unique patrimoine, ne tolère pas qu’on brandisse cette subordination. Elle est cependant incontestable. Il n’ignore pas que son modique salaire à la pêcherie ne constitue, tout au plus, qu’un complément irrégulier aux revenus générés par la pension de Clémence.

    Mais là, la tante n’a accordé que peu d’importance à la perspective que la captivité de son neveu pût aggraver la précarité de ses affaires ; après tout, naviguer contre le vent était dans son ADN. En revanche, quand bien même le récit de l’origine de l’altercation lui a fait mal à elle aussi, elle a tressailli aux conséquences de cet incident pour son neveu : n’a-t-il pas de facto perdu son gagne-pain ? Son exécration d’un ordre soi-disant établi n’en sera-t-elle pas décuplée ?

    Tout au long de l’entracte pénitentiaire qui a suivi, Clémence n’est venue le voir qu’une fois. « Pas moyen de s’absenter, n’est-ce pas ? » a-t-elle allégué, avant qu’il recouvre sa liberté.

    Pas très plausible… « la véritable excuse n’est-elle pas ailleurs ? » s’est morigéné Augustin. Assez de s’absoudre à bon compte ! Comment ne pas s’effrayer, en effet, de voir dans ces rides subitement plus prononcées, le prélude à la lassitude d’une vie étriquée faite d’abnégation à son seul bénéfice ?

    Lisant en lui comme dans un livre ouvert, elle a anticipé ses questions :

    – Ne te mets pas martel en tête. Ça va, a-t-elle éludé, faussement sereine.

    Son aplomb émoussé n’a pas berné le jeune homme et tout cela lui est devenu tout bonnement inacceptable. À sa sortie, il devra faire quelque chose pour que Clémence prenne enfin du repos ; pour lui restituer au centuple l’amour viscéral qu’elle lui a porté à la disparition de son père. Mais comment contrecarrer l’ordonnancement impécunieux dans lequel se sont inscrites leurs existences depuis ce drame ? En réfuter le caractère imprescriptible n’indiquait en rien la marche à suivre pour ne pas s’égarer en finasseries stériles. Au reste, chacune d’elles eut scellé davantage sa culpabilité croissante, et l’éreintement de sa tante.

    Tout près de lui, la rage de l’impuissance a rôdé, frelaté son oxygène, noyé son regard rougi. Elle l’a harcelé, martyrisé sa conscience. Il aurait aimé qu’elle y entrât par effraction, avec violence ; qu’elle l’emplît jusqu’à la moindre de ses fibres pour pouvoir enfin, enfin, la vomir, l’éjecter.

    CHAPITRE 2

    Au sortir de son incarcération, l’héritier des Stolmant a fait serment de s’assagir.

    – Puisse-t-il dire vrai, prie Clémence le Tout-Puissant, chaque soir.

    Lueur d’espoir. Moins d’une semaine, et sa supplique a reçu le présage que son vœu serait exaucé. Augustin

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