Adieu Cervin: Roman
Par Michel Jobin
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À propos de ce livre électronique
Cette fiction est une fable historico scientifique, née de l’angoisse actuelle quant à la dérive du climat. L’Homo Sapiens se retrouve au centre du phénomène. Avec comme toile de fond la découverte et l’amour de la montagne, quelques Amies et Amis tentent d’établir un bilan des causes de la catastrophe planétaire annoncée et recherchent au fil des années la vérité scientifique. Une quête ardue à travers les nombreuses incertitudes qui jalonnent leur chemin. Pourront-ils, sans autre forme de procès, suivre la science alors qu’elle se trouve controversée et en compétition avec nos modes de vie et les bases de nos sociétés ? Pour le GIEC, il n’y a qu’une seule cause à notre tragédie : le CO2 humain.
Ce récit, où fleurent humeur et humour, saute à pieds joints au-dessus de la croyance « réchauffiste » et du scepticisme, de la confrontation et du déni, de la science et de la politique pour atterrir sur un terrain où l’espoir surmonte la peur, l’apocalypse et l’éco anxiété. La Terre sera sauvée et les humains aussi.
Telle qu’imaginée et pour aller à l’essentiel, cette saga, un hymne à la vie, est parfois quelque peu irrespectueuse de certains faits et de la chronologie des dates historiques. Elle s’appuie, pourtant, sur de nombreux documents, études, publications, ouvrages, dont la liste figure, avec le recueil des citations, en fin de ce livre.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Alpiniste passionné et ingénieur en génie civil de l’EPFZ retraité, Michel Jobin est depuis longtemps intéressé et intrigué par le changement climatique. Il a œuvré pendant plus de quarante années au sein de divers organismes professionnels, scientifiques et politiques dans la lutte planétaire contre les pollutions. Son roman scientifico-humaniste, se veut optimiste en dépit du pessimisme actuel au sujet du climat.
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Aperçu du livre
Adieu Cervin - Michel Jobin
Chapitre I
Bruits de sabots à Zermatt
C’est en face d’un beau site qu’on pensera le plus juste.
Friedrich Nietzsche
Une bande d’amis dans les alpages
Zermatt, 14 juin 1960. À 9 h 30 précises, le Glacier Express en provenance de Randa entre en gare de Zermatt. Deux jeunes gars, sacs au dos, s’échappent du train et sautent sur le quai. Quelle foule ! C’est la Fête-Dieu. Le cortège emmené par la fanfare locale progresse lentement, au pas, en jouant une marche militaire le long de la Bahnhofstrasse déjà envahie par les touristes venus du monde entier. Puis, comme le veut la tradition, suivent les jeunes filles habillées de blanc, quelques garçons en culottes courtes et les femmes en costume folklorique local avec leur coiffe élégante bordée de dentelle d’or. Le peloton de grenadiers soutenant le baldaquin entoure les représentants du clergé qui portent l’ostensoir orné d’or et d’argent. Les fameux guides de Zermatt, fiers et droits dans leurs souliers à semelles Vibram, marchent à la suite, serrés et décontractés, piolets à la main et corde sur l’épaule. Et en fin de cortège, les autorités communales suivies par la population et quelques touristes audacieux complètent la procession. Les visages sont sérieux. Tous se dirigent vers l’église pour la cérémonie religieuse et surtout pour demander la protection de Dieu dans leurs diverses activités au pied des montagnes redoutées depuis toujours. Amusés et impressionnés, les deux jeunes voyageurs se mêlent à la foule qui s’écoule comme un fleuve tranquille. Ils ont une vingtaine d’années. Le Cervin, ils l’ont déjà admiré lors de leurs vacances de ski avec leurs parents, il y a quelques années. Comme tous ceux qui connaissent Zermatt, ils ont été, dès le début, fascinés, attirés, aspirés, presqu’aveuglés par ce sommet d’une beauté inexplicable, tellement aérien et isolé, planté là entre d’autres sommets moins spectaculaires.
La silhouette fine et élancée de Paul fait penser à un lévrier et contraste avec celle de Nicolas, plus trapu et musculeux. Tous les deux sont souriants et optimistes. Leur rêve commence enfin. Ils ne sont pas surpris de voir autant de monde dans la station du Haut Valais, car, arrivant de Fribourg, ils ont entendu parler de cette fête catholique et un peu anglicane très appréciée et célébrée à Zermatt. Les ressortissants du Royaume-Uni sont d’ailleurs nombreux ce jour-là dans la célèbre station qu’ils adorent.
Sacs de montagne bien calés sur leurs épaules et remplis de tout le matériel d’alpinisme nécessaire, les deux jeunes alpinistes partent à la recherche de leur hôtel sans trop s’attarder à suivre le cortège. Pas un nuage ne flotte dans le ciel, le foehn s’est calmé, l’air est frais. Il n’y a que la vue du Cervin à leur couper le souffle. La journée du lendemain sera favorable. Délestés de leurs sacs bien trop lourds, Paul propose :
– Et si on allait au cimetière sur les tombes des Taugwalder et de Michel Croz ?
– Mais qu’y a-t-il d’intéressant à voir ces tombes ? demande Nicolas.
Paul, un peu surpris, s’arrête brusquement et répond :
– Mon cher, tu sais, pour moi, ces tombes sont presque sacrées et, comme je connais ton sens de l’humour, je te jure que nous n’irons pas leur cracher dessus. Elles sont tellement chargées d’histoire. D’histoire alpine bien sûr. Ce n’est peut-être pas la Grande Histoire, mais les épopées en montagne ou ailleurs, initiées et vécues par des femmes et des hommes courageux, entreprenants, audacieux et curieux, constituent un volet important de l’histoire de l’humanité.
Il ajoute immédiatement :
– Tu connais les Taugwalder ?
– Oui, ce sont, je crois, des hôteliers de la station.
– Tu n’y es pas, corrige Paul, je vais t’expliquer sur place.
– Sur place, c’est où ?
– Au cimetière, parbleu !
Dès leur arrivée au champ du repos, Paul se dirige vers les tombes. En ce jour de recueillement, le cimetière grouille de monde. Beaucoup parlent anglais. Les deux tombes érigées côte à côte, celle des deux Taugwalder père et fils et celle de Michel Croz, sont austères. Les pierres tombales sont en gneiss de la région. Celle des Taugwalder porte l’inscription « Peter Taugwalder, Vater und Sohn, die Berufstreuen Führer, Erstbesteiger des Matterhorns 1865 », autrement dit : « Peter Taugwalder, père et fils, guides réputés, premiers vainqueurs du Cervin, 1865 ». Cette inscription figure sur la partie avant de la tombe, alors que le fronton vertical comprend un crucifix dans la meilleure tradition catholique. Sur celle de Michel Croz, on peut lire : « À la mémoire de Michel Auguste Croz, né au Tour, vallée de Chamonix, en témoignage de regret, la perte d’un homme brave et dévoué, aimé de ses compagnons, estimé des voyageurs, il périt non loin d’ici en homme de cœur et guide fidèle. » Pour un si grand guide, l’éloge est modeste comme l’a été ce montagnard de grande classe.
Nicolas interroge :
– Je ne vois toujours pas pourquoi nous sommes venus sur ces tombes ! C’est plutôt tristounet et de mauvais augure pour tenter l’ascension du Cervin demain.
Paul, déçu par le manque de culture montagnarde de son ami et dérangé par le monde présent sur les lieux, ne répond pas. Il entraîne Nicolas vers la sortie. Ils se fraient un chemin à travers la foule massée devant l’église et se dirigent ensuite d’un bon pas vers leur hôtel. En route, Paul se dit, « il faudra que je trouve le bon moment pour lui parler du drame qui s’est déroulé au Cervin en 1865 et des conséquences heureuses et malheureuses qui s’en sont suivies ».
Au restaurant, Paul entame la discussion :
– Sais-tu que Zermatt¹ figurait sur les cartes du
XIII
e siècle sous le nom de Praborgne, Praborno ou encore Prato Borno, ce qui pourrait se traduire par « prés privés de soleil » ou « prés aveugles » ? Bien trouvé, n’est-ce pas ? C’est précisément vers la fin du
XIII
e siècle que les colonies de paysans de montagne germanophones haut-valaisans, les Walser, émigrèrent de Praborno vers le Val d’Aoste. C’est ensuite seulement, dès 1860, que l’appellation « Zermatt » a remplacé progressivement le nom latin. Et Zermatt, tiens, je ne m’étais pas encore posé la question, pourrait bien provenir de « Zur Matte » qui peut être aussi bien traduit par « dans les alpages », « sur les alpages » ou « vers les alpages ». Cette dénomination a été abondamment utilisée avant de devenir « Zermatt ».
Nicolas rebondit :
– Et Matterhorn, la version allemande de Cervin, peux-tu m’expliquer d’où ça sort ?
– Mais, bien sûr, Nico, on vient de voir ce que signifie « Matte » et Horn, c’est « la corne ». Le tour est joué ! Et pour une corne, le Cervin est une sacrée corne. Je suis persuadé que c’est grâce à elle que Zermatt est devenue ce qu’elle est : une station touristique réputée en Suisse et dans le monde pour l’alpinisme, le ski de piste et la randonnée à ski et à pied. Et il n’y a pas que le Cervin dans le voisinage de la station. Si on fait le tour dans le sens des aiguilles de la montre suisse depuis l’est, on trouve le massif du mont Rose avec le Nord End, la Pointe Dufour, le Lyskamm, les Dioscures Castor et Pollux, qui furent métamorphosés en étoiles et font partie de la constellation des Gémeaux. Oserais-je te signaler que leur père est Zeus, ce dieu dont tu prononces le nom si souvent ? Enfin, surtout lorsque tu es enragé ! Si on continue notre tour d’horizon, voici le Breithorn et ses trois sommets à plus de 4 000 mètres, la Dent d’Hérens, juste au sud-ouest du Cervin, puis la Dent Blanche, l’Obergabelhorn, le Rothhorn, le Weisshorn. Et finissons par le Dom, le Täschhorn, l’Alphubel, le Strahlhorn, le Rimpfischhorn. Tous des 4 000 mètres, c’est exceptionnel et la liste n’est pas complète : il y en a 37 qui contemplent Zermatt ! Quand on découvre ce panorama unique, on ne se demande plus pourquoi les alpinistes expérimentés ou débutants veulent tout d’abord monter sur le Cervin. C’est l’attirance instantanée, un peu comme un coup de foudre ! En pleine saison, ils sont des centaines à crapahuter sur l’arête Hörnli en tentant d’éviter les chutes de pierre… Désolé, Nicolas, mon soliloque t’a soûlé ?
– Mais non, Paul, j’ai trouvé ces informations intéressantes. Nous étions dans le Zermatt du
XIX
e siècle et ça m’a naturellement fait penser à ce qui s’est passé au niveau scientifique et culturel depuis le milieu de ce siècle exceptionnel. Cette époque, le sais-tu ? a marqué le début de l’anthropocène qui est même considéré aujourd’hui, par certains, comme une époque géologique. On affirme aussi que c’est le début de l’« âge des humains ». D’ailleurs, cette période pourrait bien avoir commencé un peu auparavant, puisque Buffon écrivait déjà, en 1778, que « la Terre porte aujourd’hui l’empreinte de la puissance de l’Homme² ». Donc, la nôtre, mon cher !
Eh oui, Nicolas, nous serions en train de changer la Terre et par notre attitude de créer un désordre planétaire. Nous serions les moteurs principaux de ce changement.
– En fait, le vrai déclencheur serait la révolution industrielle du
XIX
e siècle et notamment l’entrée sur le marché mondial des combustibles fossiles, complète Nicolas. Personne ou peu de monde ne s’est douté, à ce moment-là, des problèmes que nous allions devoir affronter. Pourtant, il y a longtemps, trois « savants » avaient alerté sans grand succès au sujet de l’effet de serre dû à des gaz très mal connus. Je crois que tu en as entendu parler, Paul, ce sont Fourier, Tyndall et Arrhenius.
– Tu tombes bien, Nicolas, je viens de m’intéresser à Tyndall. En lisant des livres de montagne de l’époque, dont le superbe Le Mont Cervin, écrit en 1906 par le guide écrivain italien Guido Rey³, j’ai appris que ce chercheur alpiniste irlandais soupçonnait déjà que certains gaz étaient susceptibles de retenir dans l’atmosphère les rayons infrarouges émis par notre surface terrestre. J’ai été très intéressé par son parcours et nous aurons certainement l’occasion de reparler de lui.
Paul et Nicolas se sont rencontrés il y a cinq ans devant la porte du lycée. À ce moment-là, tous les deux sont anxieux de commencer ce qui devrait être le début de longues années d’études avec de nouveaux maîtres, de nouvelles exigences et surtout de grandes espérances. Tout de suite, l’amitié les a réunis. Nicolas est plus expansif et casse-cou que Paul, qui, lui, est réfléchi et réservé. Ils se complètent bien et se sentent heureux dans la nature et la simplicité. Aussi souvent que possible, ils vont grimper dans les Gastlosen, la région du Trient ou les rochers des Sommêtres. Tous les deux ont 20 ans, viennent de réussir leur examen de maturité et vont entrer en automne à l’université. En montagne, ils ne recherchent pas l’exploit. Le culte du palmarès n’est pas dans leur esprit. Réaliser de belles courses leur suffit. Ils sont conscients que leur entraînement et leur expérience ne leur permettent pas, ou pas encore, de viser plus haut que… le Cervin. Par chance, beaucoup de voies sont encore à équiper et de nombreux sommets à déflorer. D’autant que, en ce qui concerne le matériel et l’équipement, tout est en train de changer. Le chanvre des cordes vient d’être remplacé par une corde plus souple, composée d’une « âme » en fibres tissées nylon protégée par une gaine. Les baudriers sont encore bricolés, mais seront bientôt remplacés par de beaux objets certifiés sous l’indication UNE-EN 12277. Sécurité et confort sont les maîtres-mots. Quant à Paul et Nicolas, ils souhaitent simplement passer du stade de touriste à celui d’alpiniste. Comment faire ? Ils pratiquent l’athlétisme, le ski, et, pour Nicolas, l’escrime, la boxe, l’aviron et la flûte traversière. Paul a beaucoup lu sur la montagne spécialement sur les ascensions dans les Alpes et pas seulement celles de Tartarin. Nicolas, lui, suit l’actualité des itinéraires intéressants. Les guides du Club alpin suisse sont ses livres de chevet. Ils font tous les deux parties du Club alpin de leur région, un club très actif, avec un chef de course surnommé le Diable. C’est dire que leur carrière alpine débute sous une protection absolue. Durant leurs années de lycée, ils ont fait partie d’une bande d’amis, tous encore célibataires ou presque. Les amies seront acceptées plus tard. Ils forment une équipe de vrais potes. Ils portent tous des sobriquets. On trouve Milou, un gars efflanqué, plus footballeur et skieur que grimpeur, mais qui n’a rien à voir avec Tintin, et Zini, un Tessinois, qui s’est épanoui à l’internat de l’institution où il vient, lui aussi, de réussir sa maturité. Rieur, l’esprit vif, avec un reste d’accent italien fort apprécié, il navigue à vue dans son nouveau monde. Il y a aussi Tartine, l’intellectuel pur, fort partout, un peu moins au grimper à la perche, mais un entraîneur et motivateur hors pair, et Charly, rencontré en montagne du côté de la Dent de Broc. C’est un futur électricien, inventeur du réveil à incandescence. On y rencontre aussi Richelieu qui n’est ni cardinal, ni homme d’État, mais qui s’intéresse à la mécanique de précision. Et, sans vouloir être exhaustif, on ne peut pas oublier Noldi, un type assez exceptionnel qui va se lancer dans l’ingénierie et l’aide humanitaire. Cette fine équipe fera parler d’elle !
Le télescope de John Tyndall
Zermatt, 9 juillet 1864. Le convoi qui monte péniblement vers Zermatt est un peu particulier. Il est composé de cinq solides gaillards et de deux mulets, Isidore, doté d’un poil gris foncé, et Aphrodite, une mule brune avec un en-tête blanc en forme d’étoile. Leurs sabots crépitent sur le sol rocailleux du chemin menant de Täsch à Zermatt. Les pauvres bêtes sont chargées de tout le matériel nécessaire à l’ascension des montagnes ainsi que de caisses mystérieuses préparées par John. Partis du fond de la vallée, ils arrivent à l’entrée de ce qui n’est pas encore une station renommée. C’est cet endroit que les mulets choisissent pour refuser d’avancer. On les connaît, ils réagissent parfois comme des ânes. Inutile d’insister ou de leur parler à l’oreille, particulièrement à l’arrivée d’une étape aussi longue. Le chef d’expédition⁴ porte le nom de John Tyndall. Ne voulant pas forcer les animaux par quelque moyen que ce soit, il ordonne un arrêt de récupération. Un membre de l’équipe demande :
– John, où as-tu prévu de dormir ce soir ?
– À l’hôtel Monte Rosa, of course !
En effet, le modeste chalet en bois qu’Alexandre Seiler a acheté en 1853 est déjà devenu le fief des alpinistes, notablement celui des Anglais acharnés alors à conquérir les sommets prestigieux des Alpes. C’est l’« âge d’or de l’alpinisme⁵ » et il reste encore quelques sommets vierges à gravir. Au bout de cinq minutes, les mulets acceptent de repartir. À cette époque, le village de Zermatt n’est en fait qu’un petit hameau⁶. Parmi les quelques chalets et mazots, le Monte Rosa est vite repéré. Le groupe Tyndall est chaleureusement accueilli par le patron Seiler. À la table ronde, appelée Stammtisch, quatre vieux villageois, probablement retraités, sont en train de jouer au jass. L’un d’eux, Pirmin Aufdenblatten, ancien chasseur pas cueilleur mais bûcheron, demande à ses collègues :
– Il paraît que c’est l’équipe de Tyndall qui vient d’arriver. C’est qui, ce Tyndall ? Encore un de ces Anglais qui viennent nous voler nos montagnes, ou bien ?
Un grand barbu, pipe aux lèvres, surnommé évidemment Pipe, déclare avoir examiné le cas de ce Tyndall et a ainsi appris que cet « Irish » pur-sang vient de réaliser la première ascension du sommet le plus himalayen des Alpes : le Weisshorn.
– C’est un solide alpiniste, mais aussi un scientifique très connu au Royaume-Uni. Quadragénaire, il n’est venu à la montagne que cinq ou six ans auparavant. C’est donc un « savant qui vient aux Alpes⁷ ». J’en ai discuté avec notre médecin à Saint-Nicolas, il m’a expliqué que ce « Mister » effectuait en ce moment des recherches en glaciologie et surtout en thermodynamique par exemple… Mais, moi, je ne comprends rien à tout ça. Il chercherait à découvrir si la concentration de la vapeur d’eau et des différents gaz présents dans l’atmosphère peuvent jouer un rôle sur le climat. Une sacrée tête, celui-là.
– Mon Dieu, dit le troisième larron, qui répond au nom de Hans Inderbizen, un homme de taille moyenne, tête coupée à la hache et mâchoire ornée d’une barbe bien fournie. Quelle idée de passer son temps à des recherches pareilles ? Il doit être plein aux as.
– Atout, crie le quatrième joueur, appelé amicalement Schwarzpeter, impatient de pouvoir reprendre le jeu en tapant fort sur la table. On n’arrivera pas à terminer notre jass avant le souper si vous continuez à discuter sur des sujets qui nous dépassent.
L’équipe de Tyndall s’installe à l’hôtel aussi bien que possible, car les travaux de rénovation ne sont pas encore terminés et le confort n’est pas parfait. « Mais, c’est mieux qu’un bivouac sur le Gorner », déclare John ne risquant pas d’être contredit. Les visiteurs s’assoient à une table. Ils sont cinq. En plus de John, il y a son compatriote le révérend J.-M. Elliot, son guide-accompagnateur préféré Johann Josef Bennen qui vient de la vallée de Conches, Peter Knubel, guide déjà célèbre de Saint-Nicolas, et Jean-Joseph Maquignaz, guide réputé qu’il est allé recruter à Valtournenche sur le versant sud du Cervin. Tyndall s’adresse à ses compagnons :
– Demain, nous allons monter au Gornergrat avec nos mulets. Nous installerons notre télescope dans le petit observatoire⁸ que j’ai fait construire là-haut, puis trois jours de courses sur les beaux sommets autour de Zermatt suivront.
« Le Cervin ? Je ne sais pas », ajoute-t-il encore.
*
La nuit au Monte Rosa se passe on ne peut mieux, au début du moins. Aucun bruit, ni dans l’hôtel ni au-dehors. Vers deux heures du matin, Tyndall, peut-être un peu inquiet en ce qui concerne la mise en place de son télescope, fait un rêve. Il traverse l’histoire de l’astronomie. Il revoit le plus ancien observatoire solaire connu : les cercles de Goseck⁹, tracés en Saxe il y a environ 7 000 ans, dont le fonctionnement reste toutefois limité aux levers et couchers du soleil, aux solstices d’hiver et d’été. Mais ils sont si touchants ces cercles concentriques tracés dans la terre et marqués par des poteaux en bois servant à fixer la date des semailles et des moissons. Tout à coup apparaît, quelque part dans son cerveau d’hyperactif, le fameux observatoire de l’astronome de Samarcande, en Ouzbékistan, le célèbre savant Ulugh Beg¹⁰. John avait visité ce « monument » quelques années auparavant, au cours d’un voyage de préparation aux leçons qu’il dispense à l’université de Cambridge. Cette impressionnante construction conçue par Beg, inaugurée en 1429, est en partie enterrée. C’est, en fait, un immense sextant de 80 m de haut permettant de mesurer la position des astres au-dessus de l’horizon et leur passage au méridien du lieu. Il y calcule, aidé des meilleurs astronomes de son temps, la position de mille étoiles avec une précision qui restera inégalée pendant deux siècles. On n’en est pas encore à la fameuse lunette de Galilée, ni au télescope de Newton, mais la science avance avec de gens comme Beg. Difficile d’imaginer avec quels « outils » cet astronome et mathématicien a travaillé. Il paraît qu’il était le petit-fils de Tamerlan, conquérant sanguinaire qui avait mis l’Orient à feu et à sang quelque cinquante ans auparavant. Dans son rêve, John voit le sang couler, les têtes coupées, sans en être réveillé. Par la suite, Beg a été nommé gouverneur de Samarcande, mais, s’il était un remarquable scientifique, il fut un piètre politique. La vie se termine tragiquement pour le malheureux savant. En butte à l’intolérance religieuse, il est assassiné par son fils Abdulatif en 1449. Il a alors 55 ans. John se réveille en sursaut. Il se dit aussitôt que c’est un cauchemar, que ça ne peut quand même pas m’arriver à moi à cause de mes recherches dans le domaine des modifications des gaz présents dans l’atmosphère… Le monde actuel est un peu moins fou, j’espère. Néanmoins, John Tyndall se rend compte qu’il suit la même ligne éthique et philosophique risquée que Beg, lui qui écrivait : « Après cela est venu le plus humble des serviteurs de Dieu, celui qui sent le plus vivement combien il a besoin du secours divin qu’il implore, Ulugh Beg, fils de schah Rokh, fils de Timour Gourgân : que le Très-Haut le rende heureux et lui accorde une fin tranquille ! Dans la nécessité où il se trouve d’appliquer son esprit à des objets divers, désirant suffire aux nombreuses occupations dépendant de la mission qui lui est confiée de veiller aux intérêts des peuples et de préparer aux fils d’Adam des résultats avantageux, suivant l’exigence des individus ; désirant s’élever sur les ailes des hautes pensées, éviter la passion, maintenir l’intégrité de ses décisions, et réunir les mérites de la bonté et de la générosité, il a tourné les rênes de ses efforts les plus énergiques et la bride d’une assiduité rare vers la connaissance des vérités scientifiques et des subtilités philosophiques, de telle sorte qu’avec l’aide de Dieu secourable et clément, et suivant cette maxime « que celui qui cherche péniblement une chose la trouve », le pauvre auteur a su expliquer avec sécurité, en se servant de la plume, de l’intelligence et de la réflexion, les obscurités de la science et surtout de la philosophie, qui n’est pas sujette à la poussière des vicissitudes des sectes, ni aux différences des langages selon les temps. » Tels furent les mots d’Ulugh Beg dans ses Prolégomènes 30.
Quelle clairvoyance, quelle honnêteté, quelle éthique mais aussi quelle leçon pour l’humanité !
10 juillet 1864. Toute l’équipe est réveillée par les gesticulations de John et chacun se met à préparer les sacs et tous les bagages pour prendre le départ en direction du Gornergrat. À l’aube, le convoi, avec les mulets bien chargés, est en route. Les hommes sont silencieux. Rien d’étonnant à cela, car les montagnards, de l’époque du moins, sont des taiseux. Souvent, ce n’est pas un grand défaut, mais, à l’inverse, il est parfois difficile de comprendre comment les parleurs invétérés peuvent conserver leur souffle, notamment lorsque la pente se relève. Le chemin est assez large pour les chars attelés jusqu’à Untere Riffelberg, puis c’est un sentier muletier qui conduit à Riffelberg même. Entre les bouquets roses de rhododendrons et le bleu profond des gentianes de Koch, il se faufile jusqu’au pied du Riffelhorn, passant, plus loin, près des « Riffelsee » pour arriver en pente douce au Gornergrat. L’étape est longue, fatigante, avec 1 500 mètres de montée. Ils mettent plus de six heures. Les montagnards de cette époque sont d’une vigueur et d’une endurance époustouflante.
Même en juillet à 3 130 mètres, dans le local annexe à celui du futur télescope, la nuit est assez froide. La lune éclaire la face est rocailleuse du Cervin. C’est magique. Quelques ronflements ont animé le gîte des cinq hommes. Ils sont réveillés vers 3 heures du matin par un vacarme lointain provenant de la région du Cervin. Apparemment, c’est un énorme éboulement de pierres et de glace qui déboule avec fracas sur l’une des faces du géant. On entend d’abord des craquements suspects, puis de sourdes explosions suivies d’un boucan infernal au milieu de bouffées de fumées grises et noires qui montent vers le ciel en se gonflant comme une montgolfière. L’avalanche de minéraux et de cristaux de glace forme alors un
