Éloge du secret
Par Bernard Hawadier
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À propos de ce livre électronique
À PROPOS DE L'AUTEUR
Bernard Hawadier a mené une carrière marquée par d’importantes responsabilités professionnelles ordinales, qu’il estime avoir accomplies avec succès. Auteur de "L’avocat face à l’IA" – Librinova –, il partage depuis treize ans ses réflexions sur le blog « Chercheur de vérité », où il publie un billet chaque semaine. Homme d’engagement, il affirme ainsi sa volonté d’agir et de débattre sur les grands enjeux de notre époque.
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Aperçu du livre
Éloge du secret - Bernard Hawadier
Prologue
La petite fille au grand secret
Je dédie ce livre à une enfant venue de loin. Elle porte un secret qu’elle n’a pas choisi, celui de sa naissance. Il s’agit de celui de sa mère qui l’abandonna après lui avoir donné la vie. Secret subi. Secret imposé. Elle a reçu cette terrible blessure sans la ressentir lorsqu’elle lui fut infligée, si ce n’est dans son inconscient. Qui ? Quand ? Comment ? Pourquoi ? Elle est venue au monde avec le destin d’être enlevée puis accueillie. Rejetée puis aimée. Secret des origines. Passage des ténèbres à la lumière. Émouvant et singulier secret de l’être.
Après une longue attente, après une interminable délibération, elle fut recueillie par des cœurs aimants et des bras affectueux. Son adoption fut un pari sur ce terrible secret qu’il lui faut accepter, transcender, surmonter. Vivre avec le secret, avec son secret, avec le secret d’une autre.
Lorsque je la regarde grandir, je ne peux m’empêcher de maudire l’humanité et en même temps de bénir le ciel, tant pour elle que pour les siens. Tout n’est que paradoxe sur cette terre. Chacun a son secret, ses secrets. Le sien est plus prégnant, plus exigeant. L’avenir le lui apprendra. C’est une méditation infinie que celle de la vie et de ses secrets.
Ne sommes-nous pas tous le fruit du secret hasard d’une rencontre ? De la rencontre physiologique, spirituelle, amoureuse et physique de deux êtres puis de notre confrontation avec le monde. Tel est notre secret, abyssal. Humain et divin. Mystère du secret, mystère des secrets de la naissance au monde. La vie transforme tout. Elle trouve sa voie pour nous faire grandir entre l’ombre et la lumière.
À toi, petit enfant, je dédie donc ma quête sur le secret. Je ne sais pas si un jour tu en liras le résultat. Mais je suis certain que tu sauras grandir avec et contre ton secret, comme on rebondit, de manière intuitive et intelligente, raisonnable, avec amour. Tu sauras surmonter sans savoir. Surmonter ce secret subi et jamais élucidé pour vivre, pour progresser, pour grandir. Chacun le fait à sa manière. Tu choisiras la tienne. Ce sera ta force. Ce sera ton secret.
Introduction
Or, avant même de te façonner dans le sein de ta mère, je te connaissais ; avant que tu viennes toujours, je t’ai consacré ; je fais de toi un prophète pour les nations.
Saint Augustin, Jérémie 1 : 5
Toi et moi, cher lecteur, nous sommes le fruit d’un acte secret. Conçue dans l’intimité des cœurs et des corps, notre vie est déterminée par ce premier acte. D’autres secrets s’y greffent. Notre vie est le résultat de ce que nous faisons de ces secrets, de l’enfance à l’âge adulte, jusqu’à la mort. Le secret détermine, il conditionne. Il coule dans nos veines comme un principe fondateur, vital et identifiant. Il est consubstantiel à l’homme. Il lui est nécessaire.
Mon expérience personnelle m’a permis de le comprendre de manière progressive. En tant que catholique, depuis ma plus tendre enfance, j’ai régulièrement demandé la grâce du sacrement de confession dans le secret des confessionnaux à la protection desquels je reste attaché. En ma qualité d’avocat, j’ai conseillé et défendu mes clients pendant plus de 40 ans, le secret chevillé au corps. En tant qu’ami, parent, confrère et citoyen, je suis resté soucieux de la parole donnée, de la promesse faite et tenue, de la confiance réciproque essayant de partager et d’échanger avec les autres, à l’écart des indiscrets, dans le cœur à cœur des « moi ». Enfin, j’ai pratiqué le secret dans l’intimité de mon couple et de ma famille, ce terrain de la jalousie et de la coexistence des jardins secrets nécessaires à l’équilibre de chacun.
Comme chacun, j’ai connu les échecs. Ce ne fut pas toujours facile, malgré la tension intérieure que me donna une éducation autant humaniste que chrétienne. Qui n’a buté, trébuché et douté ? Surtout face à un secret si souvent ambigu, exigeant, piégeur. La vie n’est pas une ligne droite ; toutefois, je crois pouvoir écrire que la mienne est demeurée rythmée, bercée et soutenue par un secret astreignant, rassurant autant que protecteur. J’ai pu vérifier la vérité du proverbe hébreu : « Ton secret est ton esclave ; mais si tu le laisses échapper, il deviendra ton maître. »
Or voilà que ces dernières années, l’actualité, la pression sociétale, les « affaires » ont tout chamboulé. Un vrai jeu de massacre… Obligation de dénonciation faite aux médecins, aux avocats et aux clercs, remise en cause du secret de la confession, protection hypocrite de criminels par des pratiques dévoyées du secret, dogme aveugle de la transparence, exposition effrénée sur les réseaux sociaux. J’en ai eu le tournis. M’étais-je imposé des exigences pour rien ? Tout ça pour ça ? Était-il acceptable qu’un avocat dénonce son client ? M’étais-je abusé lorsque j’accordais le plus grand prix à la promesse de garder le silence à la suite d’une confidence faite par un ami ? Ai-je pensé à tort que la vie en commun nécessitait que chacun puisse se ménager un espace intime dont il détienne seul les clés ? M’étais-je illusionné sur la nécessité du secret lorsque « j’allais à confesse » ? L’éthique du for interne marquée du sceau du secret pouvait-elle être négligée, emportée par le tourbillon du progrès ? Que de questions laissées sans réponses par les nouveaux dynamiteurs !
Sans doute ces interrogations étaient-elles en germe depuis des années…
Mais faut-il s’interroger ? S’inquiéter ? Se remettre en question ? À quoi bon ? Carpe diem ! « Hakuna Matata » (sans aucun souci) comme disent les Africains ! Vis Bernard… Arrête de te faire du mal pour rien. Tous ces questionnements ont-ils un intérêt ? Sens les choses. Cesse de te compliquer la vie. Facile à dire…
A-t-on besoin d’une théorie du secret ? À quoi bon philosopher ? La morale, la logique et la métaphysique sont des matières d’avant l’ère de la science et du scientisme, du temps où les humains faisaient de la philosophie comme M. Jourdain faisait de la prose. Il n’est pourtant pas si loin, ce temps… celui où on faisait ses humanités. Faut-il tout jeter par la fenêtre ?
Ce moment d’interrogation s’est prolongé. Un goût d’inachevé persistait, lancinant, obsédant. À tel point que j’ai éprouvé le besoin de prendre la plume après avoir lu, interrogé, échangé, réfléchi. Besoin de clarifier et d’essayer de témoigner. Faut-il se laisser aller dans le courant conformiste du fleuve du temps ?
Drôle d’époque que la nôtre. Nous parlons beaucoup. Si nous lisons, sauf exception, ce ne sont plus guère que des textes sans forme, déstructurés. Si nous écrivons, c’est de manière intuitive, en réfléchissant au même rythme que celui de nos doigts sur nos claviers, sans prendre le moindre recul. Nous nous étourdissons dans un tourbillon de paroles. Mazarine Pingeot, une vraie figure du secret… écrit avec justesse que nous communiquons au lieu de nous exprimer, que nous sommes passés de la rhétorique à la simple communication.¹ De fait, nous ne débattons plus. Nous échangeons à vide, en boucle, souvent de manière stérile, mais plus selon les règles de la « disputatio » des anciens ; « point de vue » contre « point de vue ». Avis contre avis. Chacun sa vision. Chacun son optique. Chacun sa doctrine. Chacun sa philosophie. Chacun sa religion. Chacun son Dieu.
Voilà qui, l’air de rien, et malgré les apparences, complique la vie sociale. Comment réguler une confrontation d’egos divinisés ? On touche les fondations de notre vivre en commun. Le relativisme, la recherche de majorités de plus en plus relatives ou de consensus de façade ont définitivement préempté toute autorité et toute légitimité. Adieu la dialectique ! Place à la jungle des egos.
Si nous continuons de nommer les choses, les notions et les principes avec les termes hérités du passé, nous ne leur donnons plus le même sens. Or si « mal nommer un objet, c’est ajouter au malheur du monde », comme l’a si justement écrit Albert Camus, cela vaut aussi pour les notions et les idées. Pour cela, il faut partager un sens commun, ce qui n’est plus le cas. Toute signification objective est contestée et fragilisée. L’heure n’est qu’à la contractualisation et au vote. Nous nous sommes faits les négociateurs des conditions de la vie durable en société. Sous couvert de libéralisme et de laïcité, nous vivons sans références morales, éthiques, philosophiques et spirituelles communes, sans partage réel ni adhésion commune à ce qui doit pourtant nous permettre de vivre ensemble. Comme sur des sables mouvants… L’aiguille de notre boussole sociétale relativisée tourne dans le vide, de manière arbitraire et relative, sans autre contrôle que celui des juges, nos nouveaux prêtres. Or l’individualisme forcené fait le lit des phénomènes sociaux violents, tant est fort le besoin du « nous commun » chez l’être humain².
Contrairement à ce que beaucoup croient, face à ce chamboulement, les analyses utiles ne peuvent être ni passéistes ni nostalgiques. Pas de retour au passé. La vie est devant nous ! Mais pour autant, la nouveauté des problèmes n’a pas pour corollaire que les solutions ne soient pas dans les principes de la sagesse éternelle. La modernité n’est pas un passe-partout.
Nous devons retrouver le prix de l’échange, du débat, de la disputatio et de l’honnête recherche de parcelles de vérité et de stabilité. Dans cette dialectique constructive, toute idée d’évolution n’est pas à proscrire. Les anciens ne sont ni plus ni moins intelligents que nous. L’histoire n’est-elle pas un éternel et perpétuel recommencement de nos recherches et de nos échanges autour de ce qui doit nous réunir et nous aider à vivre, non pas ensemble mais en commun, dans un commun revigorant ?
Écoutons Gustave Thibon : Entre les conservateurs qui barrent l’avenir et les progressistes qui renient le passé, nous devons être avant tout les hommes de l’éternel, les hommes qui renouvellent, par une fidélité éveillée et agissante, toujours remise en question et toujours renaissante, ce qu’il y avait de meilleur dans le passé. Car le passé ne nous intéresse pas en tant que tel (nous ne sommes ni embaumeurs ni gardiens de musée), mais comme support et matrice de l’avenir. Et si nous veillons sur les racines, c’est par amour pour les fleurs qui risquent de sécher demain, faute de sève. Toute civilisation digne de ce nom se reconnaît à la fécondation perpétuelle du présent par le passé.³
La fécondation du présent par le passé est due aux principes fondateurs et ordonnateurs de la vie en commun. Ces principes ne sont pas des constructions idéologiques. Les milieux conservateurs ont le tort de les ériger en valeurs. Le réalisme social et politique n’est pas affaire de foi. C’est une construction pragmatique. Les principes, tels des piliers, sont constitués par les notions autour desquelles la vie s’organise et se structure, individuellement comme collectivement.
Et le secret dans tout cela ? Il fait partie de ces principes structurants, vieux comme l’humanité. L’homme et la femme des origines se sont fait des secrets, sans doute avant d’écrire, en même temps qu’ils ont dû commencer à s’organiser pour vivre à plusieurs, de concert, en commun. Et ils ont continué. C’est dans leur nature. Le secret est une notion naturelle, centrale, partagée et vécue dès l’enfance, dans tous les domaines de la vie, privés comme publics. C’est cette inlassable confidence commune aux petits et aux grands : « Je vais te dire quelque chose mais tu ne dois pas le répéter » !
Tout évident et naturel qu’il soit, le secret a toujours été l’objet de questions et de préoccupations, de cas de conscience, de doutes. Ardu et contraignant, il est aussi simple que complexe. Allant de la morale la plus élémentaire, naturelle, à la plus haute spiritualité, il nous conduit à travers les arcanes de la philosophie, de la théologie, du droit mais aussi de la déontologie, celle des médecins, celle des avocats, celle des journalistes. Le secret est partout. Il imprègne nos vies. Il traverse le temps, quels que soient les régimes, les cultures, les religions ou les systèmes économiques. On le retrouve à toutes les étapes de la vie individuelle, communautaire, religieuse, sociale, familiale, économique, professionnelle. Il nous entraîne dans les affres du mal que l’on subit, que l’on confie, que l’on cache, dont on se confesse. Le secret se nourrit des paradoxes de la nature humaine. Singulier, il est ce lieu interdit que, mus par l’envie, le jugement, la pudeur, l’égoïsme, la jalousie ou encore la curiosité, nous nous autorisons à investir dans des mouvements contradictoires liés aux passions qui nous enflamment.
L’homme habite son secret, ses secrets. Il les confie, les garde, les trahit, tributaire de ce qu’il y a de plus fragile, versatile et influençable dans l’humain. On dit que les chrétiens orientaux se confessent moins que les catholiques romains à cause du mariage des prêtres et de la crainte des confidences sur l’oreiller… Terrible et fragile « hommerie » ! C’est donc un lieu paradoxal. Véritable « terra incognita ». Mais un lieu unique en son genre. Serait-ce le lieu de l’être ? Sacré secret…
Le secret repose sur la confiance. Sans confiance, pas de secret partagé ni confié. La confiance le précède, le justifie et le fonde. Et si, a contrario du secret, la confiance ne soulève pas d’interrogations ni de doutes, force est de constater que nous avons perdu confiance dans la confiance. Certains disent même que notre société est caractérisée par la défiance. La France s’est enfermée dans un cercle vicieux ; on s’y méfie de tous et de chacun. La défiance va de pair avec un incivisme de plus en plus fréquent. Des auteurs l’ont même théorisé sur le plan économique et social.⁴
Il n’y a pas de société possible sans confiance. Non pas une confiance aveugle mais une confiance éclairée, nourrie, alimentée, soutenue et structurée. Car la confiance est propre à l’homme et à la relation sociale. Elle est l’une des caractéristiques du règne humain par rapport au règne végétal et au règne animal, même si André Petitat a identifié des ébauches de confiance ou de tromperie chez les singes anthropoïdes.⁵ La confiance est souvent indépendante du savoir ; on pourrait se passer d’elle si on savait tout par avance. Elle a un lien singulier avec le secret.
Le secret est aussi un tour de main, un savoir-faire. Chacun a ses secrets. Les secrets de cuisine, de peinture, d’art, de médecine, de l’amour… Reflets de cette intelligence du for interne, émanations de cette forteresse individuelle dont les portes sont verrouillées par des serrures aux clés cachées ou confiées à des personnes choisies, triées sur le volet de la confiance et de la défiance.
Dans l’élan de la modernité est apparu un élément nouveau de complexité qui n’est pas sans influence sur le secret : la technique. L’intelligence artificielle, son dernier avatar, est d’une neutralité trompeuse fondée sur ses calculs, ses formules, ses datas, ses algorithmes. Elle a investi notre place forte intérieure à visage masqué, aidée par notre complicité passive autant qu’active ; elle s’est immiscée au cœur de notre intimité personnelle gouvernée et couverte par le secret. Fascinés, nous avons parfois tendance à donner sans contrôle les clés de notre château intérieur à n’importe qui ou n’importe quoi ; n’importe qui se cachant souvent derrière n’importe quoi. Robert Redeker écrit à propos de la télévision « qu’elle a dévoré la vie privée des hommes et des femmes du quotidien, transformant la vie privée en un spectacle que tous peuvent voir, retournant la pudeur en exhibitionnisme » et plus loin « la télévision déprivatise les êtres humains en exhibant leur vie privée ».⁶ Avec l’avènement des nouvelles technologies, les exigences de la pratique du secret et de la transparence sont transformées. Plus les progrès se développent, plus l’homme est manipulable, plus il devient un stock d’informations aiguisant les appétits, les curiosités, les animosités. Conscient de cette évolution, l’homme en use, en abuse, en profite et en souffre tout en s’exposant au jeu pervers de la « machine » et de ceux qui la conçoivent. Il accepte cela et l’intègre avec hantise, mêlant le désir et la crainte.
La technique au sens analysée par Jacques Ellul est le nœud d’une complexité désorganisée au sens donné par Edgar Morin, en opposition à la complexité organisée. Désorganisée parce qu’anarchique, irréfléchie et acceptée de manière tacite sans réflexion préalable. Cependant, force est d’admettre que seule une raison ouverte, capable de travailler avec l’irrationnel, peut relever « le défi de la complexité ». Dans cette frénésie d’hyperactivité, aveuglés par les progrès, fascinés, empêtrés dans nos paradoxes, nous n’avons pas conscience des risques auxquels nous nous exposons. Du coup, emportés par la vague, nous ne mesurons pas l’importance qu’il y a à préserver notre château intérieur dont le secret est le sésame.
Le secret est contesté, stigmatisé, remis en cause, critiqué et mis sur la sellette au prétexte qu’il servirait à couvrir des actes et des faits devant être dénoncés au nom de la morale, de la justice, du droit des victimes, de l’exigence supérieure de transparence. Il n’a pas bonne presse. L’actualité la plus récente le confirme. Les nouveaux moyens de communication qui sont le dernier lien entre les humains ne sont pas sans soulever de multiples interrogations par rapport à la pratique du secret et à sa préservation. Prenons quelques exemples récents.
Le rapport sur les crimes sexuels au sein de l’Église catholique suggère une révision du secret de la confession pourtant absolu et inviolable. Est-ce justifié ?
Le secret professionnel du médecin a été soumis à d’innombrables remises en question par des exigences de santé publique. Il est réduit comme peau de chagrin. N’allons-nous pas trop loin ?
Le secret professionnel de l’avocat vient encore d’être remis en question à l’occasion de l’arrêt de la Cour de cassation du 22 mars 2016 (Arrêt A 1583.205) à propos des échanges entre Nicolas Sarkozy et son avocat, mais aussi de l’élaboration de la loi pour la confiance dans l’institution judiciaire qui prévoit d’élargir les possibilités d’y porter atteinte. A-t-on encore droit à un avocat à qui on puisse se confier ?
Le secret de la correspondance et de la communication est totalement remis en question par les nouvelles technologies. Comment faire ?
Les questions sont multiples. Pour quelle raison devrait-on encore confier des secrets ? Peut-on toujours confier un secret avec une confiance absolue ? Pourquoi ? Comment ? À qui ? Faire du secret revient-il nécessairement à créer de la défiance vis-à-vis d’autrui ? Pourquoi garder un secret ? En accoucher est-il le seul moyen de sortir de certaines souffrances ou déséquilibres psychologiques ? Est-il nécessaire ? Vital ? Absolu ? Peut-il être relativisé ? Comment se justifie-t-il ? Quels arbitrages pouvons-nous faire à son sujet ?
Indépendamment de la mode du modernisme, l’une des explications de ces mises en question du secret tient au surgissement de l’exigence nouvelle et systématique de la transparence qui a vu le jour ces dernières décennies. Provoquée par des attentes souvent légitimes mais également par les errements de « l’hommerie » moderne, elle atteint les personnes dans leur for interne et dans leur conscience.
La société de transparence est fondée sur l’arbitraire individuel. Le verdict général y est : « ça me plaît », à l’image des « like » de Facebook qui, de manière révélatrice, a obstinément refusé d’introduire un bouton « dislike » dans son application.
La relation que nous entretenons avec le secret est paradoxale du fait du besoin apparemment irrépressible que nous ressentons de la transparence. Ce désir de savoir, de transgresser, de connaître est une forme de curiosité malsaine… car si nous avons besoin de savoir, la vie nous apprend que nous cherchons toujours à savoir plus que ce dont nous avons réellement besoin. L’humain est un animal insatiable…
Nous nous sommes convaincus petit à petit de la légitimité de la transparence érigée en nouvelle vertu. Elle est la marque, la caractéristique de nos sociétés contemporaines… en passe de devenir un dogme de la vie en commun, une exigence verticale. Nous semblons acquiescer à la nécessité de tout savoir et de tout montrer. « La pudeur est devenue honteuse et l’exhibitionnisme vertu ».⁷ Telle semble être notre nouvelle règle d’or. La transparence nous piégerait-elle ? Nous ne l’avons pas vu venir. Elle avait pourtant chaussé de gros sabots ! Il faut dire qu’elle utilise malicieusement les
