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Improviser le reste: Études noires, risques poétiques, relationalité décoloniale
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Improviser le reste: Études noires, risques poétiques, relationalité décoloniale
Livre électronique302 pages3 heures

Improviser le reste: Études noires, risques poétiques, relationalité décoloniale

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À propos de ce livre électronique

Comment suggérer, étudier et créer, à partir d’une posture noire, des possibilités et des formes de relationalités entre perspectives libératrices et décoloniales noires et autochtones au Québec ? Après avoir mis en place, dans cet ouvrage, une poétique relationnelle comme espace conceptuel, l’auteur présente trois études ouvrant le dialogue entre le radicalisme noir et les cultures politiques w8banaki, kanien’kehà:ka et innue.
LangueFrançais
ÉditeurPresses de l'Université de Montréal
Date de sortie9 sept. 2024
ISBN9782760650497
Improviser le reste: Études noires, risques poétiques, relationalité décoloniale

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    Aperçu du livre

    Improviser le reste - Philippe Néhéh-Nombré

    PHILIPPE NÉMÉH-NOMBRÉ

    IMPROVISER LE RESTE

    Études noires, risques poétiques, relationalité décoloniale

    Les Presses de l’Université de Montréal

    DÉJÀ PARUS

    La généalogie du déracinement. Enquête sur l’habitation postcoloniale

    Dalie Giroux

    Robert Hébert. La réception impossible

    Sous la direction de Dalie Giroux et Simon Labrecque

    Tu vois ce que je veux dire? Illustrations, métaphores et autres images qui parlent

    Clément de Gaulejac

    Enjeux du contemporain en poésie au Québec

    Sous la direction de Joséane Beaulieu-April et Stéphanie Roussel

    Parler avec les animaux

    Sous la direction de Charles Deslandes, Dalie Giroux et David Jaclin

    Mise en pages: Yolande Martel

    Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada

    Titre: Improviser le reste: études noires, risques poétiques, relationalité décoloniale / Philippe Néméh-Nombré.

    Nom: Néméh-Nombré, Philippe, 1991- auteur.

    Collection: Terrains vagues.

    Description: Mention de collection: Terrains vagues | Comprend des références bibliographiques.

    Identifiants: Canadiana (livre imprimé) 20240008553 | Canadiana (livre numérique) 20240008561 | ISBN 9782760650473 | ISBN 9782760650480 (PDF) | ISBN 9782760650497 (EPUB)

    Vedettes-matière: RVM: Personnes noires—Québec (Province)—Conditions sociales. | RVM: Personnes noires—Québec (Province)—Histoire. | RVM: Premières Nations—Québec (Province)—Conditions sociales. | RVM: Premières Nations—Québec (Province)—Histoire. | RVM: Québec (Province)—Relations raciales—Histoire. | RVM: Décolonisation—Québec (Province)

    Classification: LCC FC2950.A1 N46 2024 | CDD 305.8009714—dc23

    Dépôt légal: 3e trimestre 2024

    Bibliothèque et Archives nationales du Québec

    © Les Presses de l’Université de Montréal, 2024

    www.pum.umontreal.ca

    Cet ouvrage a été publié grâce à une subvention de la Fédération des sciences humaines de concert avec le Prix d’auteurs pour l’édition savante, dont les fonds proviennent du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada.

    Les Presses de l’Université de Montréal remercient de leur soutien financier le Fonds du livre du Canada, le Conseil des arts du Canada et la Société de développement des entreprises culturelles du Québec (SODEC).

    AVANT-PROPOS

    Ce jour-là, c’était en 2003, j’ai perdu quelque chose, j’ai eu l’impression de perdre quelque chose. Une place, peut-être la mienne: quelque chose comme ma place. L’impression de perdre quelque chose et puis, rapidement, j’aimerais dire en même temps mais c’est un peu flou, non plus une impression, mais le sens de pouvoir vivre la perte sans objet, sans objet perdu, de pouvoir vivre la perte sans perdre quelque chose. Ce jour-là, j’ai eu l’impression de perdre ma place au moment même où j’ai compris ne pas l’avoir eue, ne pas l’avoir.

    Au début du secondaire, je n’étais pas l’élève le plus sage, le moins turbulent, mais cet après-midi-là je n’avais rien demandé à personne. À mon souvenir, le cours commençait comme tous les autres, durant de longues minutes le professeur parlait de ceci et de cela, de sa fin de semaine, de ses enfants, de tout sauf de racine carrée, de base et d’exposant. Je me souviens avoir été distrait, dissipé, occupé ailleurs, je ne me souviens plus très bien, mais je me souviens avoir été distrait jusqu’à entendre: «par exemple, Philippe, c’est mon petit nègre». Je me souviens avoir été distrait, ne pas comprendre ce que l’exemple illustrait, et distrait comme je l’étais j’aurais probablement douté – j’ai dû mal entendre, mal comprendre – s’il ne l’avait pas répété, puis encore une troisième fois, s’il n’avait pas insisté autant, insisté encore. «Monsieur, ne m’appelez pas comme ça.» C’est à ce moment, à cet instant précis ce jour-là, que je perdrais sa tolérance, sa tolérance de ma présence, en choisissant de ne pas accepter ses modalités. C’était une façon de parler, ce n’était pas raciste, il n’était pas raciste, et parce que j’avais osé le suggérer je serais exclu du cours de mathématiques, la porte de la salle deviendrait une frontière, jusqu’à des excuses formelles.

    Retenues, convocations devant la direction, convocations de mes parents devant la direction aussi, qu’ils apprécient mon insolence. Et l’affaire se réglerait quelque deux semaines plus tard lorsque j’accepterais finalement de m’excuser. Je reviendrais m’asseoir, autrement, à cette place que je n’avais pas et que je savais maintenant ne pas avoir. Ce n’était pas la première fois, pas la première expérience de l’extériorité, j’avais douze ans et à cet âge j’avais par exemple déjà passé quelques heures dans un poste de police, mais je me souviens de cette fois comme de la première fois où j’ai senti la perte sans objet, sans objet perdu. On ne perd pas sa place quand on est un petit nègre et cette première fois ne serait la première fois que parce qu’elle se reproduirait, que parce qu’elle se reproduit encore. On ne perd pas sa place quand on est un petit nègre, mais on peut prendre la mesure de son absence, comprendre la perte, son sentiment et sa matérialité, sans objet perdu, et l’investir. Ce jour-là, j’ai perdu ce que je n’avais pas, cette place, pour vouloir la trouver autrement.

    * * *

    Le livre qui suit naît de la perte de cette place que nous n’avons pas, mais que nous trouvons autrement, naît des rencontres que j’y ai faites. Il naît de la cadence du hip-hop, il naît des camarades de lutte. De la ruse de Suzanne Césaire, de la violence de Frantz Fanon, des spirales d’Édouard Glissant. De la détermination du Balai citoyen, du legs tortueux de Thomas Sankara. De la précision de Sylvia Wynter et de la rigueur de Saidiya Hartman, de la complexité de Fred Moten, de la justesse de Hortense Spillers. Des percussions de Farafina et de la voix d’Angela Davis. Des échappées marronnes, des en-dehors, des refus violents. Il naît du rythme noir de la pensée et du geste de l’autrement qui n’a pas sa place. Et pour cela, il naît, aussi, des rencontres que j’aurais voulu y faire plus tôt: avec les pensées et les gestes autochtones qui eux font leur place en la retrouvant, en la recréant, en la continuant, les pensées et les gestes pour qui la perte a un objet nommé territoire et souveraineté, ici dans cet espace qui s’appelle notamment le Québec. Avec les pensées et les gestes qui retrouvent, recréent et continuent leur place, dérobée aussi mais autrement, là où nous faisons la nôtre au creux des intimités afrodiasporiques.

    Le livre qui suit naît de la place que nous créons, vers la place que ces autres pensées et gestes retrouvent, recréent, continuent. Il n’a pas sa place et son intention est de contribuer à proposer un espace nouveau, une place nouvelle, ici.

    INTRODUCTION

    Dans les premières pages de Peau noire, masques blancs, Frantz Fanon confie: «Il y a trois ans que ce livre aurait dû être écrit… Mais alors les vérités nous brûlaient. Aujourd’hui elles peuvent être dites sans fièvre» (1952, 9). L’une des contradictions de la violence coloniale et raciale est qu’elle prépare les conditions de possibilité de ce qui la critique et lui résiste, et prépare les possibilités de relations entre ces lieux de critique et de résistance; à l’inverse, l’une des contradictions de la critique et de la résistance à la violence coloniale et raciale, et des relations entre ces lieux de critique et de résistance, est la violence de leurs conditions de possibilité. Jusqu’à récemment, jusqu’à très récemment c’est cette inversion, cette seconde contradiction qui me brûlait surtout. Elle brûle encore, et je ne crois pas que Fanon ait écrit sans fièvre, je sais que Fanon n’a pas écrit sans fièvre. Mais elle brûle différemment. Les idées qui se trouvent dans ce qui suit ne sont pas la fin de la brûlure, ou de la fièvre, mais son déplacement peut-être, ou au moins sa prise, sa reprise. Les idées qui se trouvent dans ce qui suit occupent consciemment l’espace de ce qui brûlait et brûle, y restent, restent dans son impossibilité pour mieux investir les termes de la première contradiction, et faire de la seconde une préface qui reste et qu’on quitte. La modernité occidentale, comme son mode de production, comme son ordre épistémologique, comme le monde qu’elle continue de créer, doit plusieurs des paramètres de son existence à la production de l’abjection noire et à la production de l’effacement de l’autochtonie. J’occupe et je suis occupé par la première de ces productions. Et je veux tendre, là où je suis, vers celles et ceux qui occupent et sont occupé-e-s par la seconde, pour devenir ensemble en excès de ce qui nous occupe.

    Ce livre entreprend donc une série d’interruptions, de tentatives, d’invitations et d’erreurs qui ensemble forment une proposition théorique et méthodologique noire, ou plutôt des propositions théoriques et méthodologiques noires, certaines évoquées en fragments ailleurs 1 et dépliées ici, pour envisager des espaces de relations libératrices et décoloniales noires et autochtones au Québec. Pour cela, il affirme aussi, et en même temps, les études noires au Québec; il s’y inscrit pour formuler et déployer les propositions qui sont faites.

    * * *

    Les spécificités des positions et des conditions noires et autochtones dans les Amériques post-Christophe Colomb, de même que leurs imbrications dans la fabrique de la modernité occidentale, ont fait l’objet d’une attention considérable au cours des deux dernières décennies. Les discussions en ce sens s’inscrivent, pour l’essentiel, directement dans ou à la suite d’une tradition intellectuelle et politique de réflexions hétérogènes sur et contre les antagonismes et les relations multiples relevant de l’ordonnancement euromoderne du monde à partir, surtout, de 1441 (l’esclavage trans­atlantique) et de 1492 (la colonisation d’occupation). Elles envisagent, à cet égard, l’esclavage transatlantique et la colonisation d’occupation comme conditions de possibilité interdépendantes de l’existence européenne et eurodescendante en Amérique: des processus ou des structurations ontogénétiques imbriqués, et impliquant conséquemment une attention particulière à ces relations partout sur le continent. Cette attention, nécessairement, s’articule différemment selon les espaces géographiques et les processus historiques qui structurent autant les rapports entre ces groupes que les constructions nationales-coloniales particulières et les positions relationnelles noires et autochtones qu’elles prévoient. Plusieurs études empiriques et théoriques états-uniennes, caribéennes, sud-américaines et de l’Amérique centrale se sont ainsi intéressées tant à l’ampleur singulière et à la prégnance des dépossessions et oppressions noires et autochtones dans les Amériques post-1492 qu’aux correspondances, similarités, recoupements et distinctions entre les processus qui structurent ces positions et, conséquemment, à la nécessité d’explorer les (possibilités de) relations entre ces groupes et entre leurs perspectives transformatrices pour s’en déprendre 2.

    Au Canada, pourtant, malgré des antagonismes et des relations relevant, autant qu’ailleurs dans les Amériques, d’une structuration permise par l’esclavage et la colonisation, une telle attention aux jonctions et disjonctions des positions et conditions noires et autochtones n’émerge que très timidement, demeure marginale et disparate. Et ce, malgré les particularités statistiques, démographiques, historiques, culturelles, économiques et politiques du contexte canadien qui mettent en relief des dynamiques distinctes, mais non moins violentes qu’ailleurs dans les Amériques, procédant entre autres de l’histoire des présences et absences noires et du paradigme légal et territorial de la colonisation française, britannique, puis canadienne et québécoise. Une attention marginale et disparate au Canada malgré la spécificité du contexte, mais de manière plus surprenante encore, une attention à ce jour quasi inexistante dans la recherche francophone et dans les dynamiques spécifiques du contexte québécois où pourtant, encore, les rapports politiques, économiques et sociaux nécessitent des analyses particulières: en fonction des dynamiques linguistiques, du dialogue législatif entre paliers gouvernementaux, des prétentions de souveraineté impériales, canadiennes et québécoises, de la construction des frontières ethniques et raciales en lien avec les récits, mythologies et projets nationaux franco-québécois, et conséquemment en fonction de la double complexité de la colonialité et de la structuration raciale. Une attention marginale et disparate en contexte canadien, quasi inexistante en contexte francophone et québécois, mais à travers ces silences se décline cependant une ouverture: peu audible peut-être, et certainement d’une portée correspondant à sa présence institutionnelle précaire, mais c’est à ces dynamiques que s’intéresse entre autres la tendance croissante dans les études noires canadiennes à contextualiser les expériences noires, la déclinaison spécifiquement canadienne de l’esclavage transatlantique de même que le racisme antinoir dans – et en interaction avec – les paramètres historiques et contemporains de la colonisation d’occupation au Canada. Les travaux des vingt dernières années, surtout ceux engageant la colonialité et se réclamant entre autres de la pensée et de la praxis de Sylvia Wynter de même que de l’héritage de Frantz Fanon (voir notamment Maynard 2020; Maynard et Simpson 2022; McKittrick 2007, 2015 et 2020; Néméh-Nombré 2023 et 2024; Sharpe 2016; Walcott 2014; Zellars 2020), s’attellent de plus en plus à identifier, documenter et contextualiser les liens évidents entre la présence noire au Canada, de la pratique d’un esclavage spécifique sous les régimes français et britannique aux migrations africaines et caribéennes contemporaines, et la structuration du projet colonial canadien. Cette importante ouverture, cependant, se referme aussitôt qu’il s’agit des dynamiques propres au contexte québécois, et aussitôt qu’il s’agit de la littérature savante francophone.

    Sur la base des silences et des absences de la littérature, sur la base aussi des ouvertures qui se referment, ce livre entreprend de suivre, pour y contribuer, dans le contexte du Québec, l’impulsion des études noires canadiennes à penser les relations et les possibilités de relations entre perspectives noires et autochtones. Il pose plus spécifiquement la question suivante: comment suggérer, étudier et créer, à partir de la posture noire qui est la mienne, des possibilités et des formes de relationalité entre les perspectives libératrices et décoloniales noires et autochtones au Québec? Ce livre ne construit pas à partir de ce qui est, mais plutôt de ce qui pourrait être et s’inscrit en cela, comme le précisera le premier chapitre, dans l’héritage de la «sociologie hésitante» de W.E.B. Du Bois pour suggérer, étudier et créer, à partir de trois des principales tendances de la tradition radicale noire, des espaces à venir de relations libératrices et décoloniales noires et autochtones au Québec.

    La tradition radicale noire tient son nom du magnum opus de Cedric Robinson, Black Marxism: The Making of the Black Radical Tradition (2000), dans lequel il identifie la continuité (historique, politique et intellectuelle) du radicalisme noir comme tradition de résistance et, donc, de pensée libératrice, c’est-à-dire comme pratique de lutte et, donc, de réflexion, étude et théorisation normativement orientées en fonction de l’abolition de toute forme d’oppression. Dans cette continuité se dégagent de manière particulièrement saillante la pensée-praxis de la fuite, la destruction radicale noire ainsi que la critique et la redéfinition de la description de l’humanité. Dans cette perspective, ce livre affirme aussi, et en même temps, la spécificité de ces tendances radicales noires au Québec, et déploie dans ce contexte précis une méthode «adisciplinaire», mise en place à partir de la pratique du déchiffrement chez Sylvia Wynter et de celle de l’assemblage curieux chez Katherine McKittrick.

    * * *

    Dans un bar, dans un festival, dans un parc, dans une salle de spectacle: faire se fondre, se confondre, se suivre, se superposer deux morceaux. Ils ont été choisis pour le lieu et le moment (le bar, le festival, le parc, la salle, l’après-midi, le soir, la nuit), leur ordre aussi, et la manière de les superposer temporairement. Ici les percussions sont isolées sur quatre mesures, là les cuivres sont seuls sur huit. Le premier morceau sera un peu accéléré pour atteindre 115 bpm, le deuxième y est déjà, prêt à arriver, aligné au bon endroit. Ici les fréquences hautes seront coupées, là les fréquences basses. Le dialogue, la superposition se fera sur seize temps, éventuellement en boucle pour faire durer la texture, avec de la réverbération peut-être, ou un effet de flanger.

    Il se peut aussi que les morceaux se suivent sans se fondre, se confondre, se superposer. Peut-être qu’ils s’y prêtent moins bien, peut-être que le sens de leur proximité n’est pas dans leur superposition; peut-être que l’un commence quand l’autre finit. Peut-être aussi qu’au moment prévu la transition sera interrompue, ou altérée: une question, un impératif technique, un verre renversé, une idée nouvelle. Ou peut-être que dans le b2b (back-to-back), dans l’aller-retour spontané et contextuel entre deux ou plusieurs DJ, entre la sélection d’Arielle et de Justin, entre la mienne et la leur, peut-être que lui veut passer du dancehall au kologo, qu’elle veut revenir de l’afro-house vers une rythmique dembow, et que de là je me dirige vers le singeli, ou le hip-hop. Peut-être que nous l’avons planifié un peu, que la collaboration est aisée; peut-être que non, peut-être qu’elle est tortueuse, entre nous ou entre les morceaux. La manière de partager s’articule à ce qui est partagé, à son contexte, son moment, son rapport avec ce qui précède et ce qui suit. Le mix détermine et à la fois dépend de ce qui est mixé et de ce qui est convié par ce qui est mixé. Notre petit collectif s’est appelé Palma Disco et en 2018 nous expliquions au magazine Bolting Bits: «So yeah, we try to curate panafrican and diasporic black music, and disrupt the way we listen to it and experience it in white settler societies» (Bolting Bits 2018).

    La – prétention à la, ou volonté de – discipline, entendue comme principe et procédure de la (re)production légitime et légitimée de connaissances, est une violence et, ici, une impossibilité pour appréhender certaines potentialités et possibilités. Cette idée a été plusieurs fois suggérée de différentes façons, selon des ancrages distincts, des intentions distinctes. La perspective que je reprends ici est celle de Sylvia Wynter.

    Sylvia Wynter propose une périodisation des définitions et redéfinitions européennes de l’être humain, ou autrement dit des termes et vérités dans lesquels sont comprises et reconduites les différentes projections, par différenciation vis-à-vis d’une abjection signifiante (1992), du mode d’être humain. Partant de la distinction de valeur ontologique entre les cieux et la terre qui présidait à la compréhension de l’être humain dans la Grèce antique, donc permettant la sociogenèse et organisant le sociopolitique, Wynter documente les mutations et les ruptures qui adviennent dans les déplacements dudit principe ontologique d’organisation à travers le Moyen Âge, la Renaissance humaniste et la modernité tardive. D’une distinction constituante entre le cosmos et la terre chez les Grecs, et en passant par la christianisation de cet ordre cosmique en une distinction entre la chair et l’esprit au cours du Moyen Âge, la modernité européenne se déploie finalement selon les lignes de la sécularisation humaniste d’une compréhension théocentrique de l’humain: les explorations coloniales permettent le déplacement ou

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