Le serment de sang
Par Dan Scott
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Aperçu du livre
Le serment de sang - Dan Scott
antique.
LES PERSONNAGES PRINCIPAUX
Lucius, un garçon romain
Quintus, son frère aîné
Aquila, leur père
Ravilla, leur oncle
Caecilia, leur mère
Valeria, leur sœur
Isidora, l’amie de Lucius, une esclave
Rufus, un esclave
Crassus, un entraîneur de gladiateurs
.
PROLOGUE
TRAÎTRE !
ROME
JUILLET DE L’AN 79
L ucius fixa son regard sur les dieux domestiques.
Tout le monde semblait pouvoir crier, pleurer, se plaindre et enrager, sauf Lucius, qui était même incapable d’ouvrir la bouche. À l’instant où les soldats avaient fait irruption pour arrêter son père et avaient constaté sa disparition, les yeux de Lucius s’étaient rivés sur les petites statues de bois.
Les soldats avaient mis la villa sens dessus dessous et renversé les meubles en faisant cliqueter leurs épées et en criant :
— Nous vous arrêtons, Quintus Valerius Aquila ; au nom de l’empereur, montrez-vous !
Sa mère s’était effondrée, tremblante, sur le canapé de l’atrium², serrant étroitement Valeria, la sœur de Lucius. Valeria, qui était faite d’une autre trempe, s’était libérée et fixait les soldats d’un regard étonné.
Le frère aîné de Lucius avait beaucoup de choses à dire. Quintus, qui avait été ainsi nommé en l’honneur de son père et à qui les mots ne manquaient jamais, avait suivi les soldats à travers la villa pendant qu’ils cherchaient son père. Il les avait avertis des châtiments terribles et des malédictions qui s’abattraient sur eux au retour de son père, et il avait fini par invoquer les dieux de la maison pour qu’ils protègent la famille contre les intrus.
Mais pendant tout ce temps, Lucius était demeuré dans l’atrium, le dos appuyé contre le mur de marbre frais. Les statues portaient encore leurs couronnes de fleurs et de feuilles. Un jour ne s’était même pas écoulé depuis qu’ils avaient célébré l’anniversaire de leur mère. Et maintenant, son monde s’écroulait autour de lui.
— Où est-il, mon garçon ?
Un soldat se tenait face à lui et exigeait une réponse.
— Au Sénat ? suggéra sèchement Quintus à la porte de l’atrium. Au Forum ?³ À quel autre endroit pourriez-vous trouver l’un des plus respectés sénateurs de Rome à cette heure de la journée ?
— Il n’y est pas, dit Lucius.
Sa voix était étrange et rauque.
— Qu’est-ce que tu racontes ? demanda Quin.
Il semblait irritable et indigné. C’est drôle, pensa Lucius. Quin sait toujours tout. Comment est-ce possible qu’il ne sache pas ça ?
— Explique-toi, le réprimanda le soldat qui, de toute évidence, perdait rapidement patience.
— Regardez, dit Lucius.
Enfin, Quin suivit le regard de son frère, et ses yeux se portèrent sur l’autel. Lucius vit Quin changer de posture. Ses épaules s’affaissèrent ; l’étonnement et l’incrédulité se lisaient sur son visage.
— Le chien est parti, dit-il.
Parmi les trois statues qui représentaient leurs dieux domestiques, le chien en bois avait toujours été le favori de leur père. D’aussi loin que Lucius se souvienne, il s’était toujours trouvé sur le foyer de l’autel. Aquila avait dit qu’il représentait la fidélité des vrais amis. Il n’aurait jamais pris la statue avec lui lors d’une journée normale de travail, mais elle le suivait toujours quand il partait en voyage.
— Il a pris la statue ? demanda le soldat.
Lucius hocha la tête. La bouche du soldat prit une expression sinistre.
— D’accord, dit-il.
Il appela ses hommes à ses côtés.
— Vous partez ? demanda Quin.
— Oui, dit le soldat. Nous vous laissons à votre honte.
— Qu’est-ce que ça veut dire ?
Quin s’était remis de son choc initial et se laissait de nouveau emporter par l’agressivité.
Le soldat se tourna pour le dévisager. Pour lui, ils ne représentaient qu’un travail. Il n’éprouvait pour eux ni bons ni mauvais sentiments.
— Cela signifie que votre père est un menteur et un informateur, dit-il. Cela signifie qu’il a été démasqué et qu’il a fui avant d’être jugé.
Finalement, Lucius détourna son regard des statues. Quin était devenu très pâle, et il tremblait.
— Mon père n’est pas un traître ! déclara-t-il.
Mais ses mots sonnaient faux, et le soldat n’était assurément pas intéressé par ce qu’il avait à dire. Les yeux de Lucius se portèrent de nouveau sur l’autel du foyer. Que leur père soit innocent ou coupable, une chose était certaine : il avait quitté Rome. Et ils étaient désormais livrés à eux-mêmes.
2. Atrium : le hall d’entrée d’une villa romaine.
3. Forum : un marché de la Rome antique, qui était aussi un lieu pour les réunions d’affaires et les discussions politiques.
PREMIÈRE PARTIE
NOVICIAT
chapitre 1
ROME
AOÛT DE L’AN 79
B ats-toi ! hurla Crassus. Ce n’est pas ce que j’appelle se battre ! Es-tu un bébé ? Es-tu un lâche ? BATS-TOI !
L’entraîneur saisit le bras de Quin, le tint bien haut en l’air et frappa le jeune homme dans l’estomac. Tandis que Quin se pliait en deux de douleur, Crassus lui enfonça son coude dans le dos, puis il le retourna et le fit tomber la tête première sur le sol dans un bruit sourd de craquement.
— Un peu de style ! cria Crassus. Lève-toi ! Tu dois rendre ce combat passionnant !
Lucius, qui observait son frère sur le côté, sentit son estomac se nouer. Il avait senti le bruit sourd qu’avait fait Quin en tombant sur le sol sablonneux. Ce n’était que la deuxième journée de Quin comme novice⁴ à l’école de gladiateurs. Voici à quoi ressemblerait sa vie pour les prochaines semaines… voire les prochains mois.
Quin avait toujours semblé fort et puissant. Mais à présent, au milieu de l’arène, pieds nus et vêtu d’un simple pagne, il ressemblait à un enfant. Son dos et ses épaules étaient couverts de sang et de sueur.
D’autres gladiateurs novices observaient la scène des gradins, et Lucius s’était aventuré en dehors des locaux de l’école pour voir comment Quin se débrouillait. Il aurait préféré ne pas s’être donné cette peine.
— Pas d’épée, pas de bouclier, pas d’armure, murmura-t-il. Ce n’est pas juste.
— Ils doivent d’abord apprendre à lutter sans équipement, dit une voix derrière lui. Les armes viendront plus tard.
Lucius se retourna et vit une fille esclave qui se tenait là. Son épaisse chevelure noire pendait en deux tresses lourdes autour de son visage ovale. Lucius ne savait pas quoi dire. Un mois plus tôt, il aurait souri et l’aurait remerciée. Il aurait connu son propre statut. Aujourd’hui, en travaillant à l’école de gladiateurs, il ne se sentait plus lui-même, et il n’avait certainement pas envie de parler. Il tourna le dos à l’arène, où Quin était à nouveau étendu au sol.
Un des gladiateurs se retourna et regarda Lucius. Alors qu’il souriait, ses lèvres s’entrouvrirent pour laisser voir ses dents noires.
— Ton frère n’est pas encore sorti de ses langes, dit-il en crachant sur le sable. Nous mangeons de cette espèce pour le petit déjeuner.
Il était clair que ce gladiateur était déjà formé et qu’il luttait pour l’argent. Lucius ne répondit pas, mais quand il entendit un cri de douleur de Quin, sa gorge brûla. Il allait se rendre malade s’il continuait à regarder. Il dut sortir. Heureusement, il avait une excuse pour partir : son oncle lui avait demandé de transmettre un message à quelqu’un dans le Forum.
Les rues étouffantes de Rome semblaient moins bondées que d’habitude. Lucius se fraya un chemin vers le Forum, les cris des marchands ambulants bourdonnant dans ses oreilles tandis qu’il s’élançait à travers la foule de charrettes et chariots. L’odeur acide de l’urine et des excréments piqua sa gorge. Il trébucha sur une portée de porcelets trottant sur son chemin, et la propriétaire lui cria :
— Hors de mon chemin, mon garçon !
— Désolé, murmura Lucius en se déplaçant sur le côté de la rue, où un vendeur de viande qui vendait des piles de poumons rouges frais éclaboussait de sang tout le monde alentour.
Il n’avait pas vraiment porté attention à son itinéraire jusqu’à présent. Il connaissait les rues si bien que ses pieds pouvaient l’emmener au marché pendant que son esprit restait dans l’arène avec son frère. Mais à cet instant, il se rendit compte qu’il se trouvait sur la rue de leur ancienne maison. Les magasins encastrés dans les parois de la villa vendaient toujours les mêmes draps et pots en argile contenant de l’huile d’olive. Tout paraissait identique à autrefois.
Ne regarde pas, dit une voix dans son esprit. Il savait que c’était une erreur. Mais il appuya sa main contre la froide paroi extérieure de l’entrée principale. Lucius ferma les yeux.
— Une semaine, six jours et trois heures, dit-il entre ses dents.
Ravilla, son oncle, les avait presque immédiatement éloignés de la villa. Il avait dû la vendre, car tout l’argent de leur père avait disparu avec lui. Leurs esclaves et la plupart de leurs biens avaient également été vendus. Agathon, le tuteur de Lucius, Nicia, la cuisinière qui avait toujours fait en sorte que le chien de Lucius ait un bon repas, les filles, les femmes de ménage… Ils étaient tous partis. Jusqu’à maintenant, Lucius n’avait jamais connu un jour sans eux.
Il avait même perdu son chien, et Quin s’était mis en colère contre lui parce qu’il en était aussi bouleversé. Mais il ne pouvait pas oublier les yeux bruns fidèles d’Argos. Il avait disparu le jour où les soldats étaient venus… Une autre victime de leur tragédie familiale.
Lucius se demanda si une autre famille vivait maintenant dans la villa. Qui regardait les peintures murales ? Qui s’asseyait à la place de son père ? Il détestait chacune des heures qui passaient. À chaque instant, il s’éloignait un peu plus de la dernière fois où il avait vu son père. Des images de la scène défilaient devant lui. Sa mère, les yeux rougis, laissant sa maison en emportant avec elle quelques biens précieux. Son visage quand elle avait vu leur nouvelle maison au-dessus des magasins dans le district minable de Suburre, maison que Ravilla avait achetée pour eux avec l’argent qu’il avait réussi à trouver. Les yeux bleus de Quintus qui devenaient toujours plus froids au fil des jours. Les « amis » qui les évitaient dans la rue. Tout le monde qui croyait que son père était coupable.
Les souvenirs plus anciens étaient encore plus douloureux. Étudier avec Agathon. Jouer avec les enfants d’esclaves lors des après-midi libres. Son père franchissant le seuil à la fin de la journée. Son sourire quand il voyait Lucius qui l’attendait. Sa voix grave et douce alors qu’il lisait à haute voix ses rouleaux de papyrus⁵. Le souvenir du visage ouvert et franc de son père infligea à Lucius une douleur presque physique. Et pourtant, si l’on en croyait la preuve, il avait été un informateur impitoyable sous le règne du précédent empe-reur et avait provoqué la mort de nombreuses personnes honnêtes.
Un bruit retentit à l’intérieur de la villa, et les yeux de Lucius s’ouvrirent d’un coup. Ça n’irait pas. Il avait un message à livrer pour Ravilla, son frère était encore dans l’arène, et son père avait disparu. Ce temps était révolu. Il devait faire comme Quin et se concentrer sur le présent plutôt que sur le passé. Il s’élança en se sentant coupable comme un esclave pris à flâner.
Dès que Lucius eut livré le message, il se glissa dans un passage étroit et appuya sa tête contre le mur. Il était chaud et rugueux, et cela lui donna en quelque sorte un sentiment de sécurité. Il permit à son esprit de dériver encore.
Jusqu’à ce que Quin prenne sa terrible décision, Lucius était certain que son père allait revenir et nettoyer le gâchis. Il ne lui était même pas venu à l’esprit que quelqu’un pourrait penser autrement, pas avant le soir où son oncle les avait installés dans l’appartement exigu et où Quin avait dit, très nonchalamment :
— Vous avez investi de l’argent dans une école de gladiateurs, n’est-ce pas, mon oncle ?
— Oui, avait dit Ravilla, l’air surpris.
Lucius avait regardé son frère en se demandant où il voulait en venir. Les conversations entre son père et son oncle à propos de l’école de gladiateurs se terminaient inévitablement en disputes. Aquila désapprouvait les paris de Ravilla.
— Pourriez-vous m’y faire entrer ? avait demandé Quin.
Tout le monde avait ri. C’était une question ridicule… Quin devait plaisanter. Un citoyen libre de Rome — un garçon