IA : Maître du temps: Vers une éternité connectée ?

Par Laetitia Pouliquen et Laurent Alexandre

Souhaitons-nous devenir des êtres augmentés afin de nous procurer puissance, longévité et immortalité ? La révolution technologique en cours suscite des interrogations majeures, notamment sur notre rapport au temps et au réel. Laetitia Pouliquen dénonce les promesses techno-utopistes du transhumanisme et décrypte ce qui constitue ce carrefour de l'individualisme et du bio-capitalisme.
Par delà les recherches de la Silicon Valley pour ralentir le vieillissement cellulaire et les questions telles que "La vieillesse se soigne-t-elle comme une maladie ?" ou encore "L’espérance de vie va-t-elle se rallonger jusqu'à 120 ans ?", les enjeux se situent plutôt dans la question du sens du temps qui passe et de la nature de l'homme. "IA Maître du temps" passera en revue les avancées de l'IA et de la bio-augmentation : avatars, identité numérique, clonage, implants intracérébraux, chimères, reprogrammation cellulaire...
À l'aliénation des promesses d'immortalité et de sortie du temps et de l'espace, la bio-éthicienne y opposera des antidotes afin de réaffirmer la continuité historique et culturelle de notre humanité et nous encourager à habiter le temps.

"L'auteur aborde ces questions complexes avec une rigueur philosophique profonde : l'IA sera-t-elle un instrument de progrès ou de domination ?"

Dr Laurent Alexandr

À PROPOS DE L'AUTRICE

Laetitia Pouliquen est mère de quatre garçons, diplômée en bioéthique. Elle travailla dans l’industrie du logiciel en Europe et fut chargée de recherche à la Harvard Business School. Fondatrice du think-tank NBIC Ethics, elle participe aux travaux de l’Union européenne sur l’éthique de l’intelligence artificielle et les règlements en matière de digitalisation. "Son ouvrage Femme 2.0" – Féminisme et Transhumanisme annonçait des évolutions technologiques dont certaines ont déjà vu le jour. Son nouvel ouvrage "IA, Maître du temps" Vers une éternité connectée? invite chacun à éclairer sa conscience face aux ruptures technologiques à venir.

• Langue: Français
• Éditeur: Les acteurs du savoir
• Date de sortie: 26 nov. 2024
• ISBN: 9782383591016

Aperçu du livre

Dédicace

À mon mari et à mes enfants

sans qui ce travail n’aurait pas vu le jour,

À tous les chercheurs, philosophes, experts en éthique

et membres de la Commission européenne et du Parlement européen avec qui nous avons tant partagé au cours

de la rédaction et négociation de l’IA Act,

les lois afférentes à la bioéthique en France et en Europe.

À mes chers relecteurs,

si habiles à rendre cet essai lisible et précis.

Préface

Dr Laurent Alexandre

L’ouvrage « IA, Maître du Temps » de Laetitia Pouliquen est la première exploration des impacts de l’intelligence artificielle (IA) sur notre rapport au temps et sur notre existence. L’auteur aborde ces questions complexes avec une rigueur philosophique profonde : l’IA sera-t-elle un instrument de progrès ou de domination ?

Laetitia Pouliquen présente une vision critique de l’IA, décrite comme une force capable de bouleverser notre rapport au temps et à la réalité. Elle évoque les dangers d’une société où la technologie prendrait le pas sur l’humain, transformant notre existence en une succession de moments désincarnés et contrôlés par des algorithmes. Selon elle, les bénéfices potentiels en termes de santé, d’éducation et d’amélioration des conditions de vie sont immenses mais moins importants que les risques existentiels. Sa crainte quant à une perte de contrôle sur notre propre temps est poignante même si elle ne nie pas que l’IA, correctement encadrée, peut nous permettre de repousser les limites de notre existence biologique et d’améliorer notre qualité de vie de manière significative. Elle met en avant l’accélération du temps induite par les technologies numériques, qui nous déconnecte de la réalité tangible et de nos rythmes biologiques, et voit dans cette dynamique une aliénation profonde, une rupture avec la continuité historique et culturelle de notre humanité.

L’une des préoccupations majeures de Laetitia Pouliquen est le Transhumanisme et ses promesses d’immortalité. Elle critique sévèrement cette quête d’une vie prolongée par la technologie, y voyant une déshumanisation et une perte du sens profond de notre existence temporelle. Pour elle, le Transhumanisme conduit moins l’Homme à l’émancipation qu’à la déshumanisation.

La crainte de l’immortalité technologique doit être balancée par la réalité des progrès médicaux qui peuvent soulager la souffrance et prolonger une vie en bonne santé. Il s’agit de trouver un équilibre entre innovation et éthique, un défi que nous devons relever collectivement. À moyen terme, les enjeux liés à l’IA et aux technologies convergentes deviennent encore plus complexes et cruciaux. D’ici 2100, l’humanité pourrait se trouver à un carrefour décisif. Les décisions prises aujourd’hui influenceront profondément notre avenir.

La question de savoir si l’humanité peut non seulement survivre mais aussi prospérer dans un monde dominé par l’IA est centrale. Laetitia Pouliquen exprime des préoccupations légitimes sur les risques de dépendance excessive à la technologie et la possibilité de perte de contrôle humain. Nous devons nous concentrer sur la manière dont nous pouvons adapter nos institutions, nos systèmes éducatifs et nos cadres éthiques pour intégrer ces technologies tout en préservant notre humanité et notre autonomie.

Enfin, l’un des défis les plus profonds sera de définir ce que signifie être humain à l’ère de l’IA. Laetitia Pouliquen s’inquiète de la potentialité de l’IA à redéfinir notre essence même, nous transformant en entités de plus en plus intégrées aux machines. Nous devons encourager une réflexion continue et des débats éthiques pour piloter ces défis.

En définitive, IA, Maître du Temps est une contribution essentielle au débat sur l’avenir de l’homme au moment de son dépassement par l’IA et plus généralement de notre rapport au Transhumanisme. Laetitia Pouliquen offre une analyse riche et nuancée, incitant à une réflexion critique sur notre rapport au temps et à la technologie. Notre défi est de construire un avenir où la technologie enrichit notre humanité sans la dominer, où le temps reste une dimension précieuse de notre existence, et où l’IA est un outil au service de notre épanouissement collectif. À l’horizon de 2100, notre monde sera bouleversé et Laetitia Pouliquen a raison d’affirmer qu’il est de notre responsabilité de préparer ce futur avec humanité.

Préambule

Cet essai sur le temps fait suite à Femme 2.0 – Féminisme et Transhumanisme¹. Il est né de trois constats. Le premier fut la prise de conscience de l’effet du temps sur ma propre vie : vieillissement du corps, temps suspendu lors du confinement mais aussi, a contrario, perception subjective d’accélération. Le deuxième constat fut l’étude d’impact des technologies NBIC², qui se développent plus vite encore que dans les projections proposées dans mon livre Femme 2.0. Le troisième fut l’irruption dans nos vies des philosophies transhumanistes et posthumanistes. Les tenants de ces courants de pensée, désireux d’améliorer la race humaine, de contrôler voire d’abolir les effets du temps sur nous, exercent une influence capitale sur le rapport humain au temps au point de devenir une question fondamentale.

Vous avez en main un livre rédigé à l’ancienne, sur la base de recherches et de réflexions et non par l’IA générative.

Enfin, le chirurgien Laurent Alexandre me fait l’honneur de préfacer mon essai dans une volonté de dialogue, afin de bâtir une réponse anthropologique respectueuse, démystifier nos peurs quant à une éventuelle extinction de masse et inciter les personnes et les entrepreneurs à bâtir leur stratégie IA, armés des bons outils de discernement. La thèse développée dans le dernier livre de Laurent Alexandre, ChatGPT va nous rendre immortels³, se lit en regard croisé avec la théorie du Massachussets Institute of Technology : Comment le risque existentiel est devenu le mème⁴ le plus important de l’IA⁵ ? Ces ouvrages nous forcent à nous positionner et à agir pour apporter des réponses satisfaisantes aux questions suivantes : serons-nous voués à l’inéluctabilité de l’évolution convergente des formes d’intelligence et de la fusion de la biologie humaine et technologique ? Le post-humain, version désincarnée et digitale de nous-même, sera-t-il immortel et un nouvel être humain sorti du temps et de l’espace ?

Ayant contribué au cadre juridique et éthique des règlements européens sur la digitalisation de l’Union européenne, je désire aller au-delà du principe fondamental de bienfaisance : d’abord ne pas nuire, Primum non nocere, au citoyen et au consommateur et proposer une approche de réalisme technologique grâce à une convergence de conceptions en matière d’anthropologie et de dignité humaine.

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1 Laetitia Pouliquen, Femme 2.0 Féminisme et Transhumanisme, quel avenir pour la femme ?, Éd. Saint Léger, 2016.

2 L’acronyme NBIC désigne les Nanotechnologies (études et manipulations des structures de la taille du nanomètre comme les atomes), Biotechnologies (études et modifications des êtres vivants, génomique et génie génétique), technologies de l’Information, stockage et échange de flux d’informations via l’informatique et les télécoms, Cloud computing) et Cognitives (descriptions et modélisation des fonctionnements de la pensée des êtres vivants ou non, comme l’Intelligence Artificielle ou IA).

3 Op.cit

4 Un mème est une association d’éléments en une seule unité signifiante dans laquelle il est possible de combiner texte, image etc.

5 Will Douglas, Comment le risque existentiel est devenu le MEME le plus important de l’IA, MIT Technology Review, Juin 2023.

Introduction

Ô temps ! suspends ton vol,

et vous, heures propices !

Suspendez votre cours :

Laissez-nous savourer les rapides délices

Des plus beaux de nos jours !

Le Lac, Alphonse de Lamartine

La condition humaine est marquée par la fuga-cité du temps. Humanité, contingence et temps sont intimement liés et influencent nos perceptions, nos pensées, nos croyances et nos modes de vie. Le temps ne se pense pas, ne se conçoit pas, ne se dit pas : il se raconte par la sensation de la durée, de l’heure à nos montres, par la météorologie etc. De plus, si le temps s’écoule immanquablement, il ne se possède pas : on ne peut donc en être le maître et le contrôler.

Or pour l’individu du xxie siècle, tout semble s’accélérer : accélération du rythme de la vie sociale, du tempo médiatique, des soubresauts politiques et même du changement de conjoints.

Et, particularité de notre époque, le tempo technologique s’est violemment précipité : la puissance et la capacité de nos ordinateurs et des serveurs doublent tous les dix-huit mois. Les premiers séquençages génomiques humains qui prirent dix ans et coûtèrent trois milliards de dollars à partir de l’an 2000, sont devenus pratique courante et quasi instantanée en laboratoire pour 400 euros en France en 2023 et 1 000 euros pour un séquençage total⁶. En 2024, les IA génératives créent de toute pièce des personnages présentant des expressions humaines très convaincantes et des paroles qui le sont encore plus à partir d’une photo. C’est ainsi que l’IA générative couplée à la robotique a permis de créer des personnages publics comme une ambassadrice ukrainienne virtuelle Victoria Shi et la première citoyenne saoudienne, l’androïde Sophia.

En matière de cellules souches humaines⁷, des entreprises proposent des technologies de production à haut débit : là où le laborantin devait attendre le cycle naturel de la multiplication cellulaire pour analyser une maladie ou développer une thérapie, la production cellulaire à haut débit, telle une photocopieuse, permet de disposer du matériel cellulaire immédiatement.

Une autre illustration de l’accélération inouïe du développement technologique de notre monde est l’explosion du nombre de donnée gérées dans le monde : les experts estimaient qu’il y en avait plus de 50 zettaoctets⁸ stockés sur la planète en 2023, et que ce chiffre doublerait d’ici 2025. Le marché de l’Intelligence Artificielle a représenté 197 milliards de dollars en 2023.

Au titre d’un dernier exemple de croissance exponentielle, citons le domaine du développement de médicaments où l’accélération du temps écoulé entre la recherche fondamentale et la mise sur le marché d’une nouvelle molécule après l’autorisation de commercialisation par les autorités de santé grâce à l’IA et aux données disponibles permet une vitesse inédite.

Cette accélération technologique est en passe de devenir une source d’aliénation car l’accélération intense du changement social, des styles de vie, des structures familiales et du rythme de vie provoquent stress, impression de manque de temps, de perte de contrôle et de danger imminent.

De plus, l’intelligence artificielle progresse à un rythme sans pareil de sorte que certains scientifiques prédisent l’avènement de la Superintelligence, celle qui dépasserait les capacités cognitives humaines dans tous les domaines, dès 2027. L’IA sans temporalité dépassera-t-elle l’intelligence humaine en singeant nos processus cognitifs ? Que resterait-il alors de notre humanité, même neuro-augmentée ?

Les médias occidentaux contribuent à ne parler que du présent : on est alors dans un « présentisme » urgent qui congédie le futur, l’avenir et l’espérance qu’ils portent. Or, par nature, l’être humain suit le cours du temps : le présent vient du passé et le mène inexorablement au futur. Les instants qui viennent n’existaient pas avant, et ce dans une succession qui ne s’arrête pas.

En 2021, Elon Musk écrit sur X : « Le temps est la monnaie la plus importante »⁹. Veut-il signifier que la rapidité des processus financiers et de production est génératrice de profits financiers comme dans l’adage « Le temps c’est de l’argent » ? Au vu de la pensée parfois indéchiffrable de Elon Musk, cette réflexion serait-elle plus subtile qu’elle n’en a l’air ? Voudrait-il dire que l’innovation est génératrice de changement majeur de la société par la maîtrise du temps ? Ou encore veut-il dire que le temps, seul bien immatériel non stockable, non échangeable, non achetable et irréversible, soit le seul qui vaille d’être possédé ? Est-il prophétique et désirable que l’être humain maîtrise le temps en devenant un être bionique neuro-augmenté à multiples niveaux de consciences et immortel, ainsi que le prône le philosophe britannique transhumaniste Nick Boström, caution morale des transhumanistes ?

Par ces quelques lignes introductives, on ressent immédiatement la complexité du principe même du temps, de notre incapacité à le définir et des multiples disciplines sur lequel il influe. Métaphysique, théologie, philosophie des sciences et du droit, astrophysique, mécatronique, intelligence artificielle, biologie… Quand bien même nous balayerions tous ces champs, nous n’aurions pour autant toujours pas fait le tour du concept du temps.

L’humanité est indéfectiblement liée à sa limite dans le temps. La nature humaine s’inscrit dans le temps, le temps de la naissance, de la vie et de la mort. Dans ce contexte, les propositions transhumanistes de longévité et d’immortalité pourraient-elles nous libérer de ce qu’ils disent être nos archaïsmes ? Nous permettraient-elles d’améliorer notre liberté, notre discernement, d’apporter un sens et une direction à nos vies ; ou bien nous asserviraient-elles par cette négation de notre finitude en nous conduisant à un être dénaturé ?

Or, les transhumanistes désirent aller plus loin encore que l’accélération technologique vécue dès le milieu du xixe siècle. S’ils visent à modifier le vivant en vue d’un être humain hybridé, performant et augmenté, c’est pour éliminer la mort : la maîtrise du temps devient donc une