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En 1934, Charles de Gaulle ouvre son opus de stratégie Vers l’armée de métier en évoquant la vulnérabilité territoriale de la France, notamment du côté du Nord-Est, où se trouve « une brèche terrible, joignant aux terres germaniques les bassins essentiels de la Seine et de la Loire ». Ce n’est pas la première fois qu’il déplore ce trou menaçant. En 1925, dans un article intitulé « Rôle historique des places françaises », il souligne à quel point, après le traité des Pyrénées (1659), « Philippeville, Marienbourg [Mariembourg], Rocroy [Rocroi], Mézières [aujourd’hui réunie à Charleville] maîtrisaient le défilé de la Meuse dans l’Ar denne, porte ouverte sur la Champagne ». Or, les deux premières ont été perdues en 1815, contribuant ainsi à une vulnérabilité irréversible de la frontière française et ouvrant, de là, une route vers Paris…
Les places ôtées à la France à la chute finale de Napoléon appartenaient à un rideau défensif qui s’étendait de Maubeuge à Givet, avec un prolongement jusqu’à Mézières, sur une route qui assure encore de nos jours la liaison entre ces communes de France et de Belgique. La région est connue sous l’appellation géographique et fort touristique d’Entre-Sambre-et-Meuse, ou encore de « trouée de Chimay». Comment cette ligne, dont Fernand Braudel et Xavier de Planhol ont démontré l’artificialité, est-elle devenue la clé de la sécurité puis de la vulnérabilité de l’Hexagone?
En 1907, le géographe français Albert Demangeon rappelle que l’Entre-Sambre-et-Meuse est constituée de vallées et de vallons, avec « des champs et des prairies » propices à l’établissement de foyers de peuplement sous forme de gros villages, au rythme de « l’exploitation des champs, des carrières et des mines de fer ». De la Sambre à la Meuse, nous avons affaire à « une voie natu relle» marquée par l’absence de reliefs et de bois potentiellement impraticables. « Déjà au XIIe siècle, et certainement à une époque encore bien antérieure, il existait donc dans l’Entre-Sambre-et-Meuse, entre la Fagne et la Thiérache, une sorte de couloir déboisé, avenue étroite où s’étaient établis de nom breux habitants avec leurs cultures », créant ainsi un « espace dénudé, avec ses champs cultivés », précise Demangeon. La conséquence stratégique évidente est que la série de villages devient « une ligne de communication », dont le contrôle s’avère essentiel. « Chaque fois que la France ne possède pas le débouché occidental de cette route sur son propre territoire, la force et la valeur de son offensive s’en, résume le géographe français.