Le 1er septembre 1944, l’empire hitlérien semble sur le point de faire naufrage. Il a perdu les deux tiers des conquêtes initiales de 1939-1940 – la France et la Belgique en totalité, la Pologne pour moitié. Ses meilleurs alliés européens sont passés dans l’autre camp: l’Italie en septembre 1943, la Roumanie et la Finlande durant l’été 1944, sans parler de la Bulgarie. Quant à la Slovaquie et la Croatie, elles sont ravagées par la guerre civile ou l’insurrection. Au IIIe Reich, il ne reste pour partenaire notable que la Hongrie, dont le chef, le régent Horthy… a entamé des discussions secrètes avec les Alliés.
Sur le plan militaire, le tableau est tout aussi noir. Après les pertes gigantesques de l’été 1944, les rapports de forces sont devenus écrasants. Que ce soit à l’Ouest face à 1 234 000 soldats américains et 825 000 soldats britanniques et canadiens entièrement motorisés, équipés de 7 700 chars et 10 700 avions de combat. Ou à l’Est, devant une Armée rouge de six millions d’hommes, 10 000 chars et 15000 avions. Les rapports de forces varient entre un contre trois (personnel) et un contre vingt (artillerie et aviation) selon les catégories.
Alliés envolés, pertes colossales, armées partout en retraite, situation définitivement défavorable: placé dans la même situation en octobre 1918, le haut commandement allemand avait reconnu l’inutilité de continuer la lutte et demandé au gouvernement civil d’en tirer les conséquences politiques. Quelles qu’aient été, à cette époque, les arrière-pensées de Hindenburg et Ludendorff, c’était sur le fond une attitude rationnelle. Il n’en va pas de même à l’automne 1944. Le nazisme est une idéologie radicale qui déifie le combat et traduit tout en termes de lutte à mort: la victoire ou l’anéantissement. Aussi Hitler persiste-t-il à parler de victoire finale, même si l’on peut douter qu’il y croie encore. Le haut commandement ne dit pas ce qu’il pense et, d’ailleurs, il s’interdit depuis longtemps toute réflexion stratégique. La troupe ne se révolte pas, alors que la marine du Kaiser s’était mutinée. La population, écrasée sous les bombes et terrorisée par l’approche des Soviétiques, continue de travailler pour le front et demeure politiquement apathique, à la différence de la génération précédente. Le parti nazi reste soudé