Dominique Moïsi, géopolitologue et auteur du Triomphe des émotions (éd. Robert Laffont, 2024), estime qu’il faut observer les trois grands blocs émotionnels (la peur occidentale, l’espoir asiatique et l’humiliation arabe) qui structurent le monde contemporain pour le comprendre. Avec lui, Laurence Kaufmann, professeure de sociologie de la communication et de la culture, a codirigé Les Émotions collectives :en quête d’un “objet” impossible (éd. EHESS, 2020) et interroge la constitution des collectifs et le rôle des émotions.
SVHS : L’émotion est souvent décrite comme un phénomène subjectif, antinomique avec le concept de collectif. Comment définir l’émotion collective ?
Il faut d’abord définir l’émotion. Depuis cinquante ans, il a été montré que les émotions ne sont pas juste des réactions instinctives, mais des “proto-jugements”. Pas des jugements articulés, structurés par le langage, mais des évaluations viscérales, qui permettent de donner à une situation, un individu ou un événement une certaine valeur. En tant que jugement, l’émotion est soumise à un ensemble de critères ou de conditions sociales. Elle n’est quasiment jamais purement individuelle, car dans presque toutes les .