Opuscule
Par Jean-Paul Coco
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Aperçu du livre
Opuscule - Jean-Paul Coco
Opuscule
Jean-Paul Coco
Opuscule
LES ÉDITIONS DU NET
70, quai Dion Bouton 92800 Puteaux
« Si un Dieu a fait le monde, je n’aimerais pas être ce Dieu : la misère du monde me déchirerait le cœur. »
Arthur Schopenhauer
© Les Éditions du Net 2012
ISBN : 978-2-312-00756-4
Introduction
Partir, est follement revivre, c’est vivre un autre présent, un présent qu’on ne peut vivre qu’ailleurs qu’ici, là maintenant. Combien de fois m’était-il donné de considérer dans mes souvenirs absents, certaines épîtres de mon enfance, et d’imaginer comme certain partir comme mourir ? Mourir, c’est partir. Partir, n’est pas mourir, c’est se décider, vouloir vivre, revivre, c’est renoncer à mourir. Voici, je crois, la raison de son innocence, la justification même qui mut Mazdã hors d’ici, de cette vie soupesée fiévreuse et insipide pour un homme au tempérament facile. Cet homme me connut nébuleusement le temps d’un trajet, Aéroport de Bahhlabâhs-Shud pour celui de Hôolahôo-Nhor. J’occupais le siège cent onze, son siège. Il passa sous silence son embarras puis s’installa aisément sur le cent douze. En l’air, nous échangeâmes abondances de mots en l’air sans délaisser le temps, il m’écoutait à son corps défendant et semblait de préférence vouloir s’adonner à la lecture d’une dizaine d’extraits mal rangés sur lesquels je pus lire en première page, d’un style écrit à la main, « Immuables Silhouettes ». J’arguais ainsi Mazdã son nom. Imaginez un bel homme de faible épaisseur, aérien, très bien fait. Noir, portant une moustache et des yeux noisette clair. Une distinction assez étonnante dans ses gestes, une voix désencombrée, il était à l’image d’une société qui se relaxe ; Mazdã était le premier exemplaire d’un Bahhlabâhs-Shud en devenir, il portait la marque de ce qui probablement sera plus tard l’homme passé du présent. Avec son index sur la tempe, il cherchait sans cesse le moyen de contempler ses idées, comme s’il voulait à tout moment sortir de son propre corps. J’arrêtais ici le choix de faire sa connaissance quand j’aperçus bon nombre de voyageurs sommeiller. L’ambiance me parut placide dans le fuselage, cependant, du couloir aérien qui nous apparu, on eut dit un temps immobile sur un espace démoralisé. Il faisait noir, dehors, il faisait noir, dedans, sauf exception : la torche de Mazdã détrompait. « Votre lumière m’allume ! » lui dis-je, en m’emmitouflant de laine et en m’accotant le côté comme pour lui faire face. Peu surpris par cette affirmation que je fis, il me rendit compte de l’impossibilité somatique qu’il avait de casser l’œil durant un voyage. Il posa un sombre regard sur mes paupières comme pour m’enchanter, et voulait, je le vis à ses lèvres, m’entretenir d’une confidence, toutefois, il ne parvint qu’à exprimer une légère satisfaction des yeux. Alors je m’empressais d’interroger ce regard car j’éprouvais là, à cet instant même, une curiosité taciturne m’exhibant intimement. Cet homme, mon inconnu, séquestrait l’enfance d’une conversation latente, une envie de déballer mystérieuse. « Était-ce par affres convoitée ? » Me demandais-je au fond de moi-même, « ou était-ce par émoi ébouillanté ? » Mon désir ronflait sur ce mystère.
– Si je tiens pour vrai Mazdã votre nom, je suis Léda. Lui dis-je.
Léda ! Me dit-il, d’un regard chérubin farouche. Si vous l’êtes, je le suis !
Et immanquablement Mazdã serait romancier, repris-je lentement pour réagir.
Oh ! Romancier ! Romancier mélancolique, mélancolies à souhait ! Murmura t-il.
– Mélancolies à souhait, alcoolique à jamais ! Repris-je en riant.
Il me suivait par galanterie dans mon rire liquide. Je sentais dans ce laps échange comme une assurance affirmative l’emplir. Comme à la charge, il transmuait de sophistiqué en seigneur devant qui je bâtais ma coulpe, mon hommage. Ma courtoisie fut telle qu’il ne pouvait feindre la méprendre ; il me consentit la main et ménagea ses mots. « Ce sont là quelques bouts de pages sur lesquels viennent coïncider des pensées abstraites, ma main n’est ici qu’un instrument. ». Dit-il presqu’étreint par sa propre émotion en me tendant une page, puis une autre, enfin une dernière. Mazdã qui semblait observateur, couraient ses yeux sur ma tête, en quête de vifs sentiments. Je lisais ces extraits, dans mon cœur, sans rien laisser transparaitre à nouveau car chaque mesure et chaque sentiment tirés à ces mots cessaient d’exister hors de moi. Je luttais contre cette mélodie qui se fixait en moi, avec des mots fredonnant des émotions dévotes où se mêlaient voix et instruments. J’étais éparpillée quand pour me distraire il ajouta « je ne suis qu’un simple outil au service des idées ! ». Mazdã avait l’air éveillé dans la nuit, élevé dans les livres et la musique, un duo explosif qui peu à peu me livrait au contexte. Je voulais célébrer ma profession effective, suturer cette parenthèse qui me dénaturait, cependant je n’y parvenais pas, sa réserve fascinait et suscitait mon désir. Sans coup férir, je passais sous cape ma carrière et devins chargée de relations auteurs dans une négligeable bibliothèque. Mazdã mit un moment pour s’insurger devant cette coïncidence, puis finit par justifier ma ténacité à lire son manuscrit. Mon nouveau statut me conférait ainsi une nouvelle autorité insoluble qu’ourdit Mazdã à une physionomie de narration.
– Ce dernier demi-siècle, Léda, me permettez-vous de vous dénommer chère Léda ?
– Surnommez-moi comme il vous siéra.
– Ce dernier demi-siècle, ma chère Léda, aurait empreint l’esprit de ce peuple. Tout est allé si vite, dans un branle-bas de combat, que personne n’a, à vrai dire, prit la peine de réfléchir, de méditer, d’appréhender un instant tout en se demandant « de quoi succèdent-ils ? », « vers quoi accourent-ils ? », « où en sont-ils précisément dans l’Histoire ? ». Je vous soumets la controverse sommaire qui m’a lanciné ces derniers temps.
– Mon cher Mazdã, comme si vous lisez, vous contez. Mais continuez !
– Il s’agit des