"Une crise plus énorme que celle-là, on ne peut l’imaginer, explique Hitler fin août 1944 à ses invités somnolents, au cours d’une de ces conversations nocturnes qu’il affectionne. Quand le feldmaréchal Model est arrivé, le groupe d’armées Centre n’était plus qu’un trou… » Nommé le 29 juin à la tête du groupe d’armées Centre, Walter Model (lire l’article p. 54) ne peut en effet que constater l’ampleur de l’effondrement qui suit le déclenchement de l’opération Bagration. La 4e armée a été anéantie, la 3e armée Panzer et la 9e armée ne sont plus guère qu’un conglomérat d’unités saignées et démoralisées fuyant vers l’ouest. Model prend le contre-pied de la défense rigide imposée jusque-là par Hitler et, sans cesser de reculer pendant cinq semaines, multiplie les contre-attaques blindées pour freiner l’Armée rouge sur les directions principales.
La première tâche est de trouver des Panzerdivisionen (PzD). Model en possède deux à disposition quand il arrive à son nouveau QG : la 5e, mise en route le 25 juin depuis le groupe d’armées Nord-Ukraine (125 chars modernes : 55 Pz IV et 70 Panther) et la 12e acheminée depuis les Pays baltes (35 Pz IV et 9 Pz III à canon long). Ce sont elles qui, seules, frappent à cinq reprises sur des points stratégiques. Elles gagnent 24 heures ici, 48 heures là, pour frayer un chemin à l’infanterie en retraite. Puis, petit à petit, dans les deux semaines qui suivent, Model reçoit onze divisions d’infanterie (DI) prélevées sur le groupe d’armées Nord, trois DI et deux PzD (4e et 7e) du groupe d’armées Nord-Ukraine, et encore trois DI et deux PzD (6e et 19e) venues la première d’Allemagne et la seconde des Pays-Bas, où elles étaient en cours de rééquipement. À mesure que les Fronts soviétiques perdent de leur substance et s’éloignent de leurs bases logistiques (voir l’encadré p. 86), le groupe d’armées Centre retrouve ainsi des forces.
Cela n’empêche pas les Soviétiques d’avancer encore de 200 km vers l’ouest. Au nord, ils prennent Vilnius le 14 juillet et Mariampolé le 31 juillet : la frontière de la Prusse-Orientale est à 25 km et sera franchie à Schirwindt le 17 août! Interdire l’accès à la vieille province des Teutoniques est le problème nº 3 dans l’agenda de Model et de l’OKH. Au centre, les Soviétiques sautent la Vistule à Pulawy le 29 juillet, à Magnuszew et à Sandomir le 30. Détruire ces trois têtes de pont à l’ouest du dernier grand obstacle physique avant les frontières du Reich devient le problème nº 2 de l’OKH et de Model, puis de son successeur à la tête du groupe d’armées Centre à partir du 16 août, le colonel général Georg-Hans Reinhardt.
Malgré tout, le problème nº 1, le plus grave, armée blindée se trouve à 15 km à peine de la capitale polonaise. Depuis le 20 juillet, les services de sécurité de la SS et la Gestapo annoncent par ailleurs le déclenchement imminent d’une insurrection dans la ville même, à l’appel de l’Armia Krajowa (AK), l’armée de l’Intérieur. Perdre Varsovie reviendrait pour les Allemands à céder le plus grand carrefour ferroviaire d’Europe orientale, les ponts sur la Vistule permettant la retraite de la 2 armée qui se bat au sud du Bug, les immenses entrepôts, magasins, aérodromes, ateliers et dépôts de carburant aménagés depuis 1939 : ce serait « le» désastre.
