Comme sur un fil
Par Virginie Braud
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À propos de ce livre électronique
À PROPOS DE L'AUTEURE
Virginie Braud a un goût prononcé pour le dessin, et pour l’écriture depuis son adolescence. Ces deux arts l’ont toujours accompagnée et ont été d’une certaine manière thérapeutiques. De véritables exutoires. Par le biais de Comme sur un fil, sorte de journal intime qui retrace son parcours qui fut si incertain parfois, elle transmet un message d’espoir.
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Aperçu du livre
Comme sur un fil - Virginie Braud
Texte écrit en 1999
Je me souviens de cette légèreté de corps et d’esprit que je ressentais alors, au tout début.
C’était si bon de se sentir telle une plume, peut-être même plus aérienne encore.
Ce petit régime que j’avais commencé s’est très vite dégradé.
En effet, en l’espace de quelques mois, cinq ou six, il me semble, j’ai perdu près d’une trentaine de kilos. Il faut dire que sur une jeune fille ayant un rapport taille/poids tout à fait satisfaisant – avec quand même quelques rondeurs bien placées – cela avait fait sensation à l’époque.
J’allais au lycée, j’étais en terminale et je devais passer mon Baccalauréat.
Pourtant, j’étais sûre de pouvoir me contrôler malgré ce que pouvaient me dire les autres. J’étais si certaine d’aller parfaitement bien.
Et je me sentais si légère, si limpide, plus rien ne me touchait et ne pouvait m’atteindre. Je n’étais pas consciente de ce qui se passait réellement en moi. J’étais tellement heureuse d’avoir réussi et de réussir encore à perdre tous ces kilos qui m’angoissaient, me complexaient. Je me souviens que j’étais souvent à bout de nerfs, éclatant en sanglots, sans aucune raison ou pour si peu de choses.
Je n’avais plus mes règles et il est vrai qu’en premier lieu, je m’en inquiétais. Elles avaient disparu et finalement, à bien y réfléchir, j’en étais plutôt satisfaite, car elles me faisaient carrément horreur. Je me sentais si sale, si impure à cause de ce sang. Comme s’il souillait mon corps. C’était une véritable délivrance pour moi de ne plus les subir. Après tout, j’étais bien mieux ainsi. Les mois défilaient et je ne les avais toujours pas. Presque un an, le temps d’une grossesse, plus précisément. J’étais victime d’aménorrhée en raison de ma dénutrition, mon organisme était complètement perturbé.
Ne voulant plus ni écouter et ni faire confiance à qui que ce soit, je me renfermais petit à petit sur moi-même et d’ailleurs, durant cette période, beaucoup ont essayé de m’aider, mais je le refusais. Je ne voyais plus que le mal partout.
Mon poids était devenu mon unique obsession. Le reste n’avait plus aucune importance à mes yeux.
Devant le miroir, j’étais une autre à présent. Je me regardais sous tous les angles, j’étais si fière que tout puisse m’aller.
Je ne m’étais pas rendu compte que je n’étais plus qu’un squelette, la peau sur les os, une « échappée de Somalie ».
Mon entourage me disait de me nourrir un peu plus or je mangeais très équilibré et sûrement trop équilibré.
J’avais l’impression d’être si parfaite. Cette situation me plaisait au fond. Je m’aimais ainsi, en dépit de ce qu’en pensaient les autres.
J’ai appris par la suite que certains croyaient que je me droguais, puisque la drogue fait maigrir très rapidement.
Sous l’effet de menaces d’hospitalisation, j’ai accepté de consulter. Il le fallait. J’étais un peu sceptique et je me disais que je ferais malgré tout ce que je voudrais. Que personne ne pourrait me faire changer d’avis. Même mon professeur de sport me le conseillait. D’ailleurs, c’est elle qui m’a donné l’adresse d’un endocrinologue*. Alors, j’y suis allée, irrégulièrement. Je me rappelle que lors de ma première visite, j’ai fait une crise de nerfs. Ce que je faisais plutôt habituellement à cette époque en cours de mathématiques, le lundi matin. Il a tout de suite compris que tout était dû à la situation de mes parents, au fait qu’ils ne s’entendaient plus depuis très longtemps, ne se parlaient plus et s’évitaient carrément, tout en vivant sous le même toit.
J’étais devenue anorexique pour eux et à cause d’eux.
Je n’avais plus de repères. Ils étaient là, mais ne se parlaient pas et ne me parlaient pas. Ils ne semblaient pas s’intéresser à moi. En dépit de mon état physique qui empirait de jour en jour. Nous n’avions plus de vie de famille. Ma mère n’était pas là de la journée, elle ne rentrait que tard le soir. Quant à mon père, il déjeunait et dînait chez ma grand-mère. Elle lui préparait son petit déjeuner pour le lendemain matin. Il avait l’habitude de prendre ses repas chez elle, puisqu’une seule porte nous séparait. L’absence de ma mère m’a fait énormément de mal. Et celle de mon père également. Nous nous croisions ou bien nous nous voyions lorsque nous avions réciproquement besoin de quelque chose. Ma scolarité et surtout ma santé ne paraissaient pas les préoccuper. Mon frère et moi étions complètement libres. Libres de ne pas faire nos devoirs, libres de sortir, libres de voir qui il nous plaisait. Moi plus que lui, ayant dix-sept ans, alors qu’il n’en avait que douze. Tout leur semblait égal. Jamais ils ne m’ont appris la confiance. Et leur plus grand tort a peut-être été de ne m’avoir jamais montré qu’ils m’aimaient vraiment et que je comptais à leurs yeux. Jamais d’encouragements, de mots agréables, de questions sur mes activités, mes fréquentations. J’étais livrée à moi-même. Totalement seule pour gérer ma vie, pour prendre de grandes décisions, pour m’assumer. Ils me décevaient tellement. Et plutôt que de leur faire du mal, leur dire tout ce que j’avais sur le cœur, la vérité, je préférais me détruire, me tuer petit à petit. Je me sentais si inutile, et incapable de faire quoique ce soit vis-à-vis d’eux. Pourtant, Dieu seul sait que je les aimais. Peut-être trop à vouloir les protéger et m’annihiler, me suicider.
L’ambiance à la maison était insoutenable pour moi. Je n’arrivais pas à l’accepter. D’après ce spécialiste, je n’avais pas encore fait le deuil de leur relation. J’étais en danger de mort. Le terme si juste qu’il a su employer m’a certainement alertée. Il ne fallait pas que je reste avec eux, il fallait que je m’éloigne d’eux. Je ne pensais pas frôler la mort. Je n’en avais pas pris conscience.
Je suis partie, quelque temps après, dans de la famille à Bordeaux.
Et puis, c’est à ce moment-là que j’ai décidé d’arrêter le lycée, à quelques mois de l’examen, pour une école privée. Mon professeur principal m’en a alors dissuadée et m’a dit que si je n’avais pas mon diplôme cette année, je l’aurais à coup sûr l’année suivante. Il en paraissait si convaincu, il a su m’en persuader. Je l’ai donc écouté, et terminé l’année scolaire tant bien que mal.
Je devais m’en sortir. Je ne devais pas continuer à me suicider pour eux. Il me fallait changer au plus vite, être à nouveau une jeune fille comme toutes les autres. Mon état avait bien sûr carencé mon organisme. Une fois même, je me souviens de ma jambe gauche, me faisant défaut. Je ne la sentais plus. Elle me faisait boiter. Je ne savais pas ce qu’il m’arrivait, alors je suis allée chez mon médecin traitant qui m’a conseillé de consulter un neurologue spécialiste du système nerveux. Je le voyais me planter des aiguilles de dix centimètres dans la jambe. Un vrai film d’horreur en direct. Pourtant cela ne me faisait pas réellement mal. Mes carences en étaient la cause. « Plus jamais ça », c’est ce que je me suis dit et promis en partant, enfin libérée. Le voir me charcuter ainsi fut éprouvant pour moi qui ne supporte pas une simple piqûre et encore moins la vue du sang. C’était pour mon bien, néanmoins.
Tout cela était fini. J’avais décidé de mon propre chef d’y mettre un terme.
Il faut que cette décision vienne de soi-même et que l’on n’y soit pas forcé.
Je voulais m’en sortir pour eux, et avant tout pour moi.
J’avais tout compris, mais tout subsistait en moi.
L’endocrinologue m’avait averti : après l’Anorexie, la Boulimie.
Il est presque impossible de passer outre. Lorsqu’il m’a prévenue, je ne savais pas ce que c’était et bien sûr, je pensais que cela ne m’arriverait pas...
La Boulimie est peut-être pire que tout. Pas au début, parce que le nombre de kilos à reprendre vous paraît si surréaliste. Vous avez une si grande marge.
Tout était permis désormais, les graisses, les sucres... Et encore une fois, vous ne prenez pas conscience de ce que vous faites et de ce qu’il vous arrive.
Alors j’ai recommencé à me nourrir, équilibré, évidemment. C’était un vrai plaisir dont je ne mesurais pas encore les limites et les excès. Je ne mangeais plus, je dévorais. Et j’étais heureuse. Reprenant peu à peu tous ces kilos que j’avais perdus. En dépit de moi-même. Manger était une vraie jouissance à présent. Je mangeais de plus en plus. J’étais devenue une véritable machine à ingurgiter. Je me complaisais ainsi, car mon poids était encore très tolérable. Or, je n’avais pas réalisé que le besoin de sucre et autres nutriments que je bannissais auparavant pouvait devenir une drogue à la longue. En s’y accoutumant, on n’y échappe pas.
Après cette épreuve qu’a pu être l’Anorexie, j’aurais voulu en sortir vainqueur, sans plus aucun problème, plus aucune angoisse.
Malheureusement, il n’en fut pas ainsi. Je croyais que tout m’était bénéfique. Je recommençais à m’alimenter, mais il n’y avait, encore une fois, aucune limite. J’aurais certainement dû m’en fixer, or, je n’y parvenais pas. La nourriture était devenue une drogue à part entière. J’adorais manger et me sentir « pleine » ensuite de ces aliments, qui ne me feraient que du bien. Et toutes mes carences étaient comblées à présent. Donc, j’ai commencé à prendre un peu plus de poids que ne m’en avait fait perdre ma maladie initiale. Me croyant permise toute liberté, l’alimentation – quelle qu’elle soit – devenait mon seul intérêt. Après le fait de ne pas avoir assez de kilos, je complexais du fait que maintenant, j’en avais trop. Ridicule, passer d’un extrême à l’autre aussi facilement, même sordide. Et pas facile à assumer, qui plus est. Je ne vivais plus que pour me nourrir. La diète à laquelle je m’étais tant consacrée ne signifiait plus rien pour moi ou je préférais l’oublier et ne plus m’y référencer. Rien ne m’aura été épargné au cours de ces si longues années de Boulimie. J’aurais tout vécu dans ce domaine et surtout le rejet de moi-même. Je dois aussi voir le bon côté : tout cela m’a certainement renforcée, rendue moins sensible. Il m’avait pourtant averti...
C’était sur les aliments sucrés que mon choix se portait. J’étais capable d’engloutir plusieurs paquets de gâteaux à la suite. Et le chocolat, combien ai-je pu dévorer de tablettes... Je mangeais malgré le fait que je n’arrivais plus à me supporter physiquement. J’avais repris bien plus de poids qu’il ne fallait. Et pourtant, je n’arrêtais pas de me goinfrer, c’était impossible. Je ne savais plus quoi faire. Peut-être qu’à ce moment précis, j’aurais dû m’adresser à nouveau à cet endocrinologue. Sûrement...
Or, je désirais m’en sortir seule. Je le désirais, et en même temps, je n’arrivais pas à vaincre ma dépendance. C’était terrible à vivre au quotidien.
Et un jour, j’ai trouvé la solution idéale. Je pouvais librement m’adonner à mes crises sans pour autant prendre trop de