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Les Signes parmi nous
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Les Signes parmi nous
Livre électronique125 pages1 heure

Les Signes parmi nous

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À propos de ce livre électronique

Fin juillet 1918, un colporteur biblique nommé Caille, va de fermes en maisons de village, en passant aussi par les champs, le lac et lusine. Il rencontre ainsi tous les habitants, enfants, ménagères, ouvriers, vignerons, pêcheurs et paysans, à qui il essaie de transmettre le message de lApocalypse de Jean : " Les Signes sont parmi nous ". Certains lécoutent, dautres le rejettent, mais tous lentendent et linterprètent à leur manière. Puis tout à coup, les éléments naturels se déchaînent, le ciel sassombrit, la chaleur sintensifie, la pluie tombe à verse, les ouvriers de la verrerie se sont mis en grève et défilent à grand bruit, partout les gens meurent brusquement dune étrange maladie, est-ce lApocalypse annoncée par Caille ?
LangueFrançais
Date de sortie19 avr. 2019
ISBN9783966610988
Les Signes parmi nous

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    Aperçu du livre

    Les Signes parmi nous - Charles Ferdinand Ramuz

    Réservés

    I

    Caille, le colporteur biblique, a suivi encore un moment la route qui longe le lac ; puis s’est engagé dans un chemin de traverse.

    Au bout de ce chemin, il y avait une maison. C’était une grande maison fraîchement repeinte en blanc, avec des contrevents verts ; à côté de la porte, sur un banc de même couleur, une femme déjà assez vieille était assise.

    On devinait le lac, plus qu’on ne le voyait, à une espèce de luisant qu’avait l’air sur la gauche, et une espèce de papier d’argent est collé sur les objets du côté de la lumière.

    C’est ici une étroite bande de pays prise entre la route et le lac ; c’est plat, c’est assez maigre et pauvre ; quelques vergers, des prés, guère de champs : le sable affleure ; ici, la nature de l’eau se mélange déjà partout à celle de la terre ferme ; on entend quelquefois un cygne s’envoler avec un bruit qui ébranle tout l’air ; ou bien l’hiver, sous le ciel bas, c’est la mouette, dont les cris comme ceux d’une brouette mal graissée répondent aux croassements du corbeau.

    Caille allait cependant ; il passa sous deux platanes non ébranchés qui ombrageaient l’entrée de la cour ; ensuite venait la porte de l’écurie, puis la porte cintrée de la grange ; et un petit pavé pointu faisait qu’on se tordait les pieds quand on n’en avait pas l’habitude.

    La femme, qui était sur le banc, écossait des pois ; elle leva la tête.

    Et la Parole fut tirée par Caille de sa sacoche. Elle avait l’aspect d’une mince brochure à couverture bleue.

    On entendit encore le petit bruit de cloches que les pois faisaient en heurtant le fond du baquet de terre cuite ; le bruit ne fut plus entendu, parce que Caille s’était mis à parler.

    Il y en a qui sont portés par l’Esprit à la compréhension des Prophéties, d’autres moins, d’autres nullement ; notre métier, à nous, n’en est pas moins d’aller de porte en porte.

    Notre métier à nous est de frapper à toutes les portes, surtout à celles qui ne s’ouvrent pas, fidèles serviteurs du Maître en tout, malgré les hommes : n’est-il pas écrit, en effet, qu’il sera occasion de scandale parmi les hommes ?

    Les hommes ne savent plus, ou ne savent pas, ou ne savent pas encore, quand même les Signes sont venus, et s’annoncent de toute part, mais moi je ferai éclater les Signes à leurs yeux, par le moyen des Écritures, et de l’explication que d’autres serviteurs du Maître nous en ont donnée, n’étant rien moi-même, ou n’étant que son instrument, comme la truelle qu’on voit dans les mains du maçon, la hache dans celles du charpentier. Et donc Caille avait tiré de sa sacoche la Parole, et il présentait la Parole ; et la lumière vint sur elle, parce que c’était un beau jour d’été.

    Tout de suite il vit que la femme savait de quoi il s’agissait.

    Il y en a qui se fâchent, d’autres se détournent, d’autres n’ont pas l’air de vous voir ; elle, simplement, l’avait regardé ; puis ses mains vinrent rejoindre les bords du baquet de terre cuite et s’y fixèrent.

    C’est l’explication des événements actuels à la lumière des Écritures. Car les Temps vont venir et il convient de s’y préparer. Les Signes, l’un après l’autre, sont dépeints dans le Livre ; ne voyez-vous pas qu’ils éclatent aussi déjà parmi nous ? Hâtez-vous de vous repentir ; les Temps sont proches. Hâtez-vous d’ouvrir les yeux, si vos yeux savent voir encore et tenez vos oreilles ouvertes toutes grandes, si elles savent encore entendre.

    Il ne disait pas tout cela, debout devant la femme dans sa jaquette noire, sous son chapeau de feutre dur, de gros souliers ferrés aux pieds ; – il s’était contenté de tendre la brochure avec des mots beaucoup moins compliqués, étant seulement le marchand de la chose, faisant commerce de la chose, par dédicace de sa personne à Celui qui est, qui était, qui sera (comme il est écrit aussi) : mais il y en a qui sont préparés et elle sûrement qu’elle était préparée.

    Elle lui a demandé d’abord s’il venait de loin.

    Il secoua la tête.

    Elle lui demanda alors « quand ce serait », il dit qu’on ne savait pas. Peut-être aujourd’hui, peut-être demain ; personne ne connaît le jour, ni l’heure, mais tenons-nous prêts, car les Temps sont proches.

    Elle avait posé la brochure sur le banc à côté d’elle ; elle prit son porte-monnaie ; elle lui demanda combien c’était ; il répondit : « Un franc vingt-cinq » ; elle lui donna deux francs ; il tira à son tour son porte-monnaie de sa poche ; c’était plutôt une espèce de bourse, de fortes dimensions, en cuir noir, avec un coulant.

    Il rendit à la femme septante-cinq centimes, ainsi l’opération fut faite, la Parole une fois de plus était mise en circulation.

    Cependant les choses autour de nous ne sont pas silencieuses : elles ont un message à nous transmettre, elles aussi. Sous un ciel pas encore blanc (mais on sent qu’il ne tardera pas à le devenir), elles sont une réunion qui dit : « On est là ; regardez-nous. » Les platanes parlent, ils disent : « On est là. » Ils ont une peau trop blanche et trop lisse, qui fait qu’on détourne les yeux de sa blancheur, comme quand une femme ôte sa robe. La fontaine, d’une voix monotone et sans fin, répète tout le temps la même chose, disant : « On est, on coule, je fais beau, je coule, on est, on dit quelque chose parce qu’on est ; on dit qu’on coule, on fait son métier ; on coule, je suis fraîche à boire, je fais frais où je coule, l’herbe m’aime, l’herbe a besoin de moi. » Et l’herbe : « C’est vrai. » Le toit est en inclinaison dessus le mur qui est d’équerre ; le toit dit : « Il est bon que je sois en inclinaison. »

    On entendait de nouveau le bruit des pois roulant contre la terre du baquet, qui était assez grand, verni en rouge brun, avec des palmettes vertes ; puis il n’y a plus eu de bruit du tout, parce que le baquet allait se remplissant : « Et moi, est-ce qu’on fait attention à moi ? » dit la passe-rose.

    Alors elle se fait plus grande encore et plus mince qu’elle est, qui l’est pourtant déjà assez, dans sa robe en étamine vert clair, toute garnie de pompons roses.

    La femme dit à Caille :

    — Ne voulez-vous pas prendre quelque chose ?

    Il n’accepta qu’un verre d’eau, comme dans les premiers Temps.

    Car les Temps d’aujourd’hui ressemblent à ces premiers Temps.

    Elle avait été chercher un verre ; il avait bu ; puis, assujettissant sa sacoche sur sa hanche gauche :

    — Courage et confiance, disait-il ; que la paix soit avec vous !

    Il repassa sous les platanes ; ils disaient : « On est beaux, regardez-nous » ; il ne les a pas regardés.

    Un peu plus loin, il y eut le chemineau ; le chemineau était couché contre le talus de la route. Le talus étant assez raide, il se trouve qu’on a, tout naturellement, la tête plus haut que le corps, comme il convient. Il n’avait qu’à lever le pied, son pied lui cachait le mont.

    En face de lui était le mont peint de vignes ; il levait le pied : plus de vignes.

    — Le grand village qui est dans le bas, il levait le pied : plus de village.

    Il fermait un œil, il regardait la place que son pied prenait sur l’importance des choses d’avant ; c’était à présent son pied, l’important.

    Il bâilla, il croisa ses bras sous sa tête ; ils disent que je ne suis rien, qu’ils y viennent voir.

    C’est moi qui commande, je fais, je défais ; j’ôte de devant moi quand je veux cette église ; les propriétés fichent le camp.

    Jusqu’au ciel du bon Dieu, contre quoi j’agis, si je veux ; pas besoin de lever le pied beaucoup, plus pour que j’y entre, et j’y dérange des choses ; – il bâilla, alors se fit entendre ce pas derrière lui.

    Il se retourna ; c’était Caille qui venait.

    De nouveau, le chemineau bougeait son pied et en haut du mont sont des petits bois ; il promenait son pied de droite à gauche et de gauche à droite tout le long de ces petits bois.

    — Combien ? qu’il dit à Caille… C’est trop cher pour moi.

    Et, comme Caille s’était arrêté, l’assurant qu’en ce cas la brochure ne lui coûterait rien :

    — Alors, c’est trop bon marché pour moi !

    Et de nouveau faisait aller son pied, bâilla (on attendait), voilà cette grande maison, je la vise : enlevée ! le cimetière : pan ! enlevé (on attendait toujours), quel jour est-ce que c’est aujourd’hui ? un mercredi, je crois, le mercredi 31, le mercredi 31 juillet ; un, deux, trois, quatre, cinq, six… six villages.

    — Et où allez-vous comme ça ? Est-ce que vous allez enterrer quelqu’un ?… Vous n’avez pas trop chaud dans votre costume de voyage ?…

    Et Caille parlait ; et lui :

    — Ça va bien.

    Il ferme les yeux à présent, parce qu’il fait chaud ; il y a au-dessus de lui un petit frêne, mais quand même un peu mince d’ombre ; l’épaisseur de l’herbe sous lui n’était qu’un assez pauvre matelas ; il entend le pas qui s’éloigne : « Au revoir, m’sieur ! Bon voyage. »

    On les connaît, c’est un de ces marchands de fin du monde,

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