Découvrez des millions d'e-books, de livres audio et bien plus encore avec un essai gratuit

Seulement $11.99/mois après la période d'essai. Annulez à tout moment.

Le Jumeau Chinois
Le Jumeau Chinois
Le Jumeau Chinois
Livre électronique325 pages7 heures

Le Jumeau Chinois

Évaluation : 0 sur 5 étoiles

()

Lire l'aperçu

À propos de ce livre électronique

Un cadavre enterré est introuvable. Un enfant est kidnappé. Une femme disparaît soudainement. Un seul indice est laissé sur chacune des scènes de crime dans une ville de province au nord du Danemark : de mystérieux symboles chinois.Eva se trouve dans l'œil du cyclone. Après avoir vécu une tragédie profondément douloureuse, sa fille tant attendue décède à la naissance. Eva se bat pour remettre sa vie sur les rails avec son mari qui, récemment et inexplicablement, est devenu paralysé et ne peut plus s'occuper de lui-même. Pour tenter d'échapper à son chagrin, Eva lance sa propre enquête pour découvrir qui se cache derrière ces crimes violents. Pourquoi ces crimes ? Il s'avère que le passé va jouer un rôle effrayant et complètement inattendu..."Le Jumeau Chinois" est le thriller captivant et best-seller de Sarah Engell, où se mêlent secrets, mensonges et crimes odieux du passé, le tout, avec dénouement des plus choquants."...un thriller frémissant, intense et étrangement dérangeant..." Berlingske-
LangueFrançais
ÉditeurSAGA Egmont
Date de sortie1 sept. 2022
ISBN9788726655230

Lié à Le Jumeau Chinois

Livres électroniques liés

Thrillers pour vous

Voir plus

Articles associés

Avis sur Le Jumeau Chinois

Évaluation : 0 sur 5 étoiles
0 évaluation

0 notation0 avis

Qu'avez-vous pensé ?

Appuyer pour évaluer

L'avis doit comporter au moins 10 mots

    Aperçu du livre

    Le Jumeau Chinois - Sarah Engell

    Sarah Engell

    Le Jumeau Chinois

    Traduit du danois par Catherine Renaud

    SAGA Egmont

    Le Jumeau Chinois

    Traduit par Catherine Renaud

    Titre Original Den kinesiske tvilling

    Langue Originale : Danois

    Copyright © 0, 2022 Sarah Engell et SAGA Egmont

    Tous droits réservés

    ISBN : 9788726655230

    1ère edition ebook

    Format : EPUB 3.0

    Aucune partie de cette publication ne peut être reproduite, stockée/archivée dans un système de récupération, ou transmise, sous quelque forme ou par quelque moyen que ce soit, sans l'accord écrit préalable de l'éditeur, ni être autrement diffusée sous une forme de reliure ou de couverture autre que dans laquelle il est publié et sans qu'une condition similaire ne soit imposée à l'acheteur ultérieur.

    www.sagaegmont.com

    Saga est une filiale d'Egmont. Egmont est la plus grande entreprise médiatique du Danemark et appartient exclusivement à la Fondation Egmont, qui fait un don annuel de près de 13,4 millions d'euros aux enfants en difficulté.

    Chapitre 1

    Il était désormais interdit de pleurer davantage. Le cerisier était en fleurs, laissant tomber sur nous une neige rose alors que nous nous sommes assis dans l’herbe.

    C’était mieux si on se portait volontaire. Sinon, papa devrait choisir.

    On nous a laissés dans le jardin pour y réfléchir. Nous n’avions pas le droit de rentrer avant qu’il nous y autorise.

    C’était il y a longtemps maintenant. L’ombre de l’arbre s’était déplacée loin sur la pelouse. Chaque fois que je regardais la maison, j’avais mal au ventre.

    — Je dois faire pipi, ai-je murmuré.

    — Moi aussi.

    Plusieurs pétales virevoltaient dans l’air. Au loin, une vache a meuglé. Un long gémissement qui est resté suspendu sur les champs plats de colza d’hiver jaune et de pois fraîchement germés.

    J’ai fermé les yeux. J’aurais aimé pouvoir m’endormir, mais mes yeux n’arrêtaient pas de se rouvrir. Comme la poupée de petite sœur quand on l’assoit.

    — Peut-être qu’il nous a oubliés, ai-je alors murmuré.

    — Peut-être.

    J’ai de nouveau regardé la maison. Les fenêtres sombres. La porte fermée.

    Chaque fois qu’il y avait une rafale de vent, on aurait dit que la maison se hérissait. Il y avait du lierre partout sur les briques rouges. De grandes feuilles vert foncé avec des stries blanches ressemblant à des vaisseaux sanguins. La maison avait presque complètement disparu. Cela m’a fait penser à quand nous étions plus petits et que nous nous enterrions l’un l’autre dans le bac à sable. La sensation de ne pas pouvoir respirer.

    Les feuilles se sont à nouveau soulevées. Je ne pouvais m’empêcher de regarder la maison et sa porte fermée. Mon mal de ventre s’était aggravé et mes pieds m’y ont emmené d’eux-mêmes.

    Mon sang a bourdonné lorsque j’ai attrapé la poignée. Ce n’était pas verrouillé, et même si j’étais terrifié, je suis entré.

    Les bâtons d’encens brûlaient depuis hier matin. Pourtant, une odeur âcre emplissait la maison. Le bout de mes doigts a caressé le mur de briques brutes dans l’entrée. Je n’osais pas allumer la lumière. J’avançais sur la pointe des pieds, m’efforçant de marcher aux bons endroits sur le plancher, passant devant les parapluies et les chaussures de velours à fines lanières. Il faisait sombre ici. Tous les rideaux étaient tirés.

    Un craquement a retenti et je me suis figé. J’ai vu que mon pied s’était posé au mauvais endroit. On entendait un vague sifflement. Comme quelqu’un qui respirait et j’ai pensé à des dragons endormis. Des esprits et des singes et des serpents écailleux à têtes de lions.

    Ne laisse pas libre cours à ton imagination. C’est ce que diraient les adultes s’ils étaient là.

    Les bâtons d’encens étaient à la fleur de patchouli. Les préférés de petite sœur.

    Mes pieds ont recommencé à avancer sans que je les y autorise.

    La maison était vraiment froide. Comment l’avaient-ils rendue si froide ? Dehors, c’était le mois de mai, et tout le jardin était en fleurs.

    La porte de la cuisine était entrouverte. Sur la cuisinière, des flammes de gaz bleues sifflaient sous une marmite de légumes. C’était le son que j’avais entendu. Ça sentait le brûlé. Je voulais aller l’éteindre, mais je n’osais pas.

    Sur la porte du salon était accroché un dessin de tigre. Il tenait grâce à du ruban adhésif. Les dents du tigre étaient très longues. Plus elles étaient longues, plus il était interdit d’entrer.

    J’ai appuyé sur la poignée aussi doucement que possible. Le salon avait disparu. La seule chose que je pouvais voir était des draps blancs suspendus au plafond. Je me suis accroupi et j’ai soulevé le bord du drap. Mon estomac s’est contracté quand je l’ai aperçue. Je n’avais pas du tout entendu qu’il y avait quelqu’un dans la pièce. Elle était assise sur le canapé, aussi silencieuse qu’une souris. Seules ses mains bougeaient. Elle pliait des fleurs en papier. Blanches, roses et rouges. Elle le faisait rapidement et sans lever les yeux. Mon cœur battait la chamade alors que je m’asseyais sous le bord du drap. Je ne pouvais pas m’arrêter de regarder.

    Ses cheveux. Ils étaient si longs. Je n’avais jamais vu maman ainsi avant.

    Elle a levé la tête et m’a aperçu.

    Durant quelques secondes électriques, nous nous sommes regardés.

    Elle a reposé une fleur à moitié finie et s’est approchée à pas rapides.

    — Ne vous ai-je pas dit que vous n’aviez pas le droit d’entrer dans cette pièce ?

    Elle m’a repoussé dans l’entrée. Sa chemise de nuit, d’où dépassaient ses orteils nus sur le sol froid, était froissée.

    — Ta nourriture brûle, ai-je dit.

    Elle m’a poussé dans le jardin sans répondre.

    Il y a eu un déclic lorsque le verrou a été tourné.

    J’ai couru autour de la maison jusqu’à la fenêtre de la cuisine. La main de maman est apparue lorsqu’elle l’a entrebâillée. Je pouvais sentir les légumes brûlés. Les rideaux bougeaient légèrement dans le vent et je me suis glissé jusqu’à la fenêtre ouverte pour regarder à l’intérieur.

    Maman remuait dans la marmite avec une cuillère en bambou. Elle a retiré quelque chose qui avait l’air carbonisé. Elle est restée longtemps à le contempler. Puis elle a reposé la cuillère et a appuyé ses mains sur ses yeux.

    J’avais l’impression qu’elle appuyait aussi sur mes yeux et que je devais regarder ailleurs. Les paquets de champignons séchés et le cuit-vapeur. Le soja, le vinaigre, la sauce de poisson. Les couteaux tranchants qui pendaient au mur.

    Ce n’est qu’à cet instant que je les ai aperçus. Tous les plats dressés sur la table. Je n’avais jamais vu autant de nourriture auparavant. Pas même pour la Fête de la Lune.

    J’ai essayé d’avoir faim. Mais je n’ai ressenti que la nausée.

    J’ai sursauté quand la fenêtre s’est refermée. J’ai juste eu le temps de voir les yeux humides de maman avant que la cuisine ne disparaisse.

    J’ai enfoncé mes mains dans mes poches. J’ai donné des coups de pied à un pissenlit jaune. De l’autre côté des champs de pois, les éoliennes s’étaient arrêtées. Le soleil faisait briller les nuages en orange.

    Les mains dans les poches, je suis retourné dans le jardin de derrière. Sous le cerisier, mon frère s’est levé.

    — Tu as vu quelque chose ? a-t-il demandé.

    — Pas vraiment. Mais il y avait plein de nourriture dans la cuisine.

    — Des œufs de cent ans ?

    J’ai acquiescé.

    Il a frappé une branche, si bien qu’il a neigé encore davantage. Les pétales roses tombaient dans l’herbe autour de nous.

    — Tu es l’aîné, a-t-il dit. C’est sûr que papa te choisira.

    — Mais tu es leur fils préféré. Il te choisira sûrement toi.

    Nous avons boudé. Il régnait une atmosphère vibrante autour de nous. Je pensais aux esprits et aux dragons d’or et aux bruyants cortèges de tambours et de vêtements de soie aux couleurs vives défilant sur les rues pavées.

    Ici, tout était calme. Des champs plats, des maisons au toit de chaume et des drapeaux rouge et blanc qu’il fallait retirer à la tombée de la nuit. Au loin, la vache du voisin a recommencé à meugler.

    — Papa te choisira, a-t-il répété. Je le sens.

    — Je sens que tu mens, ai-je rétorqué.

    Au même instant, la porte s’est ouverte, et papa est apparu.

    L’atmosphère vibrante s’est intensifiée, comme s’il comprimait l’air en traversant le jardin alors qu’il se dirigeait vers nous. Ses cheveux noirs étaient aplatis avec de l’eau et sa raie comme dessinée avec une règle. Il avait l’air fatigué.

    — Wu-Chao. Wu-Kang.

    Il nous a souri. A levé les mains pour nous faire signe d’approcher.

    Nous nous sommes lentement placés devant lui.

    — Mes fils.

    Papa a posé une main sur l’épaule de mon frère et une sur la mienne. Son corps, mince et pas très grand, ressemblait au nôtre, même si nous n’avions que huit ans.

    — Le plus important, c’est la famille, a-t-il déclaré. Toujours.

    Nous avons hoché la tête.

    — Vous comprenez ? a-t-il demandé.

    Nous avons à nouveau hoché la tête.

    Il a plissé les yeux, si bien qu’ils étaient encore plus petits que d’habitude.

    — Aujourd’hui est un jour de fête. Je veux que vous respectiez cette journée. Plus de larmes. Plus de discussions. Aujourd’hui, nous sommes heureux. Tous ensemble. D’accord, les garçons ?

    Mon frère a baissé les yeux sur l’herbe. Mon estomac tournait, comme la machine à laver quand elle essorait.

    — Pouvoir faire quelque chose pour sa famille est la plus grande joie qu’une personne puisse éprouver. Nous vivons dans un pays où on ne le comprend pas toujours. Un pays où on est surtout centré sur soi-même. Mais nous avons de la chance. Nous portons en nous une culture forte. Une culture qui nous rend invincibles. En particulier un jour comme aujourd’hui.

    Cette fois, j’étais le seul à hocher la tête. Mon frère gardait la tête basse. Essayant probablement de se faire plus petit qu’il ne l’était.

    — Rappelez-vous que votre grand-père a travaillé pour l’empereur en personne. Vous êtes nés dans une famille puissante.

    C’était ce qu’il disait toujours quand il voulait que nous fassions quelque chose dont nous avions peur. Nous savions bien que grand-père n’avait travaillé que dans l’administration. Il n’avait même pas rencontré l’empereur.

    — Qu’en dites-vous ? a demandé papa. Est-ce que l’un de vous deux se porte volontaire ?

    Ses yeux ressemblaient à du silex. Noirs et durs. Mon estomac tournait de plus en plus vite en les regardant.

    — Bien, dit-il, alors je dois choisir.

    Il nous a regardé à tour de rôle. Ses deux fils de huit ans.

    — Souriez, les garçons, rappelez-vous que c’est un jour de fête. On ne peut pas avoir de marié triste.

    Chapitre 2

    De petits filets de sang tourbillonnent dans la cuvette des toilettes et je tire la chasse pour la deuxième fois. Je reste un moment, ma culotte autour de mes genoux, et je n’ai pas envie de changer de serviette hygiénique. Je pense que je peux attendre la prochaine fois où j’aurai envie de faire pipi.

    Alors que je remonte ma culotte, je me rends compte avoir pensé exactement la même chose la dernière fois où j’ai fait pipi.

    Je serre la ceinture de ma robe de chambre et me dirige vers le lavabo. Hypnotisée par les mosaïques de verre turquoise sur le mur.

    Le robinet crachote et je me lave les mains. Le doute de l’avoir peut-être déjà fait m’assaille. La mousse savonneuse sent le synthétique. C’est le savon premier prix du supermarché que je n’aime pas.

    Le bruit des pneus d’une voiture sur le gravier me fait lever les yeux. À travers les stores, je vois une voiture de police s’arrêter devant la maison. Les essuie-glaces fonctionnent à pleine vitesse, même s’il ne tombe qu’une petite bruine. Quelques corbeaux s’envolent du chemin de gravier en croassant et disparaissent au-dessus des champs noirs de chaume où le colza ne fleurit plus. Mon rythme cardiaque s’accélère alors que je regarde la lumière de la voiture de police s’éteindre. Les portières avant s’ouvrent et deux agents descendent. Torben passe sa main sur sa grosse barbe rousse avant de poser sa casquette de policier sur la tête. L’autre est une femme que je n’ai encore jamais vue.

    Ils restent un peu plantés devant les cartons dans le jardin de devant. La bruine les a rendus brun foncé. Torben dit quelque chose et la femme hoche la tête. Ils se tournent vers la maison et se dirigent vers la porte d’entrée.

    Je trébuche sur le paquet de couches en m’éloignant de la fenêtre de la salle de bain. Je m’accroupis derrière les toilettes, retenant mon souffle.

    Ils s’en sont rendu compte. Bien sûr qu’ils s’en sont rendu compte.

    Ça sonne à la porte.

    Près de mon oreille, les toilettes émettent un léger bruit de ruissellement, et je ferme les yeux.

    J’aurais dû me préparer.

    La sonnette retentit à nouveau.

    — Eva ! Steen !

    Je sursaute quand Torben appelle de l’extérieur.

    Le bruit de nos prénoms me ramène à la réalité. Je m’appuie sur les toilettes pour me relever. Qu’est-ce que je fabrique à me cacher de la police ?

    Je fouille dans la poche de ma robe de chambre, trouve la boîte de réglisses Ga-Jol et en mets plusieurs dans ma bouche.

    Dans le miroir, je suis étrangement floue, comme une photo prise d’une main tremblante. Mon regard est paniqué et je redresse mon chignon, essayant d’apprivoiser quelques cheveux gris. Je regarde mon reflet comme on regarde quelque chose de cassé. Puis je vais ouvrir.

    L’air de septembre est frais et humide, de la bruine et des herbes hautes. Derrière les nuages en lambeaux, un pâle soleil est déjà haut dans le ciel et me fait cligner des yeux.

    — Eh bien, dit Torben en me donnant une tape sur l’épaule. Nous t’avons réveillée ?

    — Un peu.

    — Je suis désolé. Comment ça va à la maison ?

    — Comme ci, comme ça.

    Il se frotte la barbe, regarde vers les cartons dans l’herbe.

    — Je suis vraiment désolé, poursuit-il, de devoir venir à des fins officielles, étant donné la situation.

    Je regarde l’arme à sa ceinture. Les menottes.

    — Mais j’ai pensé malgré tout qu’il valait mieux que ce soit moi qui vienne.

    J’acquiesce lentement.

    — Bonjour, dit la femme en tendant la main. Dagmar. Je suis la nouvelle co-équipière de Torben.

    — Bonjour.

    Sa chaleureuse poignée de main me fait prendre conscience à quel point ma propre main est froide.

    — Ton mari est à la maison ? demande Dagmar.

    — Quoi ?

    — Oui, excuse-nous de venir comme ça à l’improviste, dit Torben. Je sais bien que vous…

    Il fait un geste de la main.

    Je resserre la ceinture de ma robe de chambre, même si elle est déjà serrée.

    — Est-ce que Steen est là ? demande Torben en faisant un signe de tête derrière moi. Nous voudrions juste lui parler.

    Je pose la main sur le cadre de la porte et bloque le passage.

    — Ce n’est pas le bon moment. Il est couché… il dort.

    Dagmar remonte sa manche et regarde sa montre.

    — Est-ce qu’il peut vous rappeler ? je propose. Quand il se réveillera ?

    — Nous aimerions beaucoup lui parler en personne, dit Torben. Ça ne prendra pas trop de temps.

    — Vous pouvez aussi juste me le dire et je lui passerai le message.

    — Comme je l’ai dit, nous aimerions beaucoup lui parler en personne. Il s’agit de son père.

    De confusion, mon bras retombe.

    Le père de Steen ?

    — D’accord, je réponds. Alors, entrez.

    Des pieds, je repousse le panier-cadeau de la maternité, que je n’ai toujours pas retiré du pas de la porte pour l’emporter dans la maison. La cellophane imbibée de pluie colle à une boîte de chocolats en forme de cœur et un paquet de grains de café. La carte est en morceaux.

    Torben et Dagmar avancent dans l’entrée. Le regard de cette dernière glisse dans la pièce à moitié sombre et encombrée.

    — J’ai toujours eu envie d’en avoir un comme ça, dit-elle en caressant le mur de briques brutes. Nous habitons aussi dans une villa aux briques rouges.

    — Enlever l’enduit fait un vrai chantier, dit Torben comme je ne réponds pas.

    J’enlève le tas de draps moites qui gênent le passage. Je pousse les lettres non ouvertes de la commune sous quelques publicités et je pose un paquet de lingettes par terre. Tous les muscles de mon corps se tendent. Est-ce illégal que je n’aie appelé personne ? Que je l’ai juste laissé allongé là ?

    — Désolée pour le désordre, je dis. Il s’est passé beaucoup de choses et je…

    — Ne t’en fais pas, dit Torben. Tu peux réveiller Steen et lui dire que nous sommes là ?

    — Bien sûr. Oui. Un instant.

    Ils me suivent dans le salon, et ils restent debout près de la cheminée, pendant que je m’approche avec hésitation de la porte fermée de la chambre.

    J’appuie sur la poignée et je me glisse à l’intérieur, même si je sais bien qu’il est déjà réveillé. Qu’il a certainement tout entendu depuis que ça a sonné à la porte.

    Je regarde le dos de la main et les plantes de pied nues jaunâtres de Steen. Il est allongé comme à son habitude, les bras le long du corps et ses pieds en dehors de la couette pour ne pas avoir trop chaud. Le seul bruit est le tic-tac de l’horloge sur le mur. Je reste plantée là. J’essaye de calculer le temps qu’il faudrait pour réveiller un homme endormi.

    — Désolée, je murmure avant de retourner auprès des agents, toujours debout près de la cheminée, ancienne et encastrée, ornée d’élégantes sculptures, dont nous n’avons pas osé nous servir depuis la première fois où nous l’avons allumée et où tout le salon s’était rempli de fumée.

    — Bien, je dis. Il est là-dedans.

    Les agents contournent le séchoir rempli, le seau avec l’eau savonneuse froide et marron et les sacs poubelles que je n’ai pas encore sortis.

    — Attendez !

    Mon exclamation les arrête net.

    Torben me regarde d’un air interrogateur.

    — C’est juste parce que…, je commence avant de redresser à nouveau mon chignon et d’essayer de respirer normalement. Il ne faut pas que vous soyez surpris, mais il ne peut pas bouger.

    — Quoi ?

    — C’est parce que… il est paralysé.

    Je murmure le mot, mais dès qu’il s’échappe de mes lèvres, il gonfle et emplit le salon comme un meuble trop grand.

    — Mais…, dit Torben en regardant la porte de la chambre. La dernière fois que je l’ai vu, il était bien…

    — C’est tout récent, j’explique. Douze jours.

    — Que lui est-il arrivé ?

    — Nous ne savons pas exactement.

    — Il est tombé de quelque chose ?

    — Pas pour autant que je sache.

    — Mais il a vu un médecin ?

    J’acquiesce.

    — Le docteur Møller dit que c’est une réaction tout à fait normale en lien avec ce que nous avons vécu, que ça devrait disparaître en quelques jours.

    — Mais tu n’as pas dit qu’il était comme ça depuis douze jours ?

    — Steen a toujours été très sensible. Le docteur Møller le sait bien. Nous devons lui laisser du temps.

    Ils échangent un regard et je transpire sous les bras.

    — Ne devrait-il pas être à l’hôpital ? demande Dagmar.

    — Le docteur Møller pense qu’il vaut mieux qu’il reste dans un environnement familier.

    Plus je déforme la vérité, plus je transpire. En réalité, le docteur Møller avait dit exactement la même chose que Dagmar. Il a même sorti son téléphone pour appeler l’hôpital. Mais je l’en ai dissuadé. Je l’ai supplié de garder ça entre nous.

    Ils ne doivent pas me l’enlever. Steen est le seul qu’il me reste.

    Et je ne peux pas rester seule dans la maison. Plus maintenant.

    — C’est affreux, dit Dagmar. Et maintenant son père en plus de tout le reste.

    — Je pense que vous devez vous tromper, j’interviens, le père de Steen est mort il y a quatre ans.

    — Justement, rétorque Torben, c’est bien de ça dont il est question.

    Je le regarde, confuse.

    — Je suis désolé, dit-il. Un malheur n’arrive jamais seul.

    — Malheur ?

    Il fait un signe vers la porte de la chambre.

    — Allons parler à Steen.

    La chambre est sombre derrière les stores baissés. Il règne une forte odeur de couches pleines et Torben entre lentement. Si lentement qu’il s’arrête.

    Les cheveux de Steen sont coiffés sur le devant. Sur l’arrière, ils sont plats et emmêlés. On voit clairement où je n’ai pas pu aller avec la brosse. Sur sa table de nuit se trouve une tasse à bec rose avec des fleurs.

    De mon côté, le drap est froissé et ma couette sur le bord du lit. Mon téléphone charge sur l’oreiller. Sur ma table de nuit se trouvent un flacon de somnifères et un paquet de serviettes post-partum Natracone New Mother.

    — Dois-je le changer avant qu’on parle ? je demande.

    Torben déplace sa casquette d’avant en arrière sur sa tête.

    — Ça ne prendra pas longtemps, je poursuis. Vous pouvez attendre dans le salon pendant ce temps.

    — Ça ira, dit Dagmar. C’est bien comme ça.

    Elle passe devant Torben pour s’approcher du grand lit. S’agenouille légèrement pour se mettre au niveau de ses yeux.

    — Bonjour Steen. Désolée pour le désagrément. Je m’appelle Dagmar et je suis la nouvelle coéquipière de Torben.

    Les yeux de Steen oscillent entre les agents et moi. Comme s’il ne s’apercevait que maintenant que nous étions là.

    — Que se passe-t-il ? demande-t-il.

    — Malheureusement, nous sommes dans l’obligation de te faire part de quelque chose, répond Dagmar.

    — Quoi ? fait Steen en regardant Torben.

    — Tu veux que je te redresse un peu ? je demande. Tu veux un oreiller supplémentaire dans le dos ?

    Il cligne deux fois des yeux.

    — D’accord.

    Je me tourne vers les agents.

    — Vous voulez un café ?

    Torben lève une main pour refuser.

    — Quelque chose à manger alors ? Je ne sais pas vraiment ce qu’il y a dans le frigo, mais parfois il y a un gâteau.

    Je peux entendre à quel point je semble nerveuse.

    — Non merci.

    Torben s’approche du lit. Il y a quelque chose de maladroit et d’indécis chez cet homme par ailleurs robuste. Ses bras pendent mollement et je repense à la façon dont ils ont l’habitude de se saluer. Les cris de Torben et les bras tendus de Steen. Deux hommes qui s’étreignent et se donnent plusieurs fortes tapes dans le dos, comme quand on veut finir une bouteille de ketchup.

    — Steen, mon vieux. Alors c’est quoi le problème ?

    — Eh bien, c’est pas la grande forme.

    — Eva dit que tu

    Vous aimez cet aperçu ?
    Page 1 sur 1