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Pandémie et complotisme
Pandémie et complotisme
Pandémie et complotisme
Livre électronique610 pages8 heures

Pandémie et complotisme

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À propos de ce livre électronique

Essentiellement, ce livre condamne le complotisme mais en même temps permet aux lecteurs de mieux différencier complot et complotisme. Cette distinction est importante.

Un complot fait référence à un fait de manipulation avéré. On parle de complot pour évoquer une réalité historique où un petit groupe a manipulé l’opinion publique à l’aide d’un faux témoignage. C’est aussi un projet concerté en secret par un groupe restreint avec une intention malveillante.

Le complotisme pour sa part, décrit une attitude qui implique la recherche systématique des complots, partout, tout le temps. Ce terme, apparu il y a environ 200 ans, fait référence à l’attitude de méfiance systématique envers certaines informations provenant d’institutions officielles. Notamment, la presse traditionnelle, les gouvernements ou politiciens, les industries pharmaceutiques; prétendant qu’elles mentent et que des individus ou des groupes tirent les ficelles de manière plus ou moins secrète dans l’ombre!

Des exemples concrets vous sont présentés afin de bien comprendre les conséquences de la pandémie COVID-19. Pour ce faire, nous avons consulté les plus grands spécialistes; des microbiologistes, infectiologues et spécialistes de la santé publique.

«Pandémie et complotisme» s’adresse à tous les lecteurs curieux d’en savoir davantage su la pandémie que nous vivons.

Bonne lecture !
LangueFrançais
Date de sortie30 août 2023
ISBN9782898312281
Pandémie et complotisme
Auteur

Gilles Petel

Gilles Petel a commencé sa carrière en journalisme à la radio de CKVL Verdun, où il a occupé le poste de Directeur information et Affaires publiques, pour ensuite travailler pendant 26 ans à la télévision de Radio-Canada. Après sa retraite de Radio-Canada, il a, entre autres, animé une émission d’affaires publiques «À vous de juger», pendant sept ans à la télévision communautaire canadienne de Vidéotron. M. Petel a également réalisé et animé un document d’une heure diffusé sur Vidéotron, intitulé «Drame humain à Gaza».

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    Aperçu du livre

    Pandémie et complotisme - Gilles Petel

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    PRÉFACE

    Je veux d’abord dédier ce livre à tous les travailleurs et travailleuses de la santé publique qui, tout au long de la pandémie du Coronavirus, ont risqué leur vie quotidiennement, et trop souvent à cause des complotistes qui refusaient de respecter les mesures sanitaires et qui invitaient les populations à travers le monde, à s’opposer à toutes ces mesures absolument nécessaire afin d’éradiquer l’épidémie. Il est bon également de préciser que, de sa découverte en novembre 2019 à Wuhan en Chine et de sa propagation à partir de février 2020, jusqu’à la fin de l’année 2021, la COVID-19 est un véritable phénomène de destructions massive, faisant à ce jour, plus de 310 millions de victime et de 5,7 millions de décès dans le monde. C’est la plus meurtrière de l’histoire après la grippe espagnole de 1918-1919. Ce bilan, qui prend en compte les décès comptabilisés par les autorités de santé nationales de divers gouvernements, ne représente qu’une part des décès réellement liés au coronavirus. Pour sa part, l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) estime qu’en considérant la surmortalité directement et indirectement liée à la COVID-19, le bilan de la pandémie pourrait être deux et même trois fois plus élevé que celui officiellement recensé !

    Dans ce livre, vous découvrirez dans un premier temps, les multiples visages de la théorie du complot et ceux du complotisme. Le complot, est-il nécessaire de le rappeler, de Jule César à Donald Trump, c’est vieux comme la nuit des temps, alors que selon différentes études, le complotisme est relativement récent, ayant apparu il y a environ 200 ans. Dans un deuxième temps, vous ferez connaissance des plus importants et souvent des plus dangereux complotistes de la planète en commençant par ceux qui prolifèrent chez-nous, au Canada et au Québec. Je vous ferai également découvrir à qui profite cette pandémie. Avec la venue du coronavirus Covid-19 et la pandémie qu’il a déclenché, ce que j’appelle la « complosphère » a littéralement explosé. J’ai aussi essayé d’expliquer en quoi consiste ce phénomène comprenant les anti-vaccins, les anti-masques, et de définir ce que sont les complotistes, les conspirationnistes et même les négationnistes. Il est alors important de faire la distinction entre les complots et les complotistes. Les complots, les machinations et les manipulations existent et ont toujours existé. En revanche, le complotisme relève de la croyance en des conspirations imaginaires. Il désigne l’attitude consistant à substituer abusivement à l’explication communément admise de certains phénomènes sociaux ou événements historiques, un récit alternatif qui postule l’existence d’une conspiration qui n’est évidemment jamais démontrée clairement. La définition du Petit Larousse rejoint cette idée : conspirationniste, se dit de quelqu’un qui se persuade et veut persuader autrui que les détenteurs du pouvoir, politique ou autre, pratiquent la conspiration du silence pour cacher des vérités ou contrôler les consciences.

    Le philosophe grec Platon proclamait que la perversion de la Cité commence par la fraude des mots. Il avait raison et la pandémie de la COVID-19 nous en donne de multiples exemples. Comme en font la démonstration plusieurs organismes d’information, dont entre autres, le quotidien « Le Monde », journal francophone de référence le plus diffusé et le plus lu de la planète, la théorie du complot peut être utilisée de façon idéologique ou politique. Sous forme d’accusation, elle peut servir à discréditer une opinion ou une théorie qui, sans pour autant être conspirationniste, fait intervenir l’interprétation d’intentions humaines. À ce propos, le sociologue français Patrick Champagne et son compatriote, le professeur et politologue Henri Maler, dénoncent les limites floues du concept de théorie du complot. Ils dénoncent l’usage abusif de l’expression pour étiqueter une théorie ou une opinion, en particulier dans l’espace médiatique où cela peut avoir des conséquences diffamatoires.

    Par ailleurs, lorsque le philosophe américain Noam Chomsky et son collègue Edward Herman, spécialiste des médias, ont élaboré leur modélisation du fonctionnement des média de masse américains dans leur livre « La fabrication du consentement, de la propagande médiatique en démocratie », ils ont été accusés de propager une théorie du complot par certains détracteurs. Chomsky, qui est lui-même généralement critique envers les théories du complot, rejette l’accusation et dit n’avoir produit qu’une simple analyse institutionnelle. Herman, quant à lui, voit dans l’accusation un cliché superficiel et une critique facile qui ne coûte rien. Dans un article de 2017, Frédéric Lordon, économiste et philosophe français, écarte les explications psychologiques du conspirationnisme, estimant que celui-ci traduit la contradiction entre la volonté de savoir des classes dominées et leur absence d’accès aux moyens de savoir. En 2015, il est l’auteur d’un article dans un dossier du « Monde diplomatique » consacré aux théories du complot, dans lequel il envisage l’adhésion à celles-ci comme la contrepartie d’un manque de transparence répandu. Selon lui, le conspirationnisme n’est pas une psychopathologie de quelques égarés, il est le symptôme nécessaire de la dépossession du politique et de la confiscation du débat public. La même année, Lordon publie un nouvel article sur le sujet intitulé « Le complot des anticomplotistes ». Il avance notamment que les accusations de complotisme seraient le moyen commode que les tenants de l’ ordre social utilisent pour disqualifier leurs adversaires quand ils se trouvent à court d’arguments. Ces accusations seraient devenues le nouveau lieu de la bêtise journalistique.

    DE LA PESTE À LA COVID-19

    Dans son livre, « Brève histoire du Québec », Denis Goulet, professeur associé à la faculté de médecine de l’Université de Montréal, est spécialiste en histoire de la médecine et des maladies, aborde les épidémies d’hier à aujourd’hui au Québec. Il raconte entre autres, que du choléra au sida, en passant par le typhus, la variole, la grippe espagnole et la H1N1, le Québec a subi, comme le reste du monde, de grandes épidémies. Entre la peste du XIVe siècle et la pandémie de la COVID-19, la compréhension des modèles de transmission a toutefois grandement évolué, et est passé au cours de cette période des croyances magico-religieuses à une approche scientifique de la maladie. Goulet dresse un portrait des grandes épidémies qui ont marqué le Québec depuis le XIXe siècle et présente les différents modèles explicatifs des causes des maladies infectieuses qui ont parsemé cette période. Ainsi, on apprend que l’évolution des réactions, des attitudes et des comportements de la population face à des fléaux qui ont bouleversé sa vie quotidienne, est absolument remarquable. On se rend compte également des difficultés des pouvoirs publics à réagir efficacement face à ces maladies, parfois nouvelles, et dont l’ampleur dépassait les moyens de prévention de cette époque.

    Depuis le XIXe siècle, le Québec, a été touché à plusieurs reprises par des épidémies et les façons d’en limiter les effets ont considérablement varié au fil du temps. Il en est de même des attitudes, des représentations et des modèles explicatifs qui ont ponctué l’histoire de ces épidémies. Il faut souligner aussi qu’elles sont liées à des contextes socioculturels et économiques particuliers. Les épidémies de choléra et de typhus sont largement liées à l’arrivée massive d’immigrants et aux échanges marchands qui s’accroissent avec l’Europe. D’autres maladies infectieuses endémiques comme la tuberculose, la diphtérie et les maladies diarrhéiques, qui tuent quasiment un enfant sur cinq, sont directement liées à la pauvreté des populations les plus touchées. La variole, cette maladie, dénommée aussi petite vérole, est causée par un orthopoxvirus dont la contagion principale est provoquée par les contacts interhumains. L’insalubrité et l’exiguïté des logements sont les principales causes sociales de sa propagation.

    Rappelons que c’est au début du XIXe siècle qu’est utilisé par les médecins, le premier vaccin de l’histoire, l’antivariolique. Il est issu de l’observation que la variole des vaches transmise à des humains permet de les immuniser contre la variole humaine, maladie alors très meurtrière. Dès 1821, une loi pour encourager l’inoculation de la vaccine favorise cette nouvelle pratique préventive et une vaste campagne permet de vacciner, entre 1815 et 1822, plus de 32 000 personnes au Canada. Cependant, l’absence d’une connaissance des causes réelles et des vecteurs de maladies infectieuses, la qualité très variable du vaccin antivariolique et, surtout, la transmission de maladies à plusieurs vaccinés font en sorte que cette approche donne, à cette époque, des résultats mitigés. Soulignons que les instruments pour injecter la variole des vaches n’étant pas désinfectés, certains microbes pouvaient se faufiler chez le vacciné. Du reste, de nombreux médecins s’opposaient à cette pratique qu’ils ne connaissent guère. Après un premier engouement pour la vaccination, les autorités préfèrent ensuite s’en remettre aux mesures de quarantaine, à l’isolement des malades et à la désinfection des habitations. Ce nouveau procédé préventif tarde donc à s’implanter et il ne fit guère l’unanimité jusqu’à la fin du siècle et au-delà. Des épidémies de variole plus ou moins sévères ponctuent les années 1800 jusqu’à celles, plus importantes, de 1875 et 1885.

    La première survient à l’été 1875 et frappe principalement les villes portuaires en bordure du Saint-Laurent. La ville de Montréal est durement touchée et l’Hôpital civique des variolés, mis sur pied l’année précédente, ne suffit plus à accueillir les patients. Les autorités, débordées et à court de moyens pour endiguer l’épidémie, décident de rendre obligatoire la vaccination, au risque d’aviver les tensions entre les autorités municipales et la population. De fait, comme nous le verrons dans ce livre, une telle mesure adoptée sans consultation de la population provoque de graves émeutes dans la ville de Montréal. Peu après la fin de l’épidémie, le Dr. Joseph Emery-Coderre, professeur à l’École de médecine et de chirurgie de Montréal, réussi à convaincre quelques collègues de former la « Ligue contre la vaccination compulsoire », le nom qu’on donnait à la vaccination obligatoire à l’époque. Comme on peut le constater, 140 ans plus tard, on se rend compte qu’on a rien inventé ! Elle sera dissoute quelques années plus tard. Le Dr. Emery-Coderre fait par ailleurs paraître une brochure intitulée « Étude sur les effets de la vaccination »qui dénonce cette pratique qu’il juge très dangereuse. Le mouvement contre la vaccination obligatoire commence dès lors à prendre des proportions importantes, mais le retrait de cette mesure par les autorités sanitaires calme le jeu. D’autant que la profession médicale est divisée sur cette question. L’histoire se répète en 1885 alors qu’une autre épidémie de variole frappe durement Montréal. Au plus fort de l’épidémie, soit vers la mi-septembre, 30 personnes par jour meurent de la variole à Montréal et 218 dans la seule semaine du 16 au 23 septembre. Ce sont surtout les enfants qui sont atteints par la maladie. Les docteurs William Hingston et Emmanuel Persillier-Lachapelle recommandent la vaccination, mais certains médecins, dont évidemment le Dr. Emery-Coderre, la déclarent inutile ou dangereuse.

    Débordée par l’ampleur de l’épidémie, la Ville de Montréal se range du côté des partisans de la vaccination antivariolique et la rend à nouveau obligatoire. Une telle mesure coercitive et improvisée est adoptée sans qu’on ait fourni aux citoyens des informations sur cette pratique déjà largement controversée. Une certaine partie de la population, affolée par l’épidémie, refuse la vaccination. Il y a aussi des résistances à d’autres mesures fort impopulaires telles que l’isolement des malades, le placardage des maisons contaminées ou encore l’obligation d’hospitaliser les enfants atteints de la maladie. Le journal « Herald » attise la colère en attribuant l’épidémie à la malpropreté de la population canadienne-française. Des émeutes éclatent les 28 et 29 septembre et la foule lacère les affiches ordonnant la vaccination ou placardées sur des maisons contaminées. Elle assiège le bureau de santé du faubourg de l’Est, y met le feu, puis se dirige vers l’hôtel de ville et y brise des vitres. La police charge à coups de bâton. La foule, un moment dispersée, se reforme pour briser les vitres du « Herald » et pour menacer les maisons des médecins vaccinateurs. Le maire Beaugrand fait appel à 600 militaires pour faire respecter l’ordre. Les vaccinateurs doivent se faire accompagner par des policiers.

    Une directive de Mgr Charles-Édouard Fabre, troisième archevêque du diocèse de Montréal, enjoint aux fidèles de se laisser vacciner. Mais de nombreux opposants à la vaccination laissent courir la rumeur que le vaccin est plus dangereux que la variole et qu’il est susceptible de causer des décès. À terme, l’épidémie fauche près de 6000 personnes, parmi lesquelles on compte plus de 3000 victimes à Montréal. Pour l’ensemble du Québec, près de 20 000 personnes sont atteintes de la maladie et 13 000 demeurent défigurées pour la vie. L’apparition successive de ces épidémies au XIXe siècle pousse les autorités politiques et médicales à mettre en place les premières mesures d’assainissement publiques. Les épidémies de choléra et de typhus renforcent les proclamations de quarantaine et incitent les autorités à instaurer un examen médical obligatoire pour les immigrants et à mettre sur pied des bureaux de santé temporaires qui pourront, en cas de besoin, ordonner des mesures de nettoyage et de purification.

    MONTRÉAL 1885

    Voyons maintenant avec plus de détails, comment cela se passait à Montréal, pendant l’épidémie cette époque, en 1885. Comme je l’ai déjà mentionné, le complotisme est apparu il y a environ 200 ans. Or, vous découvrirez qu’on a rien inventé quand il s’agit de complotistes anti-vaccin. En effet, la journaliste et chroniqueuse Isabelle Hachey du quotidien « La Presse », avec qui j’ai eu l’occasion d’en discuter, nous le rappelle dans un article publié au mois d’août 2021. C’était donc il y a donc environ 138 ans, à Montréal : « Hier soir, une foule d’individus, parmi lesquels on remarquait nombre de gens étrangers à la ville et beaucoup de gamins de 10 à 15 ans, se sont livrés à des excès des plus regrettables ». Ainsi commence le reportage de « La Presse » du 29 septembre 1885. En pleine épidémie de variole, 2000 manifestants protestaient non seulement contre la vaccination obligatoire, mais aussi contre les mesures sanitaires et contre la preuve vaccinale exigée par de nombreux patrons, sous peine de congédiement immédiat. La veille, une manifestation avait tourné à l’émeute à Montréal. La foule en colère avait tout saccagé sur son passage. Que pouvait donc être l’objet d’une telle fureur ? « La première version est que l’ordre donné par la Commission d’hygiène de mettre en force la loi concernant la vaccination compulsoire avait échauffé les esprits et qu’un grand nombre de personnes étaient décidées à s’y opposer », rapporte l’article de « La Presse ». Eh oui, comme aujourd’hui, c’était une manifestation anti-vacin. Décidément, en effet, on n’a rien inventé. La variole s’était introduite à Montréal sept mois plus tôt, le 28 février 1885. Ce jour-là, le contrôleur de train George Longley a débarqué à la gare Bonaventure, fiévreux. Il arrivait de Chicago. On l’a hospitalisé à l’Hôtel-Dieu de Montréal. Pélagie Robichaud travaillait à la buanderie. L’Acadienne est morte le 1er avril 1885, après avoir lavé les draps infectés du contrôleur. C’est elle, le patient zéro de l’histoire.

    De semaine en semaine, la vague a pris de l’ampleur. Au bout d’un an, elle aura fauché plus de 3000 Montréalais sur son passage, dont une très grande majorité de jeunes enfants. Elle aura fait des ravages dans Sainte-Marie et Saint-Jacques, deux quartiers populaires francophones de Montréal. C’est d’ailleurs dans ces quartiers que la vaccination – considérée aujourd’hui comme le moyen le plus efficace d’enrayer l’épidémie – comptait le plus d’opposants. Beaucoup n’y croyaient pas. L’histoire nous dit qu’à la fin de l’été 1885, ils tombaient comme des mouches. Pour contrer le fléau, les autorités ont cru bon de rendre le vaccin obligatoire. Le 26 septembre, elles ont annoncé que les récalcitrants se verraient imposer une amende de 20 $, ou 14 jours de prison. Comme on peut facilement l’imaginer, ça n’a pas très bien passé !

    Le 28 septembre en soirée, des centaines d’antivax se sont réunis devant le bureau de la Santé publique, rue Sainte-Catherine. « Tuez les vaccinateurs », hurlaient-ils. « L’escouade de police, qui veillait le bureau de santé, se trouva refoulée et une volée de pierres furent lancées dans les vitrines jusqu’à ce qu’il ne reste plus une seule vitre intacte. Les portes furent enfoncées et tout ce qui se trouvait dans le bureau fut saccagé », pouvait-on lire dans le quotidien « La Presse » du lendemain. Les réverbères, qui n’ont cependant rien de commun avec la variole, n’ont pas été épargnés par ces messieurs et il est impossible d’en trouver deux intacts sur leur passage. « Ces ennemis de la lumière ont fait œuvre d’éteignoirs », se désole le journaliste. « Au coin de la rue Saint-Denis, la pharmacie de M. Baridon fut assaillie par une grêle de pierres qui brisèrent les magnifiques glaces de la devanture et nombre de bouteilles et d’objets de prix. De là, les émeutiers allèrent au coin de la rue St-Hubert, où demeure le Dr. Laporte, un des vaccinateurs publics. Les vitres furent brisées, les portes enfoncées et on mit le feu à sa maison » !

    La foule furieuse s’est ensuite approchée de l’hôtel de ville, rue Notre-Dame. Le maire, Honoré Beaugrand, a téléphoné en catastrophe à la Cathédrale Notre-Dame. Il a ordonné aux autorités de la Cathédrale qu’on y fasse sonner les cloches pour alerter tous les policiers des environs. Quelques vitres de l’hôtel de ville ont été fracassées avant que les émeutiers ne soient repoussés. Ils se sont ensuite dirigés vers le « square Victoria » pour attaquer les bureaux du quotidien anglophone « Daily Herald ». « La foule s’est dispersée vers 1 h du matin », rapportait un correspondant du quotidien américain « Detroit Free Press ». De nombreux émeutiers étaient des francophones de l’est de Montréal. Ils ont déclaré qu’ils préféraient mourir que d’être vaccinés et qu’ils ne se soumettraient pas aux « chiens anglais ». Le lendemain, « La Presse » a pourtant tenu à rassurer ses lecteurs. Montréal n’était pas en ruines. « Beaucoup de verres cassés, nous le répétons, beaucoup de bruit, quelques têtes fêlées et très peu d’esprit, tel est le bilan de la soirée du 28 septembre 1885 » !

    Dans le même numéro du 29 septembre 1885, « La Presse » fait état d’une collecte organisée pour porter en appel la cause de Louis Riel, chef rebelle des Métis, condamné à mort au Manitoba. « Nous invitons tous les amis du droit et de la justice à venir verser leur obole au plus tôt ». Peine perdue : moins de deux mois plus tard, le 16 novembre 1885, le corps de Riel, héros de la résistance, se balancera au bout d’une corde, à Regina en Saskatchewan. L’épidémie de variole sévissait, alors même que les communautés anglophone et francophone se déchiraient à Montréal. Ces tensions politiques et sociales n’expliquaient pas tout, mais n’arrangeaient rien. Dans les quartiers populaires, les mesures sanitaires strictes étaient largement perçues comme un instrument de répression de la part de l’élite anglophone. Méfiants, des Canadiens français allaient même jusqu’à croire que la classe dominante voulait leur injecter un poison, question d’éliminer les « frogs » une fois pour toutes. Une théorie du complot farfelue, digne d’un autre siècle, impensable à notre époque moderne direz-vous ? Comme le dit aujourd’hui Mme. Hachey, pas certain..

    En 1885, les Canadiens n’étaient pas les seuls à se méfier des vaccins. « En Angleterre, il ne se passe pas d’années sans qu’il n’y ait encore des émeutes organisées par les membres de l’organisation « Anti-Vaccination Society », lit-on encore dans le quotidien de l’époque. Cette société très puissante avait des ramifications partout, diffusait ses propres publications et était appuyée par des savants de premier ordre !

    En éditorial, du 29 septembre 1885, « La Presse » condamne sans ménagement cette émeute qui n’est pas faite pour donner une haute opinion de l’intelligence et du courage de ceux qui y ont pris part. Elle tente de convaincre ses lecteurs que ce serait un crime de sacrifier la vie de milliers de personnes pour le seul agrément de céder à des préjugés qui sont opposés aux données générales de la science et de l’expérience. Elle insiste : tout le monde doit se faire vacciner. Il faut que le concours soit général, si nous voulons empêcher notre population de se laisser décimer, en même temps par la variole et par la misère.

    Elle s’inquiète, enfin, pour la réputation de Montréal. Avec raison ! Bientôt, on écrivait que l’émeute ferait les manchettes partout en Amérique du Nord. Des titres comme MONTREAL’S MAD MOB (foule enragée de Montréal) s’étaleraient à la une des grands quotidiens anglophones. Les touristes américains bouderaient la ville pestiférée. L’Ontario et la Nouvelle-Angleterre exigeraient une preuve vaccinale aux voyageurs montréalais et ceux qui n’auraient rien à présenter seraient refoulés à la frontière, pouvait-on lire encore ce 29 septembre 1885 !

    « Cent trente-sept hivers ont passé. Rien n’a changé », nous dit aujourd’hui la chroniqueuse Isabelle Hachey. « Alors que le Québec décide d’imposer un passeport sanitaire, des milliers de protestataires envahissent les rues de Montréal. Certains comparent les vaccinateurs aux nazis. Certains ont même le culot d’arborer l’étoile jaune, comme s’ils étaient victimes d’un génocide. C’est grotesque. C’est une manif antivax, version 2021. Moins violente, peut-être, que celle de 1885. Mais pas davantage faite, pour reprendre les mots de mes prédécesseurs, pour donner une haute opinion de l’intelligence et du courage de ceux qui y ont pris part », ajoute Mme. Hachey. À l’époque, cette nouvelle était enfouie entre le bulletin maritime, l’épisode 37 du feuilleton « Le secret de Roland » et diverses publicités de concoctions miracles, dont l’eau magique qui, pour 50 cents la bouteille, promet de freiner net toute perte de cheveux ! C’était pourtant une grosse nouvelle. Du genre à passer à l’histoire. « Hier soir, une foule d’individus, parmi lesquels on remarquait nombre de gens étrangers à la ville et beaucoup de gamins de 10 à 15 ans, se sont livrés à des excès des plus regrettables ». C’est ainsi que commençait le reportage de « La Presse » du 29 septembre 1885 ! Et cela pourrait-être également le commencement d’un reportage dans un quotidien montréalais sur les manifestations anti-vaccin en 2022. Non, en effet, depuis maintenant 137 ans, hélas, rien n’a changé quant il est questions de complotistes et de manifestations anti-vaccin !

    THÉORIE DU COMPLOT

    Une théorie du complot, de même que les néologismes complotisme, conspirationnisme, ou conjurationnisme, est une expression utilisée pour décrire un type de discours particulier, qui a pour vocation à décrire l’actualité et qui propose une cause unique pour en expliquer le déroulement. Ce genre de discours se différencie de la démarche historique, multicausale et ouverte aux hypothèses. Si les complots existent de tout temps, le concept de théorie du complot ne s’est popularisé qu’au xxe siècle. En particulier, Karl Popper dans « La Société ouverte et ses ennemis » publié en 1945, dénonce comme abusive une hypothèse selon laquelle un événement politique est causé par l’action concertée et secrète d’un groupe de personnes qui y a tout intérêt, plutôt que par le déterminisme historique ou le hasard. Pour Peter Knight, professeur à l’université de Manchester en Angleterre, les théories du complot mettent en scène un petit groupe de gens puissants qui se coordonne en secret pour planifier et entreprendre une action illégale et néfaste affectant le cours des événements, afin d’obtenir ou de conserver une forme de pouvoir, qu’il soit politique, économique ou religieux.

    La première œuvre historique qualifiée de théorie du complot porte sur la Révolution française et a été publiée à la fin du XVIIIe siècle, « Les « Mémoires », pour servir à l’histoire du jacobinisme, écrits en 1798 par l’abbé Augustin Barruel. Pour Frédéric Charpier, cette œuvre constitue la première théorie du complot. Elle ne considère pas la Révolution française comme le résultat d’un mouvement populaire spontané, mais plutôt comme le fruit d’une conspiration antichrétienne ! Frédéric Charpier y voit le prototype qui contient l’essentiel des futurs récits conspirationnistes, c’est-à-dire une idéologie réactionnaire, une subjectivité camouflée dans une fausse objectivité, enfin, un langage haineux. Selon François Furet, on n’en finirait pas de recenser les usages et les acceptions de l’idée de complot dans l’idéologie révolutionnaire. C’est véritablement une notion centrale et polymorphe, par rapport à laquelle s’organise et se pense l’action. C’est elle qui dynamise l’ensemble de convictions et de croyances caractéristique des hommes de cette époque, et c’est elle aussi qui permet tout à coup l’interprétation-justification de ce qui s’est passé. Des révolutionnaires ont accusé de comploter contre la Révolution les girondins, les modérantistes, les Vendéens, les Autrichiens ou encore les fédéralistes, ou des agents de nations étrangères, de William Pitt ou de la Prusse.

    La Révolution française apparaît donc comme le premier grand événement de l’histoire du conspirationnisme, dans la mesure où ce bouleversement a suscité des systèmes d’explications. Si l’idée fantasmatique de la Révolution comme coup d’État préparé était relativement partagée, en revanche les interprétations divergeaient quant à l’identité des supposés conspirateurs, Club politique, Loge maçonnique et autres sociétés de pensée passant pour avoir organisé leur prise de pouvoir, anciens officiers de la guerre d’Amérique, financiers et négociants gravitant autour du Club des feuillants ou du Club Massiac, du Club des Jacobi. La conspiration dénoncée par l’abbé Augustin Barruel, jésuite et polémiste catholique français, dans « Mémoires pour l’histoire du jacobinisme » implique même des groupes beaucoup plus anciens, comme les Rosicruciens et les Templiers qui, selon lui, auraient perduré. L’Écossais John Robinson publie en 1797 les « Preuves de conspirations » contre toutes les religions et tous les gouvernements de l’Europe, où il prétend démontrer l’existence d’une conspiration des « Lumières » œuvrant au remplacement de toutes les religions par l’humanisme et de toutes les nations par un gouvernement mondial unique. Concernant le caractère réactionnaire de la théorie du complot, on peut toutefois relever que les analyses de l’abbé Barruel ont été contredites par Joseph de Maistre. De son côté, Marcel Gauchet déclare que c’est en réaction à Augustin Cochin, dont l’œuvre relaie la même interprétation conspirationniste de la Révolution, que l’expression « théorie du complot » est apparue en France.

    Pour l’historien des religions Emmanuel Kreis, spécialiste du mythe du complot judéo-maçonnique, avec la Révolution, commence l’ère de l’incertain et de l’indécis. L’histoire n’obéit plus aux plans divins, la société se trouve livrée à elle-même, sans vérité transcendante. Expérience traumatisante et vue comme contredisant l’ordre naturel, la Révolution ne peut qu’être le fruit d’une conspiration totale, omnisciente et omnipotente. La Révolution devient le fruit de manœuvres orchestrées dans les arrière-loges. C’est le début de la dénonciation du complot maçonnique. Kreis décrit lui aussi quelques constantes dans les théories du complot : « Tout est lié, le complot ne laisse pas la place au hasard, tout acte entraîne une conséquence prévue », en somme, tout est écrit. Le complot se joue de l’espace et du temps, il est normal qu’un événement particulier ait été provoqué par une cause éloignée dans l’espace ou le temps. Enfin, derrière ce que l’on croit voir, il existe un monde clandestin dans lequel les conspirateurs agissent .

    De son côté, un autre historien, Éric Saunier, s’il est vrai que les « Constitutions d’Anderson » (texte fondateur de la franc-maçonnerie) ont exercé une influence profonde sur les écrits que produisirent nombre d’initiés ayant appartenu au monde littéraire du siècle des Lumières, leur existence n’implique aucunement celle d’une conspiration. Ainsi, l’influence prêtée abusivement aux maçons est avant tout à rechercher dans le rôle exercé par la formation maçonnique sur les mentalités des initiés, aux idées qui circulaient au XVIIIe siècle et non à quelques conspirateurs spécifiques. Dans son évolution, au 11e siècle, les théories du complot prennent, comme cause des événements, des sociétés secrètes datant du siècle précédent, notamment les francs-maçons et les « Illuminati » qui se réclamaient de la philosophie des Lumières, mais aussi des groupes plus anciens comme les Jésuites. Pour Pierre-André Taguieff, « La démonie » du soupçon insatiable est un principe de l’imaginaire du complot et du contre-complot. L’exemple du complot juif décrit par le théoricien russe Mikhail Bakounine illustre les principes structurels de la pensée complotiste, mis en lumière par Frédéric Charpier et Emmanuel Kreis. Pierre-André Taguieff estime qu’au milieu de la controverse entre marxistes et anarchistes, rival malheureux et vindicatif de Marx dans la lutte pour la direction de la première Internationale, Bakounine réunit en 1872, dans le même complot juif pour la domination universelle, le pôle capitaliste (la banque Rothschild) et le pôle communiste-marxiste (Karl Marx), soit les deux faces de ce qu’il appelle la secte exploitante. « Tout ce monde juif, constituant une secte unique exploitante est maintenant, au moins en grande partie, à la disposition de Marx, d’une part, et de Rothschild de l’autre. Le fait est que le socialisme autoritaire, le communisme marxiste, exige une forte centralisation de l’État. Et là, où il y a centralisation de l’État, il doit nécessairement y avoir une banque centrale, et là où existe une telle banque, est la nation juive », selon la théorie Bakounine

    Au Moyen Âge, une rumeur de complot fomenté par les Juifs dans le but de propager la lèpre apparaît en 1319 dans l’actuelle Bavière et se répand en France. Le moine chroniqueur Guillaume de Nangis rapporte que le roi sarrasin de Grenade aurait nourri un projet de vengeance en incitant les Juifs à empoisonner les puits des chrétiens. Trente ans plus tard, dans les années 1348-1351, la peste noire tue près du tiers de la population européenne. Une fois encore, les Juifs sont accusés d’empoisonner les puits et sont massacrés en grand nombre, notamment dans le sud de la France, en Suisse, en Allemagne, alors même que le pape menace d’excommunication ceux qui participeraient à ces pogroms.

    L’idée d’un complot comme cause explicative d’un phénomène malheureux apparaît lors de l’épidémie de choléra qui frappe Paris en 1832. Le célèbre Alexandre Dumas rapporte le lynchage de plusieurs victimes de la rumeur selon laquelle les autorités faisaient jeter du poison par leurs agents dans les fontaines et dans les brocs des marchands de vin afin de diminuer la population et détourner l’attention générale des questions politiques. Soupçonnés par la foule d’empoisonner les malades dans les hôpitaux, des médecins parisiens sont pris à partie. À la charnière du XXe siècle, on voit réapparaître les juifs, cette fois associés aux francs-maçons, avec les « Protocoles des Sages de Sion », faux document mis au service de l’antisémitisme russe pour encourager les pogroms, et réutilisé plus tard par les antisémites européens, dont Adolf Hitler, qui s’y réfère explicitement dans son livre, « Mein Kampf ».

    Dans son livre « Le Pèlerin » publié en 1902, le caricaturiste français Achille Lemot parle de dessin conspirationniste antisémite et antimaçonnique, montrant la France catholique conduite par les Juifs et les francs-maçons. Si les théories du complot fondées sur l’antisémitisme sont discréditées en France avec la fin du régime de Vichy, ce pays demeure un terreau fertile pour le complotisme, ce qui a été constaté dans la foulée de l’assassinat de John F. Kennedy en 1963, et surtout au lendemain des attentats du 11 septembre 2001, lorsque « L’Effroyable Imposture », ouvrage de Thierry Meyssan, président du Réseau Voltaire, et vendu à 164 000 exemplaires en France, a affirmé que les attentats étaient en réalité une mise en scène montée par le complexe militaro-industriel. Quelques années plus tard, l’actrice Marion Cotillard déclarait, dans le cadre d’une émission télévisée, que les tours du 11 septembre étaient bourrées d’or, un gouffre à sous, et qu’il était beaucoup plus cher de faire des travaux que de les détruire. D’autres affirmations du même ordre par des personnalités telles que Jean-Marie Bigard et Mathieu Kassovitz font dire à Jonathan Schel dans « Slate » qu’il n’y a qu’en France qu’on publie régulièrement des livres comme « L’Effroyable Imposture » de Thierry Meyssan, ou toujours sur le 11 septembre, « Les vérités cachées », d’Éric Raynaud, ajoutant que tous ces propos illustrent l’immense confusion qui semble régner dans le cerveau de nos stars.

    Comme on vient de le voir, les théories du complot comme celles apparues avec la COVID-19 ne datent pas d’hier. Déjà, il y a 200 ans, des conspirationnistes voyaient dans les épidémies de choléra ou de variole un complot pour exterminer les Canadiens français, rappelle un historien des maladies.Tout au long du XIXe siècle, des « élites francophones ont accusé le gouvernement anglais de vouloir affaiblir la population canadienne-française par l’introduction de maladies infectieuses », souligne l’historien et professeur associé à la Faculté de médecine de l’Université de Montréal, Denis Goulet. C’est que l’arrivée massive d’immigrants par bateau au pays, encouragée par la colonie britannique, a souvent coïncidé avec le début d’épidémies dans les villes qui bordent le Saint-Laurent. De là à considérer qu’il s’agit d’un geste planifié pour affaiblir le poids démographique des francophones, il n’y avait qu’un pas à franchir pour les conspirationnistes. « La théorie du complot allait dans les deux sens, parce que le pouvoir anglais accusait les Canadiens français d’être malpropres et donc responsables de l’épidémie de variole », remarque le spécialiste en histoire de la médecine.

    « La vaccination, une pratique tout à fait nouvelle au début du XIXe siècle, a également fait l’objet d’une opposition marquée au sein d’un pan de la population », affirme Denis Goulet.

    Certains ont été effrayés par la nouveauté, alors que d’autres ont cru qu’un poison était injecté, encore une fois par les autorités britanniques. En 1875, lors d’une épidémie de petite vérole, pas moins de 3000 personnes se sont rassemblées devant l’hôtel de ville de Montréal pour manifester contre la vaccination obligatoire, peut-on lire dans son plus récent ouvrage intitulé

    « Brève histoire des épidémie du Québec ». Quelques semaines plus tôt, une foule avait même saccagé la demeure du « docteur Arruda » de l’époque, qui défendait le vaccin antivariolique.

    Malgré l’opposition, des dizaines de milliers de personnes ont reçu des vaccins dans la province au cours des années 1800. M. Goulet établit un parallèle entre les anti-vaccins d’antan, frileux à l’idée d’une nouvelle procédure, et l’émergence des anti-masques d’aujourd’hui. « Un peu comme la vaccination, c’est la première fois dans l’histoire qu’on décrète le masque obligatoire dans les lieux publics », dit encore Goulet, en ajoutant qu’il ne faut pas s’étonner qu’il y ait des résistances. « Si j’avais été autour d’une table avec le Dr. Arruda, c’est la première chose que je lui aurais dite », dit-il. Heureusement, la désinformation et les théories du complot ne sont pas les seules constantes à travers les épidémies. « La solidarité, l’entraide et le respect de l’autre, on les retrouve dans toute l’histoire », conclut l’historien Henri Goulet.

    La théorie du complot que les complotistes affectionnent particulièrement, remplit des fonctions sociales et idéologiques relativement puissantes et cela d’autant plus qu’il ne s’agit pas d’une véritable théorie, c’est-à-dire d’un ensemble de propositions cohérentes, discriminantes et falsifiables. Non, en effet, elle annexe à des critiques qui peuvent être fondées des imputations sans preuves qui fonctionnent alors comme de simples calomnies. Et la calomnie peut frapper d’autant plus largement que la théorie du complot telle qu’elle est construite, est un vaste fourre-tout, un attrape-tout, qui fonctionne par association de mots et mélange tous les genre, incluant journalistiques, politiciens et scientifiques et polémiques.

    Et au cours des dernières années, la COVID-19 a menacé et elle menace toujours la santé des populations dans tous les pays de la planète et le Canada ne fait pas exception. Mais pas pour certaines personnes. La pandémie galvanise leur crainte qu’il s’agisse selon certains experts qui étudient les théories du complot, d’une stratégie gouvernementale pour miner la liberté. Les attaques terroristes, les désastres naturels, les effondrements de l’économie et la pandémie actuelle de la COVID-19 sont des événements qui alimentent les théories du complot, selon le sociologue de l’Université de Victoria Edwin Hodge, qui étudie l’extrême droite. « Simplement croire que c’est un accident ne suffit pas, a dit M. Hodge. Une des choses que je constate, c’est ce que ces théories offrent une forme d’ordre dans un contexte chaotique », dit-il, en ajoutant que cela était vrai d’un point de vue politique et social.

    Ainsi, des gouvernements ont fermé l’accès aux espaces publics et privés, demandé la pratique d’éloignement physique et exigé des quarantaines volontaires de 14 jours pour les voyageurs afin de ralentir la propagation de la COVID-19. « Ces mesures seront perçues par certains comme des tactiques de contrôle. Ce qu’ils comprennent, c’est que les droits constitutionnels n’ont plus d’importance. Nous allons maintenant séparer et isoler les gens et c’est comme ça qu’on va vous avoir », a dit M. Hodge. Selon David Black, un spécialiste des théories de la communication à l’Université Royal Roads, à Victoria, au moment où la planète entière est touchée par la pandémie, une bataille pour la vérité se poursuit alors que nous vivons dans une ère où les faits et l’information sont souvent tordus.

    « La post-vérité, ce n’est pas le mensonge. La post-vérité, c’est que nous n’en faisons plus un plat. Nous sommes devenus indifférents aux faits, aux preuves, à la logique. Et alors que nous avons besoin de faits, de preuves, de logique et de vérité pour partager des informations afin de combattre une maladie qui pourrait affecter et tuer de nombreuses personnes, nous ne sommes pas prêts culturellement à recevoir les informations dont nous avons besoin », affirme M. Black, en ajoutant que les théories du complot entourant le nouveau coronavirus pouvaient provoquer de la peur, des préjugés et des actions irrationnels. Il a toutefois rappelé que les preuves et la vérité étaient les outils pour combattre ces théories.

    Les déclarations du premier ministre Justin Trudeau et des responsables de la santé à travers le pays, fournissent les informations nécessaires pour combattre ces théories. Elles offrent une vision sobre de la situation et des informations. Ce sont des personnes en position de contrôle pouvant lutter contre des comportements irrationnels. M. Hodge a rappelé que la pandémie forçait les gens à réfléchir de manière critique aux informations reçues. « Il est difficile de voir des éléments positifs dans la situation actuelle, mais elle peut encourager les gens à réévaluer leurs sources d’informations. Nous vivons une situation très stressante et on nous demande d’évaluer les informations dans des conditions extraordinaires », fait valoir M. Hodge.

    Depuis quelques années, la pandémie crée une grande confusion. Personne n’y comprend plus rien. Les experts scientifiques et médicaux s’affrontent à grands coups de tribunes dans les médias, les mesures de confinement, de semi-confinement, de précaution, de bon sens et de responsabilité qui se succèdent les unes après les autres. Pendant ce temps, le virus continue tranquillement sa progression sans que l’on comprenne bien sa cinétique, c’est à dire sa vitesse de réaction chimique. C’est le temps des incertitudes face auxquelles les mesures prises par les politiques, apparemment désemparées, semblent trop souvent être choisies au petit bonheur, à la la chance, avec en toile de fond, la peur qui déroule sa machine infernale. La COVID-19 nous a rendus fous et les conséquences sont incalculables. Arnaud Plagnol, psychiatre et chercheur en psychologie à l’Université de Lille en France, décrypte les mécanismes de l’ahurissante docilité à l’ordre sanitaire en marche qui nous ont faits changer radicalement nos comportements, bouleverser nos économies et mis sens dessus dessous nos vies. Il dénombre dans un texte les douze mensonges de la peur.

    En septembre 2021, ce sont plus 10 000 personnes qui ont manifesté dans les rues de Montréal, au Québec, dénonçant les ondes cellulaires 5G, le port du couvre-visage, la tyrannie des mesures sanitaires, l’implantation de micro puces à travers un vaccin pour dépeupler la planète et, conséquemment, le vaccin obligatoire. Il y en avait même un qui portait un t-shirt et offrait des câlins gratuits à tous les passants. Il y avait aussi des drapeaux des Patriotes, ceux du Québec, drapeaux américains et de la campagne présidentielle 2020 de Donald Trump. Accompagnés de quelques adeptes de la conscience de Krishna, les extrémistes de droite côtoyaient ceux de gauche. Il faut de tout pour faire un monde ! La foule était composée de gens de tous les âges, hommes, femmes, familles poussant une trottinette d’enfant. L’atmosphère était genre bon enfant.

    Il n’est plus étonnant de voir la prolifération de théories sortilèges basés sur un éventail de théories du complot. Selon la théorie complotiste américaine « QAnon », les États-Unis sont dirigés par des puissances occultes impliquées dans des réseaux pédophiles internationaux pour établir un « nouvel ordre mondial ». Farfelue, direz-vous ? Ne diriez-vous pas la même chose de la sorcellerie ? L’abondance d’informations dans les médias sociaux fait en sorte qu’on fait fi des données scientifiques qui pourraient éclairer les débats. On croit tout savoir. On s’en rend compte au quotidien, l’industrie du mensonge gagne du terrain partout sur la planète globale. Tout est devenu relatif. La méfiance est grande envers les institutions politiques, médiatiques et scientifiques. Alimenté par les conspirationnistes, il y a un nuage de nouvelles erronées (fake news) qui englobe les mécontentements ambiants dont l’aboutissement est la perception que des forces occultes ont pour objectif de restreindre les libertés individuelles.

    Est-ce vrai ? Oui et non ! Tout comme en science, cela dépend du lieu et des techniques d’observation. De la vitesse de la lumière à l’existence des trous noirs au centre de l’univers, la recherche scientifique est soutenue par un désir de véracité et l’idée de vérité. Il faut ainsi oser confronter les théories conspirationnistes, cesser du moins de contribuer à répandre cette épidémie d’information qui submerge l’Internet. Il faut vérifier nos sources d’information, car comme le disait Étienne Klen, « quand la science est discréditée, quand la vérité n’a plus d’importance dans le discours public, c’est l’idée même d’un monde commun qui s’effrite ».

    Le chercheur David Morin appréhende un déconfinement de la violence déjà présente sur les réseaux sociaux. « Dans un tel contexte anxiogène et de tensions sociales, le sentiment d’urgence et la colère vont inexorablement se traduire par des violences » avertit-il. Selon plusieurs observateurs que nous avons consulté, dont la mairesse de Longueuil Catherine Fournier, cela passe notamment par le déploiement de campagnes d’alphabétisation scientifique à grande échelle.

    DIFFÉRENCIER COMPLOT ET COMPLOTISTE

    Par ailleurs, les spécialistes précisent qu’il faut différencier complots et complotistes. Des auteurs avancent que le phénomène de la conspiration est inhérent à la politique et à l’économie dès lors que des richesses et du pouvoir sont en jeu dans un cadre d’ambitions politiques ou géopolitique opposées. L’histoire nous présente plusieurs cas de complots avérés comme, par exemple, l’opération Himmler organisée par le Troisième Reich, permettant à l’Allemagne de déclarer la guerre à la Pologne, l’Opération Ajax, menée par le Royaume-Uni et les États-Unis destinée à renverser le président Mohammad Mossadegh, président de l’Iran où encore, le complot des USA pour attaquer l’Irak et renverser le président de la république, Sadam Hussein. Il arrive qu’une institution juridique considère un complot comme étant à l’origine d’événements historiques d’une certaine ampleur. Au procès de Nuremberg, le chef d’accusation numéro un contre les responsables nazis était un plan concerté ou complot, tandis que les autres accusations portaient sur des crimes contre la paix, crime de guerre et crime contre l’humanité.

    Cependant, la théorie du complot, ou conspirationnisme, ne se contente pas d’affirmer l’existence de complots, ce que personne ne conteste, mais elle fait du complot la matrice interprétative de tout événement. Le conspirationnisme est décrit par Pierre-André Taguieff, politicologue français et directeur de recherche au Centre national de recherches scientifiques (CNRS) de Paris, comme la vision du monde dominée par la croyance que tous les événements, dans le monde humain, sont voulus, réalisés comme des projets et que, en tant que tels, ils révèlent des intentions cachées, parce que mauvaises. Par ailleurs, le philosophe Karl Popper, qui développe son analyse dans « La Société ouverte et ses ennemis », remarque que les complots existent mais sont à peu près toujours des échecs et que les conspirateurs profitent très rarement de leur conspiration. Les conséquences de nos actes ne sont pas toutes prévisibles. Par conséquent la vision conspirationniste de la société ne peut pas être vraie car elle revient à supposer que tous les résultats, même ceux qui pourraient sembler spontanés à première vue, sont le résultat voulu des actions d’une personne intéressée à ces résultats.

    Pour Popper, recourir à la théorie du complot pour comprendre le monde est une erreur car cela revient à dire que tous les événements résultent d’actions délibérées, dues à des individus qui auraient des intérêts communs et compatibles avec ces résultats, et qui pourraient prédire avec certitude les conséquences de leurs actions. « Rien n’est plus contestable que ce présupposé sur lequel est bâtie toute théorie du complot. Il est très rare que des actions produisent exactement le résultat escompté. Il y a toujours des effets secondaires imprévus », affirme Popper. Et il donne l’exemple d’une personne voulant acquérir une maison. Son intérêt est que le prix soit le plus bas possible. Mais du seul fait que cette personne se déclare acheteuse, le prix augmente, du fait d’un nouveau demandeur sur le marché, ce qui va à l’encontre de son intérêt. Cet exemple illustre les conséquences néfastes, involontaires et inévitables d’une action.

    Plus récemment, les études sur la notion d’émergence dans un milieu chaotique suggèrent que tout pourrait se passer comme s’il y avait complot sans que personne n’en tire forcément les ficelles de façon consciente. C’est ainsi que, sans souscrire eux-mêmes au conspirationnisme, les philosophes Antonio Negri et Michael Hardt soulignent, dans leur livre « Empire sur la mondialisation », que les théories du complot ne doivent pas être rejetées par principe. « Nous n’entendons pas suggérer qu’il existe un petit opérateur derrière le rideau, un magicien d’Oz qui contrôlerait tout ce qui se voit, se pense ou se fait. Il n’y a pas un point de contrôle unique qui dicte le spectacle », disent Negri et Hardt. Celui-ci, toutefois, fonctionne généralement comme s’il

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